Chapitre 7 : « Philosophie » de l’éducation aux valeurs.

I. - Education aux valeurs : quelques conditions de réalisation…quel problème ?

En RDC, l’Etat et l’Eglise demeurent jusqu’à ce jour deux promoteurs des écoles, les « acteurs » de l’éducation et les témoins de l’effort communautaire et national pour changer es mentalités. Et, on ne le dira jamais assez : La crise socio-économique a gravement engendré la crise des consciences.

Nous pouvons dire que, en général, du point de vue matériel, la société n’offre pas assez de moyens à ces Institutions pour réaliser leur œuvre, et assurer la réussite des objectifs scolaires. Par contre, avec l’Etat et l’Eglise, la société pense aussi le changement radical des mentalités possible alors qu’elle semble elle aussi devenir, malgré elle, le réceptacle d’anti-valeurs : vol, banditisme, pillage, corruption, enlèvement, assassinat, négligence de la « res publica », etc. Celles-ci se propagent, et s’infiltrant par la culture, la danse, les médias, « les religions populaires », les phénomènes de société, elles germent à l’école. Ces trois Institutions (Etat, Eglises et Société) envisagent, réellement pourtant, de changer les mentalités de toutes les couches sociales, de tous les âges, et dans tous les secteurs de la vie, surtout l’enseignement scolaire. Or, la population scolaire constitue plus de trois-quarts de la population congolaise. Et donc, la jeunesse, qui représente l’avenir de toute la nation, manifeste un désir croissant de réussir sa vie. L’école lui en offre un lieu favorable. Cette jeunesse baigne, hélas, dans les anti-valeurs. Son éducation est en crise, une crise aggravée par la politique. Elle vit douloureusement sa crise humaine, intellectuelle, morale. Les lieux de la promotion de son éducation en sont tous aussi victimes. Face à cette situation, elle n’a qu’une seule envie, celle d’en sortir, et de s’ouvrir à de nouveaux horizons. Ses larmes, ses cris et sa vigueur rythment le slogan que l’Etat, l’Eglise, la société, la famille : « changement des mentalités ». Pour elle, comme pour tous les acteurs de son éducation, ce changement des mentalités fait appel à une éducation comme sa condition de possibilité, dont il est nécessaire de préciser le champ d’application et ses conditions de faisabilité.

Devant les comportements décrits et les constats d’une grave dérive du système éducatif scolaire, la majorité des Congolais souhaitent en effet que les comportements de chacun changent ; qu’ils se réfèrent à des principes moraux, à des valeurs universelles reconnues, pour que le vivre ensemble dans notre société soit constructif. Changer la mentalité congolaise (chez les parents, les éducateurs, les élèves), cela veut dire faire évoluer un ensemble d’opinions, d’idées ou de croyances de cette société et des individus qui la composent. Les établissements scolaires qui s’adressent aux jeunes, lesquels sont les meilleurs vecteurs ou « passeurs » des souhaits de ceux qui gouvernent, devraient être capables de faire acquérir une véritable conscience morale, par une formation suivie et forte. Le socle de cet éveil aux valeurs morales de la conscience est ce que nous appelons une éducation aux valeurs.

Il pourrait également s’agir d’un changement réel et efficace d’éducation ou de la conception de celle-ci au niveau des personnes, des méthodes de travail, des structures, des objectifs, des infrastructures, mais surtout d’une éducation aux valeurs qui constituent la trame des pensées qui créent et sous-tendent l’agir des personnes, les méthodes, les objectifs, les structures, les infrastructures.

Sous l’expression « philosophie de l’éducation aux valeurs », nous mettons les différentes « expressions » de celle-ci, c’est-à-dire les modes et conditions de réalisation de ce type d’éducation qui permettrait réellement le changement espéré. Nous serions tenté d’aborder cette question ainsi : A quelles conditions réussir l’éducation en général ? Chaque institution aurait-elle « sa (ses) philosophie (s) de l’éducation aux valeurs », avant d’en découvrir une : celle qui pourrait être commune ? Il convient tout autant de chercher à y découvrir les enjeux indispensables (« conditions ») pour promouvoir une telle philosophie, qui se joue et se vit aux confluents des événements quotidiens de l’actualité et des générations.

La clé des réponses se trouve dans ceci. Depuis l’Indépendance du Congo, les efforts louables, pour réformer le système éducatif de notre pays, ont abondé et, sous diverses expressions, la volonté de changer a eu des résultats positifs jusque vers 1975. La crise du système éducatif qui se déclare à partir de 1975 et devient profonde vers 1985, interpelle tous les acteurs de l’éducation et les autorités politiques du pays. Il était urgent d’en rechercher les causes et les solutions.

Déjà, en 1984 576 , le Président de la République, Monsieur Joseph-Désiré Mobutu est conscient de la crise du système éducatif, qu’il focalise dans l’inadaptation de l’enseignement (chômage de plusieurs diplômés), le manque d’infrastructures et l’insuffisance des capacités d’accueil dans les établissements scolaires, la dévalorisation de la fonction enseignante. Il proclame, pour y remédier, la nécessité d’une réforme de l’enseignement, qui ait pour but la professionnalisation et le partage des responsabilités et des charges financières, en vue d’enrayer le chômage, de relever le niveau de l’enseignement et de revaloriser la fonction enseignante. Il faut donc tout libéraliser, pense Mobutu, pour y arriver. Le but et les objectifs de cette réforme doivent, selon lui, reposer sur une plus grande attention aux valeurs éthiques et une profonde transformation de la société, conviée à un redressement moral.

