Annexes IV : application de « l’intersubjectivité » dans l’éducation aux valeurs par les mouvements apostoliques des jeunes 652

Les conditions mises à l’œuvre dans l’intersubjectivité pour l’éducation de l’apprenant nous aident à replacer au centre de son éducation aux valeurs l’apprenant et à s’engager au processus de sa construction. S’il faut promouvoir l’éducation intégrale de l’apprenant, il semble également opportun de savoir si l’enfant est personnellement disposé à aimer ce genre d’éducation ou il l’accepte simplement parce qu’il se sent obligé d’être en situation d’apprentissage.

Appliquée dans le cadre d’un apprentissage des contenus extra-scolaires, l’intersubjectivité, que B.-M. Barth développe dans son livre Le savoir en construction. Former à une pédagogie de la compréhension, paraît être un cadre théorique susceptible de répondre à ces quelques questions non-exhaustives.

Parmi les actions à entreprendre que proposent les textes de la Commission de l’éducation des Etats Généraux de l’Education de la République Démocratique du Congo, on lit l’insistance sur la création des appuis extérieurs pour l’éducation aux valeurs. Ces lieux, estime le Bureau des Etats Généraux de l’éducation, sont un espace efficace de rencontre, dialogue, réflexion et recherche de ce que l’on pourrait ensemble appeler « valeurs ». On y négocie le sens commun de la définition à donner aux « valeurs » et la compréhension de celles-ci ». Parce que c’est dans pareil espace que tout se chercherait, se discuterait, se comprendrait par écoute, confrontation et rectification des points de vue. Au mieux, on pourrait dire que c’est le lieu où se fait le vrai apprentissage, donc la vraie éducation aux valeurs. Comme autrefois dans certains rites initiatiques, et aujourd’hui encore, les groupes apostoliques des jeunes aident à réaliser cette éducation.

Ces mouvements aident la jeunesse à passer à l’âge adulte par des rites d’imitation qui forment leur conscience et leur personnalité. Puisque tout se joue dans cet espace de vie et de formation, on peut dire que les mouvements apostoliques contribuent efficacement à l’éducation de la jeunesse et donc aussi, par eux et cette éducation, à l’édification de la société. Ils aident à engager dans la société même des êtres adultes. Ces derniers y rencontrent d’autres adultes qui, eux aussi, sont passés par les mêmes rites, connaissent les valeurs de la vie et les sens unilatéralement donné à ce que toute une communauté de personnes, et donc une société, appelle « valeurs ». La mise en place de ces mouvements et des procédures d’apprentissage peut nous faire espérer les mêmes chances d’identification des valeurs, leur compréhension et les moyens de leur intégration dans l’existence personnelle et communautaire des initiés. Cet espace engagerait tout apprenant à la « réflexion » sur les valeurs à apprendre, à vivre, ainsi qu’à leur sens. Comment comprendre le paradoxe sur le statut de tels mouvements appelés « lieux d’appui extérieurs » et « lieux d’appui intérieurs » ?

Nous serons amené à réduire le paradoxe : ils sont dits « extérieurs » aux espaces et temps ordinaires (classes, heures d’enseignement de cours de religion ou de morale), et donc à caractère moins important dans leur structuration, pourtant ils sont réclamés par les jeunes comme étant un des meilleurs moyens qui, de nos jours, forment la jeunesse en perte de vitesse. Leur intégration dans les écoles surtout celles des églises, n’est pas un fait de la mode ou l’application d’une instruction officielle d’Eglise. C’est une nécessité que créent, par contagion, les résultats vécus de la formation de leurs membres. Il serait indiqué d’élargir les lieux de leur application : toutes les écoles de la République démocratique du Congo et toutes tendances confondues. De tels résultats deviennent le point de départ d’une vie qui appelle une structuration, des moyens de leur maintien et maturation pour atteindre des résultats meilleurs et pour un grand nombre d’apprenants. L’importance croissante que la jeunesse accorde à son éducation et à son avenir, qu’elle façonne dans les différents mouvements apostoliques notamment, la disponibilité de chacun et de tous à s’y retrouver pour rencontrer, discuter, vivre avec, échanger et partager ce qui se vit par chacun ici et là, traduit aussi le souci permanent du maintien de tels lieux. C’est pourquoi il faudrait aussi un approfondissement de ce qui les fait réellement être au-delà de ces petits espaces, dans la société.

