1. Le rôle de l’enseignant.

1.1. L’enseignant est médiateur.

Notre expérience professionnelle dans l’enseignement de plusieurs matières aux trois degrés d’études secondaires dans quelques écoles catholiques du diocèse d’Idiofa en République Démocratique du Congo a rejoint celle de la gestion et l’administration scolaire comme Inspecteur de l’Enseignement secondaire. Nous avons eu à théoriser la pratique des personnels éducatifs, et aussi à appliquer la théorie.

Depuis, nous avons pris de la distance à l’égard de tout cela, afin de nous outiller. Nous pouvons aujourd’hui interroger à la fois la pratique et les cadres théoriques. Car, la formation est le point de départ pour être initié au rôle de « médiateur » de l’enseignant et au rôle actif de l’élève. Qu’est-ce qu’alors la médiation ? Le médiateur ?

Pour B.-M. Barth, la « médiation, c’est l’acte qui consiste à « outiller » les jeunes qui arrivent dans une nouvelle « culture » disciplinaire (Clifford Geert) pour qu’ils puissent y participer et, à long terme, la faire évoluer. Un accompagnement qui cherche à rendre accessibles aux apprenants la réflexion, les connaissances disciplinaires, les outils « culturels » (Vygotski, Bruner), une attitude de recherche et de collaboration, l’autonomie, l’estime de soi et de l’autre. Cela exige une préparation rigoureuse pour définir les objectifs de connaissance choisis, qu’il s’agisse de contenus disciplinaires, d’outils intellectuels ou d’attitudes et de valeurs ». Le médiateur, lui, est « quelqu’un qui croit en l’éducabilité cognitive et qui a une attitude de compréhension vis-à-vis de l’apprenant, dans le sens de Rogers ».

Dans cette perspective, l’enseignant médiateur doit pouvoir garantir la « sécurité psychologique » et la « liberté intellectuelle » de l’apprenant. Tout ce que l’apprenant est, ce qu’il a et ce qu’il fait a du prix aux yeux de l’enseignant qui doit se porter garant de l’épanouissement et de la réussite de l’élève, et lui permettre d’avoir confiance dans la relation pédagogique. Se nourrit alors la réciprocité maître-apprenant, laquelle ouvre à une espérance : réussir.

La confiance en soi-même et dans les autres, le respect de tout apprenant constituent bien un ensemble de valeurs qui permet l’épanouissement et favorise la socialisation. Ces valeurs mises « en acte » l’aident à donner sens à sa parole, à ses actes. La valorisation de la parole et des actes de l’apprenant devient une preuve de sa capacité à communiquer, à communier, que ce soit dans un milieu homogène ou ailleurs. Il se socialise lui-même et il est capable de communiquer son savoir et ses propres valeurs. Son envie d’acquérir les valeurs peut susciter et éclairer ceux qui les entourent.

En agissant ainsi, on valorise à la fois l’apprentissage authentique individuel et collectif par les interactions du groupe. L’individu et le groupe s’impliquent simultanément dans l’apprentissage des valeurs avec le souci d’en saisir la portée existentielle et de les vivre réellement. Plus profondément, les enseignants doivent être capables de repérer les procédures de l’apprentissage des valeurs de leurs élèves, sans les y enfermer pour autant. Ils doivent les aider à valoriser ces apprentissages sans avoir de réactions trop négatives à leur égard, mais cette « politesse positive de l’altérité » dont parle Jean-Pierre Astolfi 623 . S’incarne aussi véritablement chez l’enseignant son rôle de « médiateur entre l’élève et le domaine des savoirs qu’il doit étudier pour qu’il puisse y avoir accès, et, à son tour, les faire évoluer » 624 . Une double nécessité de former les enseignants ainsi que les apprenants à une logique de l’apprentissage va croissant. Cette formation devient indispensable pour « changer la relation pédagogique » de l’enseignant et de l’apprenant par rapport aux valeurs. En effet, enseignants et apprenants doivent se mettre en « situation d’apprentissage » des valeurs à vivre dans la société. L’enseignant, lui, va pouvoir former les apprenants à repérer des valeurs par la compréhension de leur sens. Il va les initier à identifier ce qui fait la valeur d’une valeur. Concrètement, nous nous situons essentiellement par rapport aux valeurs de base sur lesquelles reposent le contrat qui lie les apprenants et les enseignants, c’est-à-dire le travail et les acquisitions formatrices de l’esprit et de la personnalité qui est le projet fondamental de toute institution scolaire.

