3. Difficultés et importance d’un consensus

‘On peut noter avec regret que tous les efforts de l’Etat et des Eglises à promouvoir l’éducation aux valeurs échouent. Beaucoup de raisons à cela. Dans les faits, les deux Institutions ne sont pas toujours unies ; elles n’ont pas les mêmes objectifs, et elles n’ont pas les mêmes critères d’évaluation des valeurs, quoi que l’Etat ne se soit jamais opposé à l’Eglise sur un enseignement à finalité religieuse. C’est pourtant les modes de contrôle et les critères d’évaluation qui les séparent. Il va falloir « créer » une nouvelle forme de collaboration. Si l’ancienne (collaboration) n’a pas, de fait, permis le développement du système éducatif et la réalisation de ses objectifs pour l’éducation de la jeunesse, la nouvelle doit dépasser l’aspect conflictuel, opposé, et créer de manière originale « d’autres niveaux, là où il s’agit de conseils, de consultation, d’actions sociales » 569 . Au niveau de l’enseignement, cette collaboration tant recherchée reste néanmoins à déterminer. ’

Il faut rappeler, par contre, que l’Etat 570 est toujours intervenu dans le secteur éducatif. Cela remonte à la période qui précède l’Indépendance du Congo, comme nous l’avons signalé. Seulement, en matière scolaire, il ne suffit pas, pour l’Etat et les Eglises, de signer des conventions, comme nous le montre l’Histoire congolaise de l’Enseignement. Le consensus de leur contenu et leur application viendraient, nous semble-t-il, au premier plan. La disparité de points de vue au sujet de la Loi-cadre scolaire de 1986 en dit long. En effet, ce texte qui ferait l’unité des Institutions dans la gestion des écoles nationales, a pu être mal accueilli par les Eglises ; son application au niveau national par toutes les institutions scolaires et éducatives a posé problème jusqu’à la proposition d’un nouveau projet de Loi-cadre en 1999. Son authenticité a été certes acquise du point de vue des principes, mais le Chef de l’Etat, le Maréchal Mobutu Sese-Seko, n’a jamais approuvé les mesures d’application de ladite Loi et son application officielle sur l’étendue nationale. Cela tient au fait que jamais il n’y a eu de compromis entre l’Eglise et l’Etat sur une loi scolaire qui définisse les responsabilités des partenaires éducatifs. D’où la réticence des Eglises à tenir compte de la Loi-cadre, dans la gestion des écoles. En effet, « l’administration décentralisée du système éducatif et l’intégration des écoles au plan national de développement » sont l’objet des discussions de l’Eglise et de l’Etat, en vue de déterminer des dispositions légales du système éducatif 571 . Entre-temps, notons qu’il n’y a pas eu, pour remplacer la Loi-Cadre, un texte provisoire de gestion des écoles par l’Etat, les sociétés missionnaires ou privées, les entreprises, les parents et les élèves. Toutefois, la Convention de gestion des écoles signée en 1977 entre l’Etat et l’Eglise reste à ce jour l’unique document de référence, sans doute pas suffisant pour trouver solution à l’urgence de déterminer les responsabilités des partenaires éducatifs. C’est elle qui a continué bon gré mal gré à faire l’unité de la question de l’enseignement. Toutefois, à partir de 1999, le Cabinet du Ministre de l’Education Nationale a élaboré un Projet de Loi-Cadre portant organisation du système éducatif en République Démocratique du Congo (Avant-Projet) et une Déclaration de politique éducative donnant les grandes orientations du Nouveau Système éducatif de notre pays.

L’analyse critique et juridique qu’en fait Busugutsala 572 adresse à ladite Convention quelques reproches :

Dès le début, « l’autorité en place a tenté d’intervenir pour coordonner ces différentes composantes et contrôler leurs actions afin de maintenir l’unité nationale dans les objectifs éducatifs à atteindre.» Posé de cette façon, ce texte aide à comprendre le fondement historique de la centralisation de l’administration et la gestion scolaire par l’Etat, pour le maintien de l’unité nationale au milieu des morcellements importants du système éducatif et de sa gestion en majorité par les Eglises.

