Modélisation d'une théorie d’apprentissage

Pour faire le lien entre notre conception du savoir et de son élaboration et l'analyse de la pratique pédagogique, nous avons tenté de construire un outil d'analyse plus large, cohérent avec cette conception, pouvant la « modéliser » 615 et l'exprimer sous une forme plus concrète. Cinq étapes du processus enseigner-apprendre ont été retenues pour former un cadre explicatif dans lequel s'insèrent les concepts clés qui le précisent et les outils qui le font fonctionner. Ces cinq étapes peuvent être considérées comme des conditions qui affectent le processus enseigner-apprendre, dans la perspective de médiation cognitive prise ici. Celles-ci ont été obtenues par l'analyse des effets de nos expérimentations des modèles pédagogiques 616 : nous avons retenu les éléments communs qui pouvaient expliquer la réussite des apprentissage des élèves. Ce modèle qui prend la forme d'une grille d'analyse peut être qualifié de modèle socio-cognitif pour indiquer qu'il se situe dans un courant plus large de pensée, philosophique, psychologique, sociologique, biologique, lequel présuppose que l'homme est un être situé socialement, historiquement et culturellement. La grille ne peut donc pas être séparée des théories qui la fondent.

Quant à notre recherche, c’est le 3è point qui nous intéresse le plus et que nous voulons approfondir. La 3è condition concerne l’engagement de l’étudiant, mais les deux premières conditions, qui préparent le niveau d’abstraction (en fonction du transfert, donc un savoir mis en application) concernent également, indirectement, l’engagement des étudiants, car leur implication dépend également de la qualité des supports qu’on leur offre.

Comme le précise Britt-Mari Barth, « cette grille, avec ses limites, cherche ainsi à prendre en compte l’apprenant dans sa globalité, en situant l’apprentissage dans ses dimensions à la fois cognitive, affective et socioculturelle. Les différents « scénarios 617  » qu’un tel cadre théorique peut induire ont en commun de chercher à outiller l’apprenant pour le rendre, à long terme, conscient de ses propres capacités intellectuelles, plus confiant et donc plus autonome dans ses apprentissages futurs. Dans cette perspective, le rôle de l’enseignant-médiateur – chargé de créer une culture d’apprentissage qui rend cela possible – reprend sa place essentielle » 618

Telle qu’elle se présente actuellement, cette grille peut être utilisée pour trois fonctions : l’élaboration des séquences d’apprentissage, la réflexion et la prise de conscience des conditions qui affectent le processus enseigner-apprendre, et l’évaluation de situations d’apprentissage ou de dispositifs de formation.

Pour aider à mieux intérioriser le « modèle » pédagogique d’apprentissage, il faut déterminer l’objet de l’apprentissage. Deux entrées sont possibles. Tout d’abord, pour cette recherche, ce sont des valeurs, que nous voulons transmettre. Sans en donner la liste exhaustive, nous pouvons nous référer, par exemple, aux valeurs traditionnelles africaines qui sont unanimement acceptées de tous les africains et sont, à cet effet, devenues partout en Afrique des valeurs-mères ou centrales. Par exemple la solidarité et le partage, etc.

Mais, on pourrait également prendre pour objet d’apprentissage n’importe quelle matière scolaire. On va donc aider les élèves à les apprendre et la façon d’apprendre ces matières va sans doute induire des valeurs, quel que soit l’objet de l’apprentissage. Cette deuxième entrée est une autre façon de voir l’éducation aux valeurs.

Fondamentalement, la 3è condition de la grille susmentionnée concerne l’intersubjectivité. Selon la définition de B.-M. Barth, « l’intersubjectivité est une entente explicite non seulement sur l’objet de l’apprentissage, le contenu , mais également sur la démarche à suivre » 619 . Un « contrat conceptuel » 620 est établi avec les apprenants pour créer une adhésion à un projet commun, par la négociation de leurs questions, et les inciter à la construction du savoir et du sens. Le « contrat conceptuel », précise Barth, est un outil pédagogique dont le but est « de faire prendre conscience de l’importance de clarifier les rôles et les enjeux dans le processus enseigner/apprendre » 621 , mais aussi d’outiller les apprenants pour qu’ils arrivent à l’élaboration du sens, ce contrat va préciser les conditions affectives et sociales. C’est-à-dire, rassurer pour dire qu’on est considéré et accompagné dans son apprentissage, qu’on peut réussir, qu’on a une liberté intellectuelle et psychologique, qu’on peut avoir confiance en soi et dans les autres. C’est aussi clarifier les enjeux personnels : on a droit à la parole ; on peut  échanger, négocier, on a droit à l’erreur, au doute, aux questions, à l’écoute. On précise aussi, que dans ce contrat, les apprenants et les enseignants sont les partenaires d’un projet commun. Tout est fait pour que chacun puisse apprendre. Chacun a son cheminement : négociation du sens, création « d’un espace de liberté » où chacun participe « avec ce qu’il est et ce qu’il sait » ; le souci d’amener l’apprenant à comprendre ce qu’il apprend et ce qu’il sait, et non seulement à le mémoriser est premier. Les critères d’évaluation sont explicites : chacun a une bonne chance de réussir, on peut s’auto-évaluer, se corriger ; personne n’est jugé ; chacun peut être juge de son propre travail.

Nous voudrions aussi réfléchir sur l’éthique de cette formation dont quelques réflexions peuvent se comprendre mieux à la lecture de « Pour une éthique de l’enseignement des sciences » de Gérard Fourez  pour qui « Il n’y a pas moyen d’enseigner les sciences sans proposer des valeurs ou des idéologies… » afin de permettre la socialisation de l’élève à travers « les contenus, les relations interpersonnelles, les discours sur les objectifs sociétaires, l’institution » 622 .

Notes
615.

Renvoie ici à l’acte de mettre en œuvre un processus mental, de le concrétiser, de le rendre observable.

616.

Modèle pédagogique signifie, selon B.-M. Barth, l’exemple d’une application pédagogique élaborée pour être généralisable ; une proposition pédagogique généralisable (description ou ensemble de règles).

617.

Cfr. Annexes III.

618.

BARTH, B.-M., “La construction du sens : une approche socio-cognitive de la médiation », in Gérard TOUPIOL, Apprendre et comprendre (sous la direction de -), p. 65-83.

619.

Cfr. BARTH, B.-M., « Conceptualiser le passé pour s’outiller dans le présent », in Mathieu BOUBON et Jean-Louis JADOULE, Entretien avec Britt-Mari BARTH, Belgique 2000, p. 2 (propos recueillis).

620.

Appelé actuellement contrat d’intersubjectivité par B.-M. Barth, Le savoir en construction. Former à une pédagogie de la compréhension, Paris : Retz 1993, p. 150.

621.

BARTH, B.-M., Le savoir en construction. Former à une pédagogie de la compréhension, Paris : Retz 1993, p. 150.

622.

Cfr. FOUREZ, G., Pour une éthique de l’enseignement des sciences, Bruxelles : Vie Ouvrière 1985, p. 7 ; 118.