1.1.3 Le normal et le pathologique

Ce sont deux concepts clés en psychologie, sociologie et sciences de l’éducation. Pour les définir, nous allons les replacer dans un double contexte historique et culturel.

Le terme « pathologique » vient du grec pathos qui signifie maladie. Il désigne les désordres se présentant soit dans la disposition naturelle des organes, soit dans les actes qu’ils remplissent. Le vocable « normal » vient du latin norma qui a pour acception « équerre ». Est considéré comme normal ce qui est conforme à la norme, à la règle. Il s’agit ici de respecter un modèle conçu et construit. Le mot « normalité » est lui, doublement connoté. Il apparaît soit comme un jugement factuel, soit comme un jugement de valeur. Le premier résulte de l’analyse d’un organisme et de son état à un moment donné. Le second s’inscrit en référence à un modèle, à un ordonnancement préétabli. Trois critères permettent d’apprécier la normalité : un critère statistique, un critère social et un critère de santé.

Le premier renvoie à une vision externe de la situation observée. Il est objectif, quantifiable et équivaut à la moyenne. Les caractéristiques les plus souvent étudiées évoquent le poids, la taille mais aussi l’intelligence. S’agissant de cette dernière, on repère de manière sous-jacente la notion de Q.I. Celle-ci ambitionne de réaliser une mesure rigoureuse alors qu’elle n’établit qu’une comparaison entre les résultats d’un individu et ceux d’autres sujets placés dans une situation similaire. Penser le « normal » en ces termes, c’est oublier les dimensions environnementale et sociale.

Le deuxième s’enracine dans la théorie de la « norme sociale » qui concerne la perception que les individus ont de leur rôle et des attentes qu’ils ont par rapport aux autres. Les comportements valorisés se rapprochent du modèle idéal du groupe de référence. Les autres sont jugés déviants, anormaux, répréhensibles, pathologiques.

Enfin, le dernier considère la normalité comme une absence de maladie. Longtemps l’homme normal a été décrit en opposition à l’homme malade.

Définir le normal, la normalité, c’est aussi révéler en creux, l’anormal, le pathologique. G. Canguilhem, soucieux de faire apparaître la singularité de la vie et les possibilités créatives du vivant parlait des allures de la vie. Il faisait de la différence liée au handicap, non une anormalité mais une allure 49 . Au-delà d’une simple évolution sémantique, c’est bien une autre manière de penser la plasticité de l’humain. « L’indéterminé, le toujours ouvert commandent de refuser les définitions mécanistes ou définitives et les dualismes simplificateurs : le normal et l’anormal, le doué et le nul. » 50 Accepter la différence exige pour les personnes en charge de l’éducation des enfants et adolescents en situation de handicap de privilégier une posture. Il ne s’agit pas de nier la réalité des déficiences, mais plutôt de ne pas les considérer comme irrémédiables. La finalité n’est pas d’emmener tous les enfants vers une moyenne. Intégrer ne consiste pas à les redresser pour les mettre à la norme de l’institution scolaire. Il s’agit de permettre à chacun de grandir à sa mesure. L’école a là une des plus belles missions qui lui soit confiée. Il lui appartient de promouvoir une pédagogie du passage mettant en œuvre des contenus et des stratégies sur mesure.

Notes
49.

Canguilhem G. (1966), Le normal et le pathologique, Paris, PUF.

50.

Gardou Ch; Develay M., op.cit.