L’évolution historique de la fondation des écoles en général montre que l’Eglise catholique a eu une tâche importante dans l’organisation des écoles qui, de fait, étaient essentiellement catholiques. L’estime accordée à l’Eglise catholique, son antériorité historique et l’accumulation de son expérience dans la création et la gestion des écoles justifie qu’aujourd’hui nous puissions comprendre sa place de choix, mais aussi son souci de servir la Nation. C’est ce que souhaitent d’ailleurs les autres Eglises, dans le développement et les efforts de la reconstruction du système éducatif de la RDC.

Mais il convient de noter aussi que l’Eglise n’échappe pas au contrôle de l’Etat, au fil de la trame d’événements historiques dans le développement du système éducatif. Comment accepte-t-elle elle-même cette façon de faire ? S’y sent-elle à l’aise ?

Sur les relations Eglise-Etat 573 , les textes du Recueil des Directives et Instructions Officielles montrent que l’Eglise collabore avec l’Etat sur la gestion de l’Enseignement primaire et Secondaire, sans oublier que l’Etat a le droit d’exercer sa souveraineté et son contrôle du système éducatif. Cela n’exclut pas les accords de principe et le mandat de l’Etat aux Eglises et aux Associations de gestion sur base de convention.

Lorsqu’il s’agit de l’éducation aux valeurs chrétiennes, l’Eglise s’éloigne-t-elle trop de cet article, de son application par rapport à l’Etat ou privilégie-t-elle sa «supériorité » ? Respecte-t-elle la souveraineté de l’Etat dans le contrôle de toutes les Ecoles ? Ne s’engage-t-elle pas dans la voie de l’évidence (elle a le droit de créer et de gérer ses écoles) et de l’autonomie de gestion de ses écoles (oubliant de se référer avant tout à l’Etat, garant de la création et la gestion des écoles de toute la Nation, parce que biens publiques) ?

Pour parler de l’éducation religieuse et de la collaboration Eglise-Etat, il est dit que «la Loi-cadre donne enfin la classification du personnel de l’enseignement national, les infractions et sanctions en matière d’enseignement ainsi que quelques dispositions spéciales concernant la gestion de l’enseignement par les Eglises et sectes religieuses, les représentations diplomatiques ou les personnes privées, morales ou physiques » 574 .

Précisément, l’Etat exerce sa souveraineté sur l’ensemble de l’enseignement, en même temps qu’il a l’obligation d’assurer l’éducation de la jeunesse et des adultes. Il ne refuse pas non plus à l’Eglise le droit de gérer les Ecoles, ce qui facilite la collaboration. La latitude est bien accordée aux parents de choisir l’école d’éducation pour leurs enfants : «les parents ont le droit de placer leurs enfants dans l’établissement d’enseignement de leur choix et de leur assurer l’éducation intellectuelle, morale et religieuse de leur option, sous l’autorité et avec l’aide du MPR » 575 . Quels sont donc les fondements philosophiques de ces nouvelles ébauches de l’éducation et les conditions de leur réalisation ?

Notes
569.

LUDIONGO, E., « Collaboration nouvelle entre l’Eglise et l’Etat dans le domaine de l’éducation de la jeunesse », in SEMAINES THEOLOGIQUES DE KINSHASA, L’éducation de la jeunesse dans l’Eglise-Famille en Afrique. Actes de la XXI è Semaine Théologique de Kinshasa du 22 au 28 Novembre 1998, Facultés Catholiques de Kinshasa 2001 : Saint-Paul-Limete Kinshasa, 2001, p. 278.

570.

RDIO, p. 34-35.

571.

BUSUGUTSALA Gandayi Gabudisa, Op. cit., p. 197.

572.

Cfr. Busugutsala, Op. cit., p. 197-198, que nous paraphrasons.

573.

RDIO, p. 25.

574.

Ibid., p. 35.

575.

Idem.