II. - Le partenariat éducatif pour l’éducation aux valeurs

L’éducation en RDC est un « sacrifice »

‘« Eduquer quelqu’un, c’est donc lui faire comprendre qu’on n’a rien sans rien, c’est-à-dire sans efforts, sans risque d’échec, et que ce sacrifice, loin de nier la valeur de ce qu’on sacrifie, l’exige. » 609

Pour cette raison, si l’éducation impose des sacrifices, elle ne doit pas imposer « des sacrifices vides », « il faut que chacun d’eux soit comblé par la valeur qu’il permet d’atteindre, comme la perle qui remplace, et bien au-delà, tout ce que l’on abandonne pour elle 610 Le désir du nouveau donne de la valeur au changement qui devient lui-même avant tout une valeur qui fait désirer. Pour y arriver, il faut donc renoncer à des biens réels, en toute connaissance de cause. C’est cela qui fait que le Congolais ose prendre des risques en vue de donner sens à sa vie et au pays tout entier. Voilà qui peut nous aider à comprendre la place du sacrifice des parents qui, en temps de crise, font de leur mieux pour sauver les écoles qui sont les lieux privilégiés de la formation des consciences. Tout cela évidemment avec le souci de changer et d’apporter améliorations liées au temps, aux personnes et aux lieux. De ce fait, ils arrivent à se cotiser pour payer les frais scolaires des enfants, et compenser l’insuffisance budgétaire du Gouvernement. On peut également comprendre les efforts conjugués des parents, des enseignants dépourvus de moyens économiques pour leur vie quotidienne, mais qui investissent temps, argent, énergie, en vue de permettre à l’enfant d’étudier. Il faut finalement comprendre, pourquoi, dans cette forme de vie très dure, les gestionnaires, les personnels et cadres éducatifs se dévouent pour organiser l’école ou les sessions de formation dans les régions occupées par les rebelles. Les écoles y sont surtout organisées dans des conditions impossibles ; les milieux ruraux n’offrent pas toujours les conditions minimales pour le fonctionnement d’une école.

Tous ces efforts librement consentis portent à croire que l’école et l’éducation de l’enfant ont une valeur indéniable, et que, par elles, on peut former les consciences déformées, ou naissantes, en vue de bâtir la société congolaise sur des principes éthiques, et de corriger ceux qui ont été détournés par ce qui a été appelé authenticité et par une structure politique centralisée. C’est dire qu’il y a, dans l’âme congolaise, foi en la valeur de l’école et en l’importance de l’éducation et de ses objectifs, non seulement pour changer les mentalités, mais surtout pour faire mûrir les valeurs de la vie. De plus, nous pouvons affirmer que l’éducation ne peut en aucune manière être considérée comme une valeur surajoutée, car le vide créé par la « désintellectualisation » ou « la déscolarisation de la société », réclame d’être comblé. Les interpellations de la société, pour reconstruire, sont nombreuses. Il suffit d’en découvrir la portée éducative, sans juger trop vite les résultats immédiats, car il y a aussi un besoin de survie. La déscolarisation qui a provoqué ce vide a fait naître dans la société des phénomènes de compensation mais bien insuffisants comme les petits métiers que l’on voit dans les rues des villes. Et pour le monde rural, on constate une ruralisation 611 des villes et une désurbanisation des grandes cités. On découvre alors des pratiques de la campagne au cœur des villes. Pour une petite part le vide dont il a été question est comblé par ces phénomènes, mais bien insuffisamment et le désir de l’école n’est pas évacué pour autant. Dans son article « Population et pauvreté à Kinshasa » 612 , Théodore Tréfon, qui emploie le terme « désurbanisation », précise que c’est un phénomène dont les formes peuvent varier de la réinstallation en périphérique de Kinshasa, au retour au lieu d’origine ou encore à l’émigration vers une autre ville. Au phénomène de la « ruralisation » et aux petits métiers, on peut ajouter l’éducation par les sectes. Le phénomène des sectes est lui aussi une interpellation de la société pour combler le vide créé par la « la désintellectualisation » et la « déscolarisation de la société ». En effet, les sectes, par leur approche évangélique, assurent un début d’éducation pour la masse constituée par les jeunes et les adultes qui sont pour la plupart non scolarisés. Mais cette première approche suivie de dons d'alimentation est assez rapidement supplantée par ce que la secte exprime comme besoins auprès de ses adhérents, et les fruits de l’éducation promis ne sont pas là. Un apprentissage des savoirs scolaires paraît une voie pour rendre tout cela durable.

Notes
609.

REBOUL, O., Les valeurs de l’éducation, Paris : PUF, 1992, p. 32.

610.

Ibid., p. 33.

611.

Pour continuer soit à se nourrir, soit à payer les études, les congolais développent des stratégies de survie. Théodore Tréfon voit dans la « ruralisation » une de ces nombreuses stratégies. Au sens strict, il parle de l’agriculture urbaine, c’est-à-dire que dans les villes sont organisés beaucoup de potagers pour des raisons économiques, ainsi que des activités d’élevage de la volaille, etc. Tréfon désigne, par la « ruralisation », les attitudes et les comportements ruraux qui pénètrent les villes et y sont vécus, à rebours.

612.

TREFON, T., « Population et pauvreté à Kinshasa », in Afrique contemporaine N°194, Paris : Documents de la documentation française, 2 ème trimestre 2000, p. 82-89.