II. - L’éducation moderne ou l’éducation scolaire contemporaine : Les politiques éducatives depuis l’apparition de l’école en R.D. Congo, entre 1880 et 1930.

1. Education à la période coloniale, avant 1960 : Education missionnaire et laïque de 1880 à 1960.

‘« La Bible quitta l’Europe à la recherche de l’âme africaine. L’école missionnaire faisait partie de cette recherche» 476 .’

Evolution de l’Education scolaire en R.D. Congo dans les grandes périodes de l’Histoire politique du Congo. Dates importantes dans la structuration du Système éducatif (La mise en œuvre et l’évolution de la politique belge de l’éducation).

  • . Avant 1884 : Ecoles libres des missionnaires catholiques et protestants occidentaux. Aucun droit de créer les écoles ne leur est reconnu. Ce sont des écoles pour répandre l’Evangile.
  • . 1885 Signature de l’Acte général de la conférence de Berlin sur le partage de l’Afrique. Naissance de l’État Indépendant du Congo.
  • Colonies scolaires, première institution éducative créée par le Gouvernement Indépendant du Congo.
  • . 1888 Personnification civile des institutions religieuses.
  • . 1906 Convention entre le Saint-Siège et l’Etat Indépendant du Congo, qui définit le système de coopération Etat-Eglise jusqu’en 1960, en matière scolaire.
  • . 1908 Cession de l’État Indépendant du Congo à la Belgique par le roi Léopold II : Avènement de la colonie Congo Belge. Proclamation de la liberté d’Enseignement pour tous par la Charte coloniale. Les Congrégations s’occupent aussi des Ecoles. L’État crée les Ecoles officielles, que les Congrégations gèrent, en plus des missionnaires catholiques et protestants.
  • . 1908-1922 Ecoles officielles congréganistes.
  • . 1922-1947 Enseignement des missions nationales.
  • . 1924 Projet d’organisation de l’enseignement libre au Congo Belge, avec le concours des missions nationales.
  • Les missions catholiques commencent à bénéficier de subsides de l’État, liés au régime de collaboration scolaire.
  • . 1925 Signature de plusieurs conventions entre le Gouvernement et les missions nationales, pour une durée de vingt ans.
  • . 1926 Création, dans l’esprit du projet précédent, du service de l’Inspection officielle de l’enseignement, dirigée par un inspecteur général et des inspecteurs provinciaux.
  • . 1948 Réforme de l’enseignement libre subventionne (Ecoles privées, surtout missionnaires)
  • . 1954-1960 Enseignement libre laïque.
  • . 1956 Arrêté royal de création de l’Université Lovanium 477 .
  • . 1957 Décret d’érection canonique de l’Université catholique de Lovanium.
  • . 1960 Accession à l’Indépendance. Le pays s’appelle République démocratique du Congo.

Dans la perspective des accords de la Conférence de Berlin du 26 février 1885, sur le partage de l’Afrique, et pour mettre en œuvre l’Acte général dans son article 6, imposant au pouvoir colonial l’obligation de protéger et de favoriser les institutions religieuses, le pouvoir colonial devait jouer un rôle important dans l’éducation scolaire au Congo. Il s’est donné l’obligation d’organiser une « école religieuse et pragmatique » 478 .

Son objectif est la « formation exclusive de catéchistes autochtones pour la propagation de la religion chrétienne dans les villages soumis à l’évangélisation » 479 . C’est un enseignement à caractère religieux, dont le but reste « une évangélisation massive par le truchement des élèves et des catéchumènes ». En effet, on a le souci de faire de tous les élèves des chrétiens.

Ainsi, Tshiala reprend, pour les expliciter, les objectifs et méthodes d’enseignement adoptés par les Oblats de Marie Immaculée. L’enseignement se faisait, note-t-il, « par des causeries régulières et occasionnelles, par la formation morale, autant que littéraire, par un enseignement qui veut être pratique, et non en dehors du réel et des possibilités » ; « L’école s’efforce d’inculquer aux élèves la discipline, l’amour du travail, le respect et l’obéissance à l’autorité établie » 480 . La formation religieuse, on le constate, ouvre l’homme à Dieu et l’engage à se référer au Christ ; elle l’ouvre aussi aux autres hommes, pour la vie et par la vie. Le contenu de l’enseignement religieux n’est pas seulement la parole de Dieu et toute sa richesse, mais surtout les valeurs de la vie, telles que la discipline, l’amour du travail, le respect et l’obéissance à la hiérarchie. La formation des cœurs pour le Royaume des Cieux n’exclut pas la formation du corps ; elle ne la minimise pas non plus.

