Une formulation qui porte

L’orientation de la thèse a l’originalité de réunir trois paradigmes habituellement distingués 12 . Ce sont respectivement ceux de la recherche pragmatique (actions et informations), de la recherche herméneutique (apport de sens et examen dialogué), de la recherche à visée réplicative (clarification et articulation de type scientifique).

Notre travail s’apparente d’abord à une recherche de faisabilité. Elle est alors d’orientation praxéologique. Elle ne se limite pas pour autant à l’action elle-même ou aux transformations du réel que leurs effets produisent. Elle renseigne plutôt les pratiques innovantes en introduisant de l’information (hypothèses, cadres théoriques initiaux). Elle facilite également une reproductibilité en partageant une mise en forme (clarification des objectifs, établissement de typologies…). Elle souhaite systématiser les essais, les capitaliser alors que l’innovation informelle conduit souvent à de perpétuels recommencements qui s’ignorent.

Notre étude relève ensuite d’une recherche de signification. Elle est centrée au moins pour partie sur l’analyse précise, avec les enseignants associés, de séquences didactiques recueillies et discutées. Ce travail s’opère dans le respect de la singularité complexe de chaque production et dans la variété possible des registres interprétatifs (critique toujours ajustée et amène). Le travail scientifique conduit avec les maîtres consiste à obtenir un accord sur l’interprétation de la séquence. Il s’agit là de dépasser le cadre des échanges intersubjectifs (l’unanimité devient passerelle pour la structuration dialoguée).

Notre travail s’apparente enfin à une recherche de régularités. Elle emploie des techniques et des méthodologies dont le critère de validité est la possibilité d’une réplication des résultats. Les objectifs visés sont la caractérisation d’éléments, de relations, de processus isolables, éventuellement reproductibles. Les deux modalités majeures utilisées ici sont la description et l’expérimentation. La population d’enseignants formés est évaluée au final au regard des résultats obtenus par un groupe témoin. Cela concerne dans notre entreprise à la fois le pôle formation et le pôle action.

Si l’on reprend les distinctions précédentes sur les paradigmes, on peut encore pointer une particularité. Habituellement, deux temps opposent recherche pragmatique (faisabilité) et recherche herméneutique (signification). Ici, ils sont toujours associés.

Le premier moment s’ancre d’abord dans un cadre de travail qui légitime l’action, systématise les essais et les capitalise (corpus du possible). Il traite ensuite, grâce à des cadres d’analyse construits collectivement, les données et les différentes tentatives réalisées. Enfin, il tend vers l’aboutissement de productions communicables et ouvre vers des changements de perspectives. J-.P. Astolfi 13 le résume comme suit : « on établit un corpus raisonné de pratiques innovantes, accompagné de suggestions en vue d’un passage au développement ».

Le second porte plus sur le contrôle de l’interprétation des acteurs (corpus du décodé et des finalités). Il est plus directement lié à la formation. Le parti pris d’analyse ne doit pas néanmoins prendre l’ascendant sur le désir d’action. On doit dans la mesure du possible concilier ces deux natures d’élan. Comme précédemment, J-.P. Astolfi synthétise le propos en ces termes « on analyse chaque séquence de classe et ses multiples enjeux didactiques, en associant les enseignants à toutes les phases de l’analyse. ».

Cette caractérisation plurielle, mais non syncrétique, de notre recherche étant énoncée, nous formulons ainsi notre question nodale :

À quelles conditions des élèves présentant des troubles importants des fonctions cognitives, accueillis en Classe d’Intégration Scolaire de type 1, peuvent-ils accéder à une pensée scientifique ?

Partant, nous posons quatre hypothèses de recherche.

D’abord, nous pensons qu’un détour par l’histoire du handicap et de sa prise en compte par l’école facilite la compréhension des difficultés encore rencontrées pour la scolarisation d’un public « non ordinaire » de type CL.I.S.1. (Enseignement du passé pour agir au présent).

Puis, nous avançons qu’une analyse des échecs successifs de l’enseignement des sciences à l’école, des résistances au changement chez les enseignants et d’un contexte d’effondrement dans les repères permet de renouveler puis d’ajuster la didactique de ce savoir dominant. (Enseignement du négatif pour redevenir constructif).

Ensuite, nous estimons qu’un dispositif de formation co-élaboratif en didactique des sciences prenant en compte la différenciation information-connaissance-savoir et s’appuyant sur les modèles d’apprentissage allostérique et dialogique contribue à promouvoir ce savoir dans l’enseignement spécialisé. (Transformation possible des actions en modifiant la formation).

Enfin, nous jugeons que l’aménagement d’occasions spécifiques de conceptualiser, d’expérimenter, d’argumenter dans des disciplines telles que l’astronomie, la biologie et la chimie, amène ces apprenants à changer leurs niveaux de pensée en gagnant en décentration. (Gain possible vers l’abstraction en créant un environnement didactique facilitateur)

Chacune de ces hypothèses dynamise une partie de la thèse et leur succession donne cohérence à l’ensemble. La première partie s’intéresse, dans une perspective historique, aux conditions d’accueil des enfants et adolescents en situation de handicap au sein de l’école. La deuxième présente le contexte et les concepts de la recherche. La suivante rend compte et analyse un type de formation à l’enseignement des sciences pour les professeurs des écoles. La dernière en vient à des propositions d’actions pédagogiques qui ont fait l’objet d’une mise à l’épreuve.

Notre démarche de recherche participe d’une réaction à la fois contre le fatalisme en éducation, notamment celui qui touche les enfants « pas comme les autres », et également contre l’émiettement des initiatives.

Notes
12.

Voir la catégorisation réalisée par J.- P. Astolfi, Revue française de pédagogie, n°103, avril-mai 1993, p.16.

13.

J.- P. Astolfi, avril-mai 1993. Revue française de pédagogie, n°103, p.16.