III. - De l’éducation traditionnelle à l’éducation moderne, quel Système Educatif ?

Célestin Dimandja, au cours d’un colloque, a rappelé que « l’histoire de la reconstruction du système éducatif de la République démocratique  est une dynamique, de 1960 à nos jours (…) : le devenir et l’avenir de l’éducation nationale a été constant depuis l’Indépendance » 503 . Dimandja 504 cite, à cet effet, des dates et quelques événements qui ont marqué la réforme du système éducatif. 1961 voit le souci « d’adapter le système éducatif à la nouvelle donne politique et la nécessité a été ressentie de préparer pour le pays des cadres plus nombreux, mieux formés et mieux préparés à assumer les responsabilités et à préserver l’unité du pays » ; En 1971 : entrée en vigueur de la réforme de l’enseignement supérieur et universitaire, pour le mettre en harmonie avec les réalités du pays et combattre les clivages ainsi que les discriminations entre les étudiants ; une réforme qui donne naissance à l’Université Nationale du Zaïre (UNAZA) ; en 1976, celle qu’entreprend l’UNAZA introduit la professionnalisation ; en 1986, l’UNAZA permet la création des universités autonomes ; le 26 février 1977, au niveau primaire et secondaire, signature d’une Convention scolaire entre la République du Zaïre et l’Eglise Catholique pour la gestion des écoles et Associations des Eglises. La Conférence Nationale Souveraine du Zaïre voit, dans les travaux des États Généraux de l’Education (EGE) en 1996, la Charte de l’éducation, qui propose un projet de nouveau système éducatif. Ce sont des textes consultables et consultés tant par les autorités politiques que religieuses, dans le contexte du rétablissement du système éducatif de la République Démocratique du Congo.

Vues par le Gouvernement, quelques actions de l’État congolais sont réalisées dans le secteur de l’enseignement. En novembre 1973, M. Mobutu Sese-Seko, Président du Zaïre, écrit : « Nous devons procéder non à une réforme de l’Enseignement, mais plutôt à une révolution du système. Nous devons chercher un enseignement nouveau pour le Zaïre nouveau. Nous devons arriver à une société déscolarisée 505 , remettant en question le monopole de l’école en tant que condition de promotion de l’individu dans la société » 506 . Une révolution vers le négatif, s’insère dans « le Nationalisme zaïrois authentique », dont voicile contexte historico-politique et la philosophie. S’il évoque Lumumba, dont Mobutu s'était débarrassé avec la complicité de certaines nations, l'Authenticité demeure l'idéologie de la IIème République, véhiculée par le MPR : Mouvement Populaire de la Révolution, qui est aussi Parti Unique et Parti-Etat de la République du Zaïre, pendant le règne du Président Mobutu.

La doctrine du MPR est le Nationalisme zaïrois authentique.

Son idéologie : Authenticité.

Sa démarche : Recours à l'Authenticité.

L'ensemble de ce schéma constituait le Mobutisme, défini comme l'enseignement, la pensée et l'action du Président Mobutu. Cette politique impose la suppression des prénoms d'origine chrétienne, au profit des noms de nos ancêtres. Cela provoque la réaction de l'Eglise. Mais celle-ci est réduite au silence et obligée de suivre. D’où le renforcement du conflit Eglise-Etat. L’illustre cardinal Malula, archevêque de Kinshasa, en subit les premières conséquences : les poursuites judiciaires par le Gouvernement zaïrois, son expulsion de sa résidence, située dans le quartier 20-Mai de Kinshasa, la fermeture du Grand Séminaire Jean XXIII de la province ecclésiastique de Kinshasa.