Dans cette perspective, il semble qu’ils ne devraient pas être appelés des lieux « d’appui extérieurs » indispensables à l’éclosion des valeurs, mais bien des lieux d’« appuis intérieurs » d’éclosion des valeurs. Ceci devient plus que compréhensible : nous avons constaté que tous les lieux « intérieurs » traditionnellement organisés (l’espace-classe pour l’enseignement de cours de religion et de morale pendant les cinquante minutes réglementaires) deviennent quasi obsolètes, et les résultats de tels enseignements sont inefficaces pour plus de la moitié d’élèves, aussi dans beaucoup d’écoles.

Pourquoi ? Voici deux raisons :

Ces lieux sont obsolètes parce que souvent les valeurs y sont enseignées comme une discipline scientifique, et donc obligeant une assimilation en vue d’une restitution qui évalue l’apprenant et son apprentissage ;

Les manuels d’enseignement de ces « disciplines » sont vieux et inadaptés ; leurs contenus semblent conçus et absolutisés par un groupe : « les enseignants », sans le groupe des « apprenants », qui resteraient extérieurs à leur « élaboration ».

Dans ce contexte, pour réussir au mieux la maturation de la jeunesse par l’éducation aux valeurs par les écoles, on devrait pouvoir intensifier la création des mouvements apostoliques des jeunes comme lieux d’apprentissage efficace et réel des valeurs par « la rencontre, le dialogue, l’échange, la négociation et la co-construction de sens » à donner aux différentes valeurs, comme B.-M. Barth le propose dans ses ouvrages. Elle met dans le « co » de co-construction une interaction sociale qui fait appel aux acquis intellectuels et culturels des apprenants, ainsi qu’à leur créativité. « Dans cette perspective, l’enseignant met son savoir au service des élèves pour qu’ils puissent construire le leur. Plutôt que de dire aux élèves ce qu’ils doivent comprendre, il les outille pour qu’ils puissent comprendre par eux-mêmes. » 653

Notre expérience professionnelle nous fait ressouvenir douloureusement d’un professeur qui était lui-même obstacle à la réalisation de ces deux attitudes chez ses élèves, du fait principalement qu’il refusait toute erreur dans leur apprentissage. De fait, pour lui, l’erreur serait l’indicateur d’un défaut de programme (et du maître et du programme). L’enseignant se sent démuni ; il est coupable de l’erreur, et n’en accepte pas le constat. Sa propre personnalité, sa compétence est mise en jeu ; il craint d’être qualifié d’incompétent. Il ne voudrait pas essuyer l’échec. Sentiments de vengeance : escamoter la question, au pire des cas, punir l’élève, l’en dissuader,… Le comble de tout : l’enseignant travaillerait le plus souvent l’erreur si celle-ci était l’indicateur d’un défaut de l’élève. Pourtant, l’enseignant devrait pouvoir éviter de développer chez l’apprenant l’inquiétude de ne pas réussir, de ne pas être respecté, voire de ne pas être aimé, pour que se développe chez lui un climat de confiance et de respect dans son apprentissage 654 . A ce sujet, Barth écrit : « Une première préoccupation serait déjà d’éliminer, autant que faire se peut, les sources d’inquiétude et d’offrir la possibilité à chacun de s’épanouir et de se sentir valorisé – à défaut de quoi il s’ennuierait inéluctablement » 655 .

Notes
652.

Ce sont des Mouvements d’initiation des jeunes à l’éducation chrétienne en référence à Jésus et à la Parole de Dieu ou encore en référence à un idéal de vie d’un saint et d’un martyr africain (Les martyrs de l’Ouganda, par exemple Kizito) ou d’un Bienheureux (par exemple la Bienheureuse Marie-Clémentine Anuarite Nengapeta). On dira par exemple : Les Kizito Anuarite (les K.A.), Les Jeunes de la Lumière (« Bilenge Ya Mwinda »), Génération Nouvelle (« G.N. »).

653.

BARTH, B.-M., « La médiation dans les démarches d’apprentissage : un nouveau rapport au savoir », inLes Cahiers de l’ISP, N°35, p. 17-34.

654.

BARTH, B.-M., Le savoir en construction. Former à une pédagogie de la compréhension, Paris : Retz, 1993, p. 146.

655.

Idem.