III. - Quelques réponses.

Une remarque : Les réponses à cette question nous amèneront à reprendre certains thèmes déjà développés dans notre thèse.

1. Raisons historiques, anthropologiques, politiques de l’échec du Système éducatif de la RDC 

- Causes structurelles, que décrit Le Mémorandum des évêques du Zaïre, réunis à Kinshasa du 7 mars 1990 au 9 582 . Les structures de l’Etat congolais vivent un système politique hybride, s’inspirant du libéralisme (jouir de la propriété privée – ce qui ne profite que très peu à la majorité des Congolais-), du totalitarisme (conquête et maintien du pouvoir par un homme ou un groupe– ce qui donne naissance à un pouvoir absolu, autocratique) et du recours à l’authenticité (ce qui donne naissance à un pouvoir monarchique et ignore la solidarité du chef de l’Etat avec tout son peuple et la participation de tous à la gestion de la chose publique).

  • L’éducation est mise au service de l’idéologie politique du chef d’Etat, le mobutisme, sous la IIème République.
  • Le travail est fait en ordre dispersé. Les réformes sont successives dans l’enseignement, mais il a manqué la volonté politique de faire de l’éducation une vraie question politique.

Quelques raisons justifient et renforcent cette façon de faire  :

  • a) Le désengagement de l’Etat congolais de ses obligations essentielles, se traduit par une mauvaise gestion caractérisée dans tous les domaines, dont celui de l’enseignement. Augustin Kamara Rwakaikara écrit à ce sujet : « La République démocratique du Congo est un pays à reconstruire totalement. Après plus de trois décennies de désengagement de l’Etat de ses obligations essentielles se traduisant par une mauvaise gestion caractérisée dans tous les domaines, le pays se trouve aujourd’hui dans une crise aiguë. Le secteur de l’éducation n’a pas échappé à cette dure réalité. » 583
  • b) Des décisions de l’Etat en matière d’enseignement sont unilatérales et souvent sans lien avec les attentes des parents, des élèves et de la société.
  • c) L’exclusion des acteurs de l’éducation et des membres de la société pour aborder la question de l’enseignement s’est traduite clairement dans le manque de volonté politique et dans les réticences répétées à changer, même si des prises de conscience de la crise sont effectuées au niveau social et gouvernemental, et que des propositions ou des mesures sont données pour en sortir. Tout est resté lettre morte. Le changement envisagé en 1986 par le Congrès ordinaire du MPR et encouragé par le Chef de l’Etat, Monsieur Joseph-Désiré Mobutu, n’y est pas arrivé.

L’Historien congolais Isidore Ndaywel au sujet de la crise des structures politiques, écrit : « Les structures politiques subirent une fois de plus des transformations dans l’espoir d’éviter des dérapages et d’assurer un contrôle strict de l’ensemble de la vie nationale. Le changement ne survint pas pour autant. Il fallait plus qu’une simple réforme et qu’une déclaration de bonnes intentions pour faire sortir le régime du carcan dont il s’était fait lui-même prisonnier. » 584

  • Mobutu, qui déscolarise la société, entreprend par là même une révolution de l’école : pour lui en effet, la société n’est plus conçue comme ce lieu de la promotion de l’individu.
  • Vers 1985, à la morale révolutionnaire est donnée une réponse révolutionnaire dans tous les domaines. La société relativise gravement les principes de cette morale parce que, pour elle, l’Etat est fictif. Elle prend en effet conscience de l’inefficacité de l’Etat, mais, cherchant seul sa propre survie, et « sans le savoir, chacun devenait ainsi l’artisan de son propre malheur 585 La société n’est plus impliquée, donc n’est plus au centre de tout ce qui concerne l’intérêt collectif. Ce qui motive et éclaire sa décision, c’est de constater que, comme le souligne Isidore Ndaywel, « au niveau des pouvoirs publics, certaines structures politiques et économiques n’étaient créées que pour faire plaisir à des individus, ou encore pour des règlements de comptes : d’autres permettaient à certains privilégiés de résoudre leurs problèmes personnels. Aucune norme n’était acquise de manière absolue. » 586

Toutes ses actions (société) seront de plus en plus éclairées par cette « philosophie », que nous avons souvent dénommée idéologie mobutiste.

Avec l’Authenticité, Mobutu a sûrement dépopularisé l’école, et donc désintellectualisé la société. La zaïrianisation en 1970 et la révolution contre l’école (moins d’écoles missionnaires, pour peu d’élites et peu de chrétiens, garants des valeurs) en disent long. Il le manifeste par l’étatisation des écoles, avec les conséquences graves des années 1971-1972 et 1973-1975 (Rivalité Etat-Eglise).

Ainsi, la société se donneses principes propres, en vue de dénoncer l’Etat. Concrètement, « cette morale populaire » vise la fin du règne d’un Etat fictif. Cependant, les moyens pour y arriver – et c’est là que la population elle-même se compromet – sont déloyaux et provoquent le désengagement total de l’homme dans la construction du pays. Du coup, la société congolaise se trouve démobilisée sur le plan moral et vit des anti-valeurs : l’oisiveté et l’irresponsabilité, le manque de conscience professionnelle, la complicité et la solidarité dans le mal, la paresse, l’individualisme, l’égoïsme. La nation congolaise contribue elle-même à conduire le pays au fond de l’abîme. De fait : « …Le fonctionnaire ne devait jamais trop s’adonner au travail car « le travail de l’Etat ne se terminait jamais » (Mosala ya leta esilaka te). Au don Quichotte qui aurait contredit ce propos, on rappelait que le relèvement du Zaïre était bien éloigné dans le temps ! « Celui qui doit redresser cette société n’est pas encore né » (Moto akobongisa mboka oyo, naino abotami te !) » 587 Ces phrases étaient chantées d’une manière ou d’une autre dans des écoles, par les parents, les jeunes, et elles maintenaient la société dans un minimalisme consenti depuis bien avant 1978, où l’on dénonce le « Mal zaïrois ».

  • Les déficiences et les perturbations du Système éducatif, comme nous l’avons décrit dans le chapitre « Que fait l’Etat ? Que fait l’Eglise par rapport à tout cela ? ».
  • L’enseignement est apolitique et les droits de l’enfant pour son éducation ne sont pas respectés ;
  • L’identité de l’école et de ses objectifs n’est pas connue.
Notes
582.

Cfr. NGOMO-OKITEMBO, L., Op. cit., p. 306-310.

583.

MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, Plan-cadre national pour la reconstruction du Système éducatif de la République démocratique du Congo. 1 : Présentation du Plan-cadre, Kinshasa : Cabinet du Ministre, août 1999, p.iv.

584.

NDAYWEL E NZIEM, I., Op. cit., p. 750.

585.

Ibid., p. 749.

586.

Idem.

587.

NDAYWEL E NZIEM, I., Op. cit., p. 749.