Pourquoi en était-on arrivé là ? Personne n’ignore que la relation Eglise-Etat est un important problème actuellement. Dans son évolution, leur rivalité influe sur le système éducatif congolais. Elle devient douloureuse vers les années 70. Cela peut s'expliquer, avec le recul, par un concours de circonstances et la conjonction de deux facteurs majeurs : le profil du "Zaïre" des années 70 et « le charisme » particulier de Mobutu. De fait, confirme Edouard Ludiongo, « au mois d’août de l’année 1971, la nationalisation des Universités et des Instituts Supérieurs révéla suffisamment la volonté de l’Etat de prendre directement en charge tous les domaines de l’Enseignement. Par la décision du Bureau Politique du 30 Novembre 1974, l’État procédera à la rupture unilatérale des conventions précédentes, en confisquant toutes les écoles et en imposant à la jeunesse l’idéologie dénommée « Mobutisme », comme unique référence de valeurs. Au sein de l’enseignement national seront supprimés le cours de religion et les mouvements d’Action Catholique. La Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution (JMPR) prendra la relève et l’Eglise finira par s’incliner » 507 . Même si, dans les années 63, les "Zaïrois" pensaient bâtir leur nation moderne en recourant aux valeurs traditionnelles, Mobutu, qui a bien suivi le courant intellectualiste dont le chef de file, Mabika Kalanda, avait publié un livre intitulé La Remise en question, bases de toute décolonisation mentale, trouvera le mot juste pour le dire : authenticité. Grâce à son charisme, il constituait un authentique agent de la modernité "zaïroise". En revanche, l’État a positivement pensé la révolution du système éducatif pour un enseignement nouveau dans un Zaïre nouveau, par « la mise sur programme d’enseignement au degré élémentaire de deux langues : la langue maternelle et le français, l’une comme langue nationale et de culture, l’autre comme langue de communication à vocation internationale.  Cependant, on doit pouvoir tenir compte de la situation plurilingue au début du cycle secondaire de l’élève car sa connaissance de la langue d’enseignement est fragmentaire et fort peu maîtrisée» 508 .

La Circulaire DEPS 509 /AS/83/834/80/0010/80 du 10 janvier 1980, de M. M’Vuendy Mabeki Ntu, Commissaire d’État à l’Enseignement Primaire et Secondaire, résume, pour les élèves, des mesures indispensables au redressement du système scolaire. Il écrit : « Tous les comportements incompatibles avec notre but de redressement moral devront être combattus avec acharnement… » 510 .

L’année 1985 voit naître quelques initiatives :

L’invitation est lancée aux parents et à la société de prendre conscience de leurs responsabilités pour assurer aux enfants l’éducation par l’école et de comprendre la finalité de cette dernière : la formation de l’enfant. M. Okitembo Kingombe 511 rappelle instamment la mission d’éducateurs qui revient à tous. Concrètement,  « les parents et les autorités politico-administrative, continue-t-il, doivent décourager toute pratique immorale et soutenir des actions bénéfiques conformes à notre éthique et à notre authenticité » 512 . En quoi consistent alors  « notre éthique » et  « notre authenticité » ? Quels en sont les principes ?

La prise de conscience nationale de la perturbation de « l’ordre éthique » au Zaïre et de ses conséquences néfastes sur tous les plans de la vie nationale, motive le rétablissement des principes éthiques, développe l’implication de tous dans l’effondrement du système éducatif de notre pays. « En effet, écrit Okitembo déjà en 1985, il faut que l’on se le dise, les critiques dont notre système d’enseignement fait souvent l’objet est une affaire où tous, nous avons chacun une part de responsabilité » 513 . Okitembo constate, et déplore à la fois le manque de responsabilité des parents, de la société et des autorités politico-administratives envers la formation de l’enfant, la crise du système d’enseignement et la promotion des principes moraux traditionnels nécessaires au développement intégral de l’enfant et de tout homme. Selon Okitembo, le terme  « authenticité » revêt cette fois une vision positive, qui corrige et dépasse celle qui a été transmise par la démarche du « Recours à l’Authenticité ». Derrière « Notre authenticité », il met cette prise de conscience des valeurs spirituelles, morales et culturelles de notre héritage ancestral et moderne, qui amène sûrement le Congolais à redéfinir un type d’homme et de femme, à revaloriser sa dignité ainsi qu’à le transformer.