Encourageant ce projet de réforme, les Evêques de la RDC approuvent aussi, la même année, le principe de la professionnalisation de l’enseignement national. Bien plus, ils insistent sur la nécessité de ne pas séparer la réforme de l’école de la réforme de notre société. Les propositions du Gouvernement et des évêques aboutirent, en 1986, à l’élaboration des principes juridiques, et des grandes orientations de l’enseignement en RDC. Dans le cadre du redressement national et pour répondre essentiellement au souci des évêques de marier la réforme de l’enseignement à celle de la société, le Président de la République du Zaïre, lance, le 14 janvier 1990 577 , la consultation nationale des « forces vives » de la nation et les invite librement à transmettre leurs idées et leurs considérations sur le fonctionnement de nos institutions au regard des exigences socio-économiques du développement.

Cet appel, l’envisageait-il, réclame la contribution de chaque fils et fille du Zaïre « à la recherche du chemin du bonheur, du développement intégral et de la prospérité auxquelles aspire tout notre peuple. » 578 Mobutu autorisait donc, en la déclarant libre, que cette consultation nationale recueille des suggestions et des propositions constructives pour sortir le pays de sa crise profonde. Celles-ci devaient aussi passer par des critiques sur la situation générale du pays. Dans leur démarche, les évêques ont non seulement stigmatisé « les racines de la crise des Institutions », mais ils y ont aussi proposé des « remèdes prioritaires ». Parmi ceux-ci, ils ont avant tout suggéré le changement des mentalités, pour renouveler le Zaïre. Chaque citoyen zaïrois devrait ainsi s’y engager. Au niveau du Gouvernement, pour garantir ce changement, les évêques estiment importantes d’abord la nécessité de changer les structures et les systèmes politiques et économiques, ensuite la nécessité de soumettre tous les zaïrois à une Constitution stable et aux lois nationales qui ne pourraient désormais être promulguées qu’au seul profit de la nation, dans le respect de la procédure prévue par la loi, des règles éthiques conformes aux aspirations du peuple Zaïrois et reconnues par l’ensemble des nations modernes. Ils estiment enfin nécessaire que le Gouvernement soutienne l’action des personnes qui s’efforcent de former les consciences et de les inciter à la poursuite des valeurs transcendantes.

Dans le secteur de l’enseignement, en particulier, ils proposent, à la suite du Chef de l’Etat, la revalorisation de la fonction enseignante, et invitent ce dernier à reconnaître qu’il revient aux autorités politiques de garantir aux citoyens l’accès à l’éducation de qualité. Le Président Mobutu, irrité de la publication de toutes ces propositions des évêques à travers leur mémorandum, « le déclara irrecevable du fait qu’il aurait, de ce fait, été adressé d’abord au Prononce apostolique de Kinshasa (…) avant qu’il ne soit transmis au Président de la République. Le Nonce, l’ayant trouvé à son goût, l’aurait alors soumis aux Ambassades des Etats-Unis, de France et de Belgique. Le Président Mobutu convoqua, à cet effet, Mgr. Monsengwo, président de la Conférence épiscopale du Zaïre, pour lui signifier toute son indignation devant la procédure utilisée. » 579

L’analyse que fait Ngomo-Okitembo de cette dernière réaction de Mobutu contre les évêques et leur procédure en vue du changement montre en réalité que le texte n’a pas été envoyé à Rome, mais a été simplement publié avant la fin des consultations populaires et avant le Discours du Chef de l’Etat à la nation, au terme de celles-ci. C’est cela qui l’a mécontenté et lui a fait convoqué des évêques sans non plus fournir des réponses à leurs propositions. Toute la nation en fut déçue, car, les consultations populaires et les réponses qui s’en sont suivies n’ont pas eu d’effet. Cette attitude désengage davantage les Congolais de l’effort national et individuel pour le changement des mentalités. Pourtant, pour y arriver, les personnes qui devraient promouvoir et encourager l’éducation, avant de parler de l’éducation aux valeurs, devaient d’abord être eux-mêmes facteur de changement des mentalités. A ce titre, elles devraient être des acteurs et incitateurs de changement, et donc profondément porteurs des valeurs de l’éducation.

Or, dans les principes de l’éducation déjà présentés, nous avons relevé l’écart entre la théorie et la pratique. Tout ceci interpelle l’éducateur et l’incite à penser à une pédagogie et à une didactique de l’éducation aux valeurs grâce à des écoles conscientes des enjeux du changement des mentalités dans ce système éducatif complètement et encore déstabilisé par la crise multiforme de la RDC.

Notes
576.

Nous nous référons au MEMORANDUM DES EVEQUES ZAIROIS AU CHEF DE L’ETAT, in La Documentation Catholique N°2006 du 20 Mai 1990, 511-515.

577.

Idem.

578.

Idem.

579.

NGOMO-OKITEMBO, L., L’engagement politique de l’Eglise catholique au Zaïre 1960-1990, Paris : L’Harmattan 1998, p. 307.