Conclusion générale

1. Réponse à la question initiale

Comment éduquer aux valeurs dans un contexte de la rencontre de plusieurs systèmes de valeurs et de conflits de valeurs ? Dans ce contexte comment donner à l’élève les outils nécessaires pour apprendre, former sa personnalité et apprécier les valeurs humaines de la vie ? Quelle pédagogie pour quelle éducation et quelle éducation par quelle pédagogie ? Peut-on parler d’éducation aux valeurs par l’école aujourd’hui au Congo quand l’école est elle-même devenue un lieu d’éclatement de valeurs, de contre-valeurs, alors que l’élève désire « grandir » ? Comment s’enracine-t-il depuis la tradition jusqu’à la mission chrétienne dans une éducation et pour quelles valeurs ?

L’analyse documentaire des textes relatifs aux Ding orientaux de la tradition à la mission chrétienne et la modernité a visé de ressortir les caractéristiques des valeurs traditionnelles chez les Ding orientaux dans le contexte de leur vision du monde selon d’une part, les documents écrits par les Européens pendant la colonisation et l’évangélisation et, d’autre part, à partir des documents des autochtones ding. Elle a aussi cherché à comprendre comment s’est faite la rencontre entre les valeurs traditionnelles et les valeurs occidentales par l’école et l’évangélisation avant de faire parler les Ding orientaux dans une série d’entretiens semi-directifs.

Par l’analyse documentaire et des caractéristiques des valeurs, nous avons donc voulu faire comprendre l’importance de l’éducation et des valeurs. Il a paru important de discerner ces caractéristiques des valeurs utiles à un fondement éthique si l’on veut garantir le sens donné aux finalités de l’éducation et à ses principes de base. L’objectif de cette première partie était de chercher les caractéristiques des valeurs traditionnelles et occidentales présentes aujourd’hui chez les Ding orientaux. Cela pour mieux connaître non seulement le contexte interculturel de ces peuples, mais aussi pour tenter de constituer le cadre d’analyse de l’éducation aux valeurs et de leurs conflits. Nous avons découvert les phénomènes significatifs relatifs aux valeurs et à leurs conflits.

Ces valeurs caractérisées traditionnelles et occidentales vont avoir des effets sur l’éducation de l’enfant qu’il convient avant tout de connaître et de situer dans son milieu. Elles vont certainement influencer le mode d’agir et de penser de l’enfant, altérer son apprentissage ou marquer sa personnalité de la diversité de valeurs, sans doute aussi dans un registre conflictuel.

Nous avons commencé par analyser les racines traditionnelles des Ding orientaux afin de les situer, repérer le fondement de leur conscience individuelle et collective et comprendre l’évolution de leurs croyances et pratiques traditionnelles aux contacts avec la colonisation et l’évangélisation et l’influence sociale, économique et politique de ces dernières sur les populations ding.

Cette analyse des caractéristiques des valeurs des origines à la mission chrétienne a apporté une réponse positive à la valorisation de la personne humaine : la promotion totale de l’homme a été au cœur de la mission chrétienne à travers l’éducation et la santé. La reconnaissance de la personne humaine ding par les Occidentaux est une preuve de la reconnaissance de l’identité des Ding orientaux et de leur spécificité. Certes, tout cela ne s’est pas fait sans heurts.

Mais il y a aussi un avantage, celui de lire les «témoins fidèles » de la tradition des Ding orientaux telle qu’elle est apparue aux missionnaires depuis leur première rencontre avec les autochtones ding au moment où ces derniers n’avaient pas d’instruction scolaire suffisante pour écrire leur histoire.

Les limites de cette analyse des textes écrits par les colonisateurs et les missionnaires résident dans le fait qu’ils offrent la vision occidentale des Ding orientaux.

Il est évident que les systèmes de valeurs forment l’individu, chacun probablement pour un modèle de société, on ne saurait l’affirmer, fondamentalement différent. Autrement dit, chaque système se suffirait à lui-même. Et, exposé aux influences éducatives que suscite chaque système, l’individu devrait avoir une attitude qui lui permette de se positionner. Dans l’éducation, l’incompatibilité de systèmes pourrait ainsi empêcher les «partisans » d’un système d’avoir une certaine volonté d’évoluer vers d’autres valeurs éducatives. Elle pourrait aussi être le fait des ambitions particulières des enfants qui ne voudraient pas s’enfermer dans les valeurs d’un seul et unique système, mais voudraient s’ouvrir sur le monde et en goûter le prestige, le respect, le bonheur. Cela pourrait être le fait de la fierté ou du mérite de ceux qui ont réussi leur formation en étant confrontés aux divers systèmes de valeurs et qui ont un emploi valorisant. Finalement ce serait une incompatibilité qui proviendrait du fait qu’on attendrait des systèmes colonialistes ou missionnaires des nouvelles valeurs ou connaissances qui viendraient changer quoi que ce soit des valeurs de l’éducation traditionnelle.