Dans cette perspective, les autorités du Département de l’Enseignement Primaire et Secondaire décident l’instauration, dès 1985, du cours de savoir-vivre dans les écoles primaires et secondaires du Congo en vue de sauvegarder l’avenir de notre société et de désamorcer la crise morale à tous les niveaux du pays en général et à celui du Système éducatif, en particulier. Un souci qui était le vœu du Maréchal Mobutu de sortir le pays de sa profonde crise morale. M. Lwamba Lwa Nemba 514 le confirme : « Déjà le 24 juin dernier, à l’occasion des festivités marquant la Journée du Poisson, le Président-Fondateur du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), Président de la République, dénonçait cette crise, recommandant, comme début de solution, une réforme profonde des organismes de la Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution (JMPR) et de ses structures d’encadrement » 515 . Il préconise l’intensification des mesures comme l’application stricte et réelle du régime disciplinaire par le Conseil de Discipline, pour restaurer les vertus de notre morale traditionnelle ; l’assainissement du corps professoral, allant jusqu’à la résiliation du contrat du personnel incompétent ou débauché.

Ce souci du Gouvernement rejoint celui qui est approfondi par les travaux de la Conférence Nationale Souveraine du Zaïre qui, à l’issue de son examen de l’ancien système éducatif de la longue période de « la transition politique » (1990-1996), fait adopter par les États Généraux de l’Education (EGE) dix orientations fondamentales, en vue d’un projet « du nouveau système éducatif » 516 . Il s’agit de :

  • - L’éducation, priorité des priorités ;
  • - L’éducation pour tous ;
  • - L’éducation aux valeurs humaines et morales ;
  • - L’intégration des valeurs culturelles nationales ;
  • - La professionnalisation de l’enseignement ;
  • - Le partenariat éducatif ;
  • - La lutte contre les inégalités en matière d’éducation ;
  • - L’éducation physique et sportive ;
  • - La décentralisation du système éducatif ;
  • - L’éducation permanente.
Notes
503.

DIMANDJA, C., « La mise en œuvre d’un nouveau type d’éducation d’après la Conférence Nationale Souveraine du Zaïre », in SEMAINES THEOLOGIQUES DE KINSHASA, L’Education de la jeunesse dans l’Eglise-Famille en Afrique. Actes de la XXI è Semaine Théologique de Kinshasa du 22 au 28 novembre 1998, Facultés Catholiques de Kinshasa 2001 : Saint Paul-Limete-Kinshasa, 2001, p. 373-381.

504.

Idem.

505.

C’est-à-dire une société qui ne s’intéresse pas à l’école tout court.

506.

CENTRE DE DOCUMENTATION. DEPARTEMENT DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET SECONDAIRE. DIRECTION DES PROGRAMMES SCOLAIRES ET MATIERES DIDACTIQUES, Recueil des Directives et Instructions officielles (en sigles R.D.I.O.), 2 ème édit., Kinshasa : SCIENTICA-EDIPES, 1986, p. 299.

507.

LUDIONGO, E., « Collaboration nouvelle entre l’Eglise et l’Etat dans le domaine de l’éducation de la jeunesse », in SEMAINES THEOLOGIQUES DE KINSHASA, L’Education de la jeunesse dans l’Eglise-Famille en Afrique. Actes de la XXI è Semaine Théologique de Kinshasa du 22 au 28 novembre 1998, Facultés Catholiques de Kinshasa 2001 : Saint Paul-Limete-Kinshasa, 2001, p. 277.

508.

R.D.I.O., p. 307.

509.

DEPS signifie Département de l’Enseignement Primaire et Secondaire.

510.

R.D.I.O., p. 202.

511.

En 1985, M. OKITEMBO KINGOMBE, K.MB. est Chef de Division aux Services Généraux de l’Enseignement Primaire et Secondaire (E.P.S.) de la République démocratique du Congo (ex Zaïre).

512.

Cfr. R.D.I.O., p. 194.

513.

R.D.I.O., p. 194 (Nous précisons que la citation est notée comme telle).

514.

En 1985, M. le Citoyen LWAMBA LWA NEMBA est Directeur des Programmes Scolaires et matériels Didactiques de la république démocratique du Congo (ex Zaïre).

515.

R.D.I.O., p. 195. N.B. :* = Fête nationale zaïroise pour les Pêcheurs.

516.

MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Plan-Cadre National pour la Reconstruction du Système éducatif de la République Démocratique du Congo, 1 : Présentation du Plan-Cadre, Kinshasa : Cabinet du Ministre, août 1999, p. 12.