À ces objectifs religieux et humains s’en ajoutent deux autres, fondamentaux, qui motivent de plus en plus les parents à envoyer leurs enfants à l’école. Il s’agit de l’éducation à l’obéissance et à la politesse. Traduits en action éducative, les mêmes objectifs précisent les finalités de l’éducation scolaire missionnaire : toute la scolarisation des élèves a un double intérêt : l’avenir des scolarisés et le statut socio-économique de la famille. On s’en rend compte dans les attentes des parents, que Tshiala énumère : « le (la) scolarisé (e) devra rendre des services à sa famille, son clan (clan de sa mère), au clan du père, aux clans des grands-parents, à son groupement et à sa tribu… » 481 .

Nous pouvons noter, en revanche, une différence fonctionnelle entre la scolarisation de la fille et celle du garçon. L’instruction scolaire des filles est surtout conduite en vue du mariage et du maintien de la lignée clanique. De plus, elles sont formées pour des raisons économiques, en vue de s’occuper de leurs frères et sœurs après la mort des parents. Car les études et les diplômes sont une bonne épargne, qui représentent « un capital en banque » et « un gros investissement » à long terme. Cela justifie et renforce l’enthousiasme des parents dans leur devoir de trouver « les voies et moyens à mettre en œuvre pour pouvoir financer les études de l’enfant » 482 . Toutefois, cette prise en charge matérielle et morale de la famille par les enfants scolarisés n’est pas l’apanage de l’éducation scolaire missionnaire. Elle part de l’enseignement missionnaire et va jusqu’à l’éducation moderne ; elle peut traduire et expliquer en partie aujourd’hui l’esprit d’assistance matérielle issue du paternalisme colonial. Au contraire, les garçons sont scolarisés pour être instruits et diplômés. Cela a aussi pour conséquences de diffuser dans tout le corps social une dynamique personnelle de création de liens par les enfants, comme nous l’avons montré à propos de l’école traditionnelle. L’enfant scolarisé continue en effet à jouer son rôle social traditionnel de messager, car c’est lui qui fait le pont entre l’institution scolaire et sa famille. Même lorsque l’école est proche de la famille, les parents préfèrent parler à l’enseignant à travers l’enfant : ces contacts permettent à celui-ci d’élargir et d’approfondir les relations sociales, indispensables à son avenir. « Les contacts directs entre les parents et l’école mettraient en danger, à force de se répéter, cette forme d’éducation de l’enfant à la vie sociale » 483 . L’enfant ne jouerait plus sa fonction sociale de messager ; certaines conséquences en résulteraient : distance entre parents et enseignants ; manipulation de l’information par l’élève selon ses stratégies propres. Le protocole était acquis : intensifier des structures de rapprochement des parents entre eux (dans le système scolaire moderne) par la création des comités scolaires des parents, des conseils de gestion, des Associations (nationales ou régionales) des parents d’élèves, pour permettre la rencontre et l’échange entre eux, mais surtout avec les enseignants.

Notes
476.

MAZRUI ALI A. et TESHOME WAGAW, “Education et diversité culturelle en Afrique noire. Une étude régionaliste », in Gaston MIALARET et Jean VIAL, Histoire Mondiale de l’Education. 3 : De 1815 A 1945 (sous la direction de -), PARIS : PUF, 1981, p. 73.

477.

Lovanium, c’est le mot latin pour dire Louvain. Au Zaïre, c’est l’ancien nom de l’actuelle Université de Kinshasa (UNIKIN).

478.

TSHIALA LAY, Op. cit., p. 51.

479.

Idem.

480.

TSHIALA LAY, Op. cit., p. 57.

481.

TSHIALA LAY, Op. cit., p. 147.

482.

Idem.

483.

TSHIALA LAY, Op. cit., p. 158.