3. Les Eglises

Des attitudes pratiques décrites ci-dessous marquent l’engagement social et culturel de l’Eglise dans l’éducation de la jeunesse et la réforme du système éducatif congolais. Dans son passionnant article, l’Abbé Léonard Santedi qui s’appuie sur la lecture du sixième volume des Œuvres Complètes du cardinal Malula d’heureuse mémoire, montre comment cette figure de proue de ce premier archevêque autochtone de la RDC, marque, vers 1970, son intervention pour l’éducation de la jeunesse congolaise 539 , dans un contexte de crise morale, économique, spirituelle. Le cardinal parle d’une crise plus fondamentale : la crise des modèles. Pour en sortir, et convaincu du fait que « le problème des problèmes est le problème de la jeunesse », il fait de l’éducation de la jeunesse son cheval de bataille, propose des structures pour sa promotion, et des principes d’organisation internes. Car la jeunesse est importante, et son éducation réclame la participation de tous.

Quatre principes de vie sont, pour le cardinal, la charte qui aide les jeunes à se conduire par eux-mêmes : « L’Emergence » ( aller toujours en avant ; volonté permanente d’ascension morale, intellectuelle et spirituelle ), « la Science » ( « capacité de compréhension du réel, d’analyse, de synthèse pour innover, créer et réaliser quelque chose de durable et d’utile à la société »), « la Conscience » ( liberté et vérité de l’être en vue du sens du devoir et sens des responsabilités ), et « la Transparence » (capacité de rayonner autour de soi les valeurs morales et spirituelles, qui constituent la vie intérieure ). Mais la « Transparence » ! A ce sujet, l’Abbé Santedi reprend pour son compte le cardinal et conclut : « L’élite congolaise n’a pas joué son rôle de levain dans la pâte. Le cardinal était conscient de cet échec, de cette élite qu’elle appelait d’ailleurs une pseudo-Elite. Il faudrait, pour l’avenir, former des hommes de foi qui soient des hommes d’action et non seulement des hommes de culte. C’est là le défi majeur aujourd’hui ». 540

Pour conclure son approche sur la contribution du Cardinal Malula à l’éducation de la jeunesse, l’Abbé Santedi écrit : « L’œuvre du cardinal Malula nous apparaît comme un appel à une éducation dynamique, conçue comme un chemin de libération et de vérité de l’homme. … » 541 Dans les faits, les articles 4 et 5 de la Convention de gestion des Ecoles mentionnée ci-dessus parlent de « La qualité du personnel pédagogique et administratif », et « la qualité du comportement pratique des élèves » spécifiquement caractérisées par la dimension religieuse qui doit marquer le milieu éducatif des écoles conventionnées catholiques. Il s’agit respectivement de veiller « à la moralité publique éprouvée, au respect des personnes, des biens et des règlements, et à la dignité de l’homme » et «à la moralité (honnêteté et discipline) des élèves, à l’éducation au respect des personnes et des biens, des règlements et des ordres, à la formation de l’esprit familial, du sens national, de la conscience sociale et de la fierté culturelle, à l’éveil de la vitalité religieuse harmonisée à l’éducation progressive de la liberté ».

Qu’il s’agisse de ce qui est requis de la jeunesse ou des adultes, il y a un réel souci de partir du système scolaire pour lever le défi lancé à l’éducation et à la société, comme cela apparaît dans les aspects multiformes de l’intervention des uns et des autres en RDC. Sans négliger la dimension religieuse spécifique à l’éducation dans les écoles religieuses, chaque gestionnaire doit faire appliquer dans la partie d’écoles qui lui sont attribuées les principes généraux de l’Education Nationale en impliquant sans cesse leurs responsables. « Cet appel au changement radical exige, il est vrai, une volonté politique et une détermination de la part de nos gouvernants. Mais il exige aussi et surtout de la part de nous tous, responsables des écoles catholiques et acteurs actifs de l’éducation à tous les niveaux, un ferme et réel engagement de participer à cet élan de changement en interprétant ce message et en le faisant vivre…» 542