Plusieurs facteurs liés aux Occidentaux et aux Ding orientaux ont expliqué les conflits de valeurs et ont empêché une rencontre interculturelle consensuelle. Puisque les facteurs liés aux Ding eux-mêmes (l’histoire, les croyances et coutumes traditionnelles, l’éducation traditionnelle, etc.) viennent d’être étudiés, il semble important d’analyser plus tard ceux qui sont liés aux conséquences de la modernité afin de voir si les Ding orientaux souhaitent le conservatisme ou le pragmatisme dans le cadre du vivre ensemble harmonieux.

En repérant ces traditions des Ding orientaux, nous avons également tenté de comprendre les critères auxquels ils pouvaient se référer pour les considérer comme des « valeurs », parfois, au grand désaveu de celles de la modernité et de l’école. Les résultats obtenus nous ont révélé que les liens entre les croyances et les valeurs de la modernité n’étaient pas faciles à établir et que, si l’on s’arrête uniquement aux caractéristiques des Ding orientaux, on se rend compte que le sens profond de ce qu’ils employaient tous ainsi que les processus d’interprétation, variaient selon les personnes, les objectifs, le contexte et la méthode. La rencontre entre les valeurs de la tradition et les valeurs modernes a donc fait modifier et disparaître certaines valeurs traditionnelles pour en accueillir d’autres. Elle a également fait résister d’autres encore qui ont continué à être utilisées.

L’analyse des manuels scolaires a attesté les caractéristiques conflictuelles de la diversité de systèmes de valeurs constatées chez les Ding orientaux tandis que celle des documents officiels de l’enseignement au Congo remis aux Gestionnaires des Ecoles relatifs aux principes de base de la formation scolaire confirment la diversité de systèmes de valeurs et leurs conflits. Les mêmes éléments ont été également confirmés par l’enquête de terrain auprès des Ding orientaux.

Dans l’enquête de terrain notre intention était d’analyser avant tout les valeurs des Ding orientaux une fois qu’ils ont rencontré la colonisation et l’évangélisation. Cette préoccupation a été écartée pour éviter la redondance de valeurs traditionnelles des autochtones. Mais à partir d’une réflexion théorique, nous avons donné la typologie de leurs valeurs. Ces valeurs et leur typologie constituent donc un outil de recherche et, lorsqu’il s’agit de les appliquer, on peut modifier les valeurs et enrichir la typologie suivant ce que l’univers des Ding orientaux suggère ici et maintenant. A ce sujet, l’observation du chercheur aura le dernier mot.

A plusieurs reprises, les colonisateurs et les missionnaires ont retrouvé des superstitions dans l’identité culturelle et ethnique des Ding orientaux, leur conscience collective et leurs croyances religieuses. L’implication des valeurs occidentales chez les Ding orientaux n’a pas totalement empêché le changement de structures, mais elle n’a pas non plus favorisé leur conservation.

La famille reste le premier lieu où se vivent les effets de la rencontre des différents systèmes de valeurs de la tradition à aujourd’hui. Dès sa famille, un Ding oriental est déjà influencé par les conséquences des valeurs et leurs conflits telles qu’elles ont été introduites par les rencontres interculturelles.

Avant la colonisation et l’évangélisation, les Ding orientaux ont cependant appelé « valeurs » ce qui, pour eux, donnait sens à leur vie quotidienne. Ils y ont éduqué leurs enfants de génération en génération, sans doute avec les acquis de la tradition et de l’oralité, par exemple, les genres littéraires. Ils ont pratiqué l’éducation aux valeurs cherchant à offrir à l’enfant les outils nécessaires pour apprendre ce qu’on lui apprenait (travaux, mœurs, coutumes, univers magico-religieux, croyances et l’ambivalence des valeurs) et développer, chaque jour, sa personnalité. L’expertise des valeurs chez les Ding orientaux montre qu’elles viennent de la tradition, la colonisation, l’évangélisation, de l’école.

La seconde force de ce travail réside dans la valorisation de la personne qui est appelée à recevoir l’éducation et à vivre les valeurs de la vie humaine de façon harmonieuse. Car, le fait de placer la personne au centre de son apprentissage et la considérer comme personne à part entière dans le processus apprendre-enseigner, contribue à résoudre les conflits de sens. Ceux-ci peuvent être interpersonnels, c’est-à-dire entre l’apprenant et celui qui lui apprend ; intrapersonnels, c’est-à-dire entre l’apprenant et les perceptions qu’il a de lui-même ; socio-congitifs, entre d’une part, l’apprenant et l’objet de son apprentissage ou de ce qu’il apprend et, d’autre part, entre sa perception du savoir et celle de celui qui lui apprend sur le savoir à faire apprendre, ou finalement entre les conceptions du savoir par celui qui fait apprendre et du processus d’apprentissage. Les conflits de sens peuvent également exister entre l’apprenant et les conceptions.

En troisième position, cette recherche a comme un des points innovateurs d’avoir proposé la pédagogie de la médiation socio-cognitive qui outille l’élève pour pouvoir comprendre comment discerner ce qu’il convient d’apprendre et se développer personnellement, en même temps. C’est apprendre à pouvoir porter un jugement de valeur. Cela ajoute à la socio-histoire et à l’anthropologie des valeurs qui ont jusqu’ici nourri cette recherche le constructivisme socio-cognitif des apprentissages. Un des enjeux consiste à tenir compte de l’expérience de celui à qui est proposée l’éducation aux valeurs.