Cette approche nous semble un moyen pour réduire les conflits , et augmenter en même temps les chances de réussir l’éducation à la citoyenneté.

Par le processus enseigner-apprendre, on doit aider l’élève à comprendre ce qu’il apprend à l’école. Dans cette perspective, une pédagogie de la compréhension, qui s’appuie sur une nécessaire médiation, doit être mise en œuvre.

Dans le cadre de notre recherche, il s’agit bien d’une médiation pédagogique. En pédagogie, médiation veut dire, pour Britt-Mari Barth 625 , un accompagnement qui rend accessibles aux apprenants la réflexion, les connaissances disciplinaires, les outils intellectuels, et également une attitude de recherche et de collaboration. Pour Britt-Mari Barth, cet accompagnement, qui est assuré par l’enseignant, le rend médiateur en ceci qu’il intervient entre les élèves et le savoir (ce qu’ils apprennent) pour les aider à y accéder, à dépasser leurs fausses conceptions, à y trouver du sens. Ce qui importe à un tel enseignant ce n’est pas uniquement le résultat de la démarche, mais également le processus de construction de savoir, c’est-à-dire la démarche d’apprentissage elle- même.

Ce rôle spécifique de médiation, permet à l’enseignant d’aider l’élève à se « réconcilier » avec le savoir et de faire évoluer ses fausses conceptions. Cette fonction d’enseignant-médiateur exige cependant de celui-ci une sérieuse préparation consistant à définir avec précision les objets de connaissance choisis, afin de mieux outiller les élèves qui arrivent dans une nouvelle « culture » disciplinaire pour qu’ils puissent y participer. Il peut les former à utiliser des « outils intellectuels », comme des concepts disciplinaires à connaître pour comprendre un domaine de savoir, des types de questions que l’on se pose à leur sujet, les modes d’analyse qu’on utilise pour y réfléchir, les supports divers (schémas, grilles d’analyse, des instruments de mesure et d’autres moyens symboliques, le plus important étant le langage).

Pour réussir donc leur apprentissage, l’enseignant-médiateur doit aider les élèves à toujours « donner une forme mentale » aux connaissances. Il ne transmet pas un savoir, mais il met son savoir à la disposition de ses élèves et crée des environnements riches qui doivent les solliciter à participer pour construire leur propre savoir. Voici les enjeux qu’il doit mettre en place pour faire participer les élèves : être soi-même un homme de confiance et mettre l’élève en confiance, notamment le rassurer qu’il a une place pour participer, qu’il a des outils pour pouvoir le faire et qu’il doit donc se sentir en confiance pour le désirer. Tout cela se fait, selon Britt-Mari Barth, pour cette double finalité : faire accéder les élèves à la réflexion et au savoir, et les aider à construire des personnes capables d’agir, de prendre des initiatives, de participer à part entière à la société et non seulement réduites à la subir ou, pire, désireuses de s’en exclure.

Notes
623.

ASTOLFI, J.-P., « A propos des styles d’apprentissage », in Cahiers Pédagogiques N°336-Septembre 1995 : Centre Documentaire, p. 56.

624.

BARTH, B.-M., « Comment avons-nous appris ce que nous savons ? »,in Transversalités N°71-Juillet-Septembre 1999, p. 59.

625.

Lire BARTH, B.-M., « L’enseignant-médiateur. Un rapport renouvelé à la pédagogie ? » in « Médiations et Sociétés », N°6-décembre 2003, 16-17.