Dans ce contexte, nous pouvons mieux comprendre la conception de cet article de la Convention de gestion des Ecoles : « Inscrire les élèves non-chrétiens dans les ECC et y engager des personnels non-catholiques moyennant signature d’un avenant qui les engage au respect des objectifs et idéaux propres aux Ecoles catholiques », engageant aussi les personnels et les parents à faire respecter les normes d’éducation dans le milieu éducatif chrétien. Et notre effort à tous dans ce sens, précise l’Abbé Laurent May Muke, doit être de passer :

De nombreux moments de formation passés avec les personnels et cadres éducatifs, avec les élèves, les parents d’élèves nous ont permis d’échanger avec eux sur plusieurs thèmes. C’est une manière pratique pour connaître entre autres les normes sur l’identité de l’école, les questions et les propositions de la base sur le projet éducatif, ou la gestion et l’administration en éducation, afin d’en ressortir les ressemblances, les divergences, les conséquences dans l’application de cet ensemble d’articles, pour en faire finalement la remontée aux autorités hiérarchiques. Cette façon de procéder nous a amené à prendre conscience de la capacité d’adaptation des normes et des principes de l’éducation aux réalités de la vie de chaque milieu, et de la richesse de l’intégration des valeurs culturelles dans la gestion et l’administration de l’école. C’est le cas de la palabre, où l’écoute, la tolérance et la patience renforcent le dialogue et la négociation. Tout cela assouplit l’administration scolaire, par exemple dans la résolution des conflits, et dans la plupart des cas, dans les engagements des personnels enseignants ou le choix d’un personnel auquel confier la direction d’un établissement scolaire. Le compromis avec les Gestionnaires hiérarchiques devient on ne peut plus indispensable, et la sagesse populaire vivement recommandée en temps de crise. En septembre 1988, la XXVIè Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre réfléchit sur « Le chrétien et le développement de la nation », où une analysegénérale de la situation économique du pays est faite en vue d’une « radicale transformation ».

Les évêques écrivent : « Le temps n’est-il pas venu pour que tous ceux qui jouissent d’une parcelle d’autorité acceptent de clarifier leur conduite et leur attitude vis-à-vis de cette crise tragique et persistante que connaît notre pays ! (…) Nous sommes convaincus que la droiture des mœurs tant morales et politiques qu’intellectuelles est la condition de santé de la société. Il nous faut donc œuvrer à la fois à la conversion des mœurs et à l’amélioration des structures qui souvent freinent le progrès. … » 543 .

Signalons, pour terminer, que l’avènement des « Eglises Nouvelles » 544 marque également son apport dans la vague de changement. Le courant religieux, en effet, avec son comportement social général, engage la population à la volonté de sortir le pays du marasme socio-économique. Des Eglises naissent, mais des nouvelles formes « d’évangéliser pour changer de mentalité » pullulent et deviennent objet de prédication. Quelques conditions ou stratégies sont posées comme politiques éducatives particulières pour changer des mentalités.

Notes
539.

Cfr. SANTEDI, L., « Pour une jeunesse croyante, dynamique et dévouée au service du pays. La contribution du cardinal J.A. Malula au problème de l’éducation de la jeunesse », in SEMAINES THEOLOGIQUES DE KINSHASA, L’Education de la jeunesse dans l’Eglise-Famille en Afrique. Actes de la XXI è Semaine Théologique de Kinshasa du 22 au 28 novembre 1998, Facultés Catholiques de Kinshasa 2001 : Saint Paul-Limete-Kinshasa, 2001, p. 359-371.

540.

Ibid., p. 367.

541.

Ibid., p. 370.

542.

Cfr. Texte du Comité Permanent des Evêques de la République démocratique du Congo : « Lève-toi et marche », Kinshasa 28 juin 1997, cité par MAY MUKE, Laurent, « Instructions sur la rentrée scolaire 1997-1998 », Kinshasa : Bureau de Coordination Nationale des Ecoles Conventionnées Catholiques le 28 août 1997, p. 6 (Lettre Circulaire)

543.

NDAYWEL E NZIEM, I., Op. cit., p. 750.

544.

On appelle « Eglises Nouvelles », toutes les Eglises naissantes avec ou sans reconnaissance légale. C’est le cas des Témoins de Jéhovah, des Pentecôtistes, des Eglises Evangéliques Francophones en RDC, des sectes et Eglises Indépendantes.