II. - Regard sur une méthode pour l’apprentissage des contenus scolaires

Prendre de la distance par rapport à ses propres procédures méthodologiques de transmission doit aider l’enseignant à « repenser la question du rapport au savoir, du rapport au pouvoir et du rapport à l’école » 633 .

Si les valeurs doivent être transmises par l’école, elles sont en passe d’acquérir le statut d’une science à connaître et à transmettre. Considérées de ce point de vue, les valeurs ont plusieurs contenus variés. Elles présentent, en effet, non seulement des difficultés d’identification, mais surtout d’appropriation de leurs contenus et du sens de ceux-ci. Nous en relevons quelques-unes :

On trouve des enseignants qui veulent :

Des lacunes surprenantes sont à constater chez beaucoup d’enseignants. Certains peuvent seulement diagnostiquer les difficultés des apprenants, mais ils ne peuvent pas leur offrir les moyens qui les aideraient à en trouver la solution. Leur formation didactique et (leur formation) aux modèles pédagogiques est assez limitée. Ainsi retombent-ils dans l’idéalisation de leurs pratiques pédagogiques antérieures, et surtout dans une négligence fort inquiétante des finalités honnêtes de l’enseignement. Il s’agit bien de la réussite de l’élève et son implication dans la co-construction des valeurs, et des conditions de leur « vécu » chez les enseignants comme chez les apprenants. Il nous a suffi d’organiser des visites pédagogiques dans quelques écoles pour entendre douloureusement dire par certains enseignants pour justifier l’échec de leurs élèves : « A l’élève de se débrouiller seul, moi, j’ai fait mon devoir par ma régularité aux enseignements et par ma fidélité aux programmes de l’Education Nationale.» Pour certains, des expressions telles que « la réussite des élèves », « bien enseigner », « tenir compte des difficultés des élèves dans l’enseignement et l’évaluation », « veiller à la qualité et au contenu du savoir à transmettre », « identifier les valeurs et leur sens, en rechercher les conditions de réalisation », sont des notions extérieures au souci réel d’enseigner et de questionner leurs pratiques. L’enseignant oublie son rôle de médiateur. Pour d’autres, c’est la recherche d’un équilibre difficile entre le souci de bien faire et la grosse part de sacrifice à s’imposer pour vivre. Et, la plupart des temps, la priorité est accordée à l’école, non pas qu’ils ont tout ce qu’il faut pour enseigner, pas plus que pour vivre, mais ils consentent au « sacrifice » parce qu’ils sont convaincus de la valeur de l’éducation.

Pourtant, pour les enseignants qui se désengagent, le passage des notions générales à celles particulièrement adaptées aux stratégies conceptuelles et méthodologiques des élèves ne peut certes guère exclure le fait que les relations maître-élève pourraient ne pas convenir au maître, en plus de la difficulté de percevoir le sens et l’utilité des valeurs. Ce serait une limite qui bloquerait à coup sûr la signification des représentations des élèves à propos de l’une ou l’autre valeur. L’enseignant semble alors avoir une connaissance limitée, due probablement au champ réduit de sa formation de base. Cette formation réduite l’enferme dans une vision réductionniste des valeurs, et l’empêche de porter les lunettes de l’humilité pour laisser questionner ses connaissances par l’éventail des valeurs de la société et laisser éclairer son savoir par les différentes connaissances utiles. Il s’éloigne des valeurs et des nouvelles connaissances de la vie.

Une prise de distance par rapport à ses propres procédures méthodologiques de transmission l’aiderait davantage à « repenser la question du rapport au pouvoir et du rapport à l’école » 634 . L’enseignant n’est plus au centre de l’apprentissage de l’élève ; en revanche, il l’aide par la recherche à apprendre. Cette dynamique lui permet de renouveler aussi bien ses dispositifs méthodologiques, ce qu’il transmet et sa relation avec les apprenants. Philippe Meirieu affirme qu’en pareille circonstance, il faut mettre en place « le moment pédagogique comme instant où, tout à la fois, l’enseignant est porté par l’exigence de ce qu’il dit, par la rigueur de sa propre pensée et des contenus qu’il doit transmettre et où, simultanément, il aperçoit un élève concret, un élève qui lui impose un décrochage ; un décrochage qui n’est en rien un renoncement ». 635 C’est une manière favorable pour l’enseignant d’aider ses élèves à cultiver la relation éthique, c’est-à-dire la relation de l’apprenant avec les valeurs.

Profondément, l’enseignant sera et fera la fierté de ses apprenants du fait que les valeurs qu’il transmet sont source de plaisir pour lui, mais surtout pour eux, puisqu’ils vivent tous la satisfaction de réussir chacun sa tâche. De ce fait, on court moins le risque de bavarder. Dans ces conditions, il y a du plaisir à apprendre parce que les méthodes de l’enseignant permettent l’acquisition et l’interprétation des valeurs de l’éducation. C’est pour lui un devoir d’assurer « la gestion coopérative de la classe, de l’école ». Ainsi permettra-t-il à ses apprenants de se réinventer davantage dans une ouverture totalement confiante les uns par rapport aux autres.

C’est les inviter à évoluer, à écouter, à s’auto-organiser et à bien répondre dans la confrontation des questions, des hypothèses, des idées.

Dans les relations professeurs-élèves, les élèves sont libres de poser leurs questions. Il ne faut pas cependant que les professeurs considèrent cela de la part des élèves comme une contestation. L’ouverture de l’enseignant à ce type de relation est pour eux comme pour les élèves agent de socialisation, et contribue à construire ensemble un climat favorable à l’exercice commun des valeurs du « vivre ensemble ». De cette manière, on peut faciliter la confrontation des idées entre les apprenants, car de toutes ces confrontations peuvent jaillir des idées différentes porteuses d’enrichissements ou d’éclairages nouveaux. Il y aura moins de risque pour l’enseignant de retomber dans le dogmatisme, dans les inhibitions intellectuelles ou l’immobilisme.

Si « apprendre, c’est apprendre à apprendre », dit Philippe Meirieu, l’acte d’apprendre est une démarche dynamique. Il faudrait que la patience positive trouve place parmi les valeurs éthiques de l’acte d’apprendre (les valeurs). Cela pourrait sans doute aider l’apprenant à construire le sens des valeurs.

Notes
633.

MEIRIEU, P., « L’aide bien sûr, mais l’aide « si »… », In Cahiers Pédagogiques N°336-Septembre 1995 : Centre Documentaire ISP-Paris, p. 17.

634.

MEIRIEU, P., « L’aide bien sûr, mais l’aide « si »… », In Cahiers Pédagogiques N°336-Septembre 1995 : Centre Documentaire, p. 17.

635.

Ibid., p. 13.