1.2.2 De l’inadaptation à l’adaptation

L’après-guerre marque un intérêt renouvelé pour les enfants en difficulté, mais on parle encore peu d’éducation spécialisée. Entre 1945 et 1965, c’est la période de « l’enfance inadaptée ». L’inadaptation est alors conçue sur le modèle de la maladie, on la situe dans l’enfant. On aboutit à une catégorisation des « inadaptés » fondée sur l’étude des causes organiques et psychiques. Cela se traduit par une progressive spécialisation technique des intervenants et par la floraison des établissements spécialisés. La création du C.A.E.I. 60 est significative, il se substitue en 1963 au C.A.E.A. et au C.A.E.P.A 61 . Ce changement souligne l’élargissement du champ d’intérêt de l’Éducation nationale, mais illustre aussi la tendance à catégoriser les inadaptés. En effet, le C.A.E.I. comporte sept options : handicapés moteurs (H.M.), déficients physiques (D.P.), handicapés sociaux (H.S.), déficients visuels (D.V.), déficients intellectuels (D.I.), troubles du comportement et de la conduite (T.C.C.), rééducation psycho-pédagogique (R.P.P.), auxquelles s’ajouteront « éducation en internat », « aveugles », déficients psychiques profonds (D.P.P.).

Entre 1965 et 1975, c’est la période de « l’adaptation et de l’éducation spécialisée ». Elle correspond à l’émergence des notions de prévention, de rééducation et de floraison des services. Le concept central n’est plus celui de l’enfance inadapté, mais celui de l’adaptation. On situe les problèmes dans un système complexe de relations réciproques (enfant, famille, école, …). À la catégorisation sémiologique, on substitue un modèle de compréhension globale de la personnalité. On ne s’attache plus aux seuls symptômes de déficience. Cela se traduit par la multiplication des rééducateurs en tous domaines et par le développement de services qui se veulent plus souples que les institutions. De là, les créations des classes d’adaptation, des groupes d’aide psycho-pédagogique (G.A.P.P.), des hôpitaux de jour, des services de soins et d’éducation spécialisée à domicile (S.S.E.S.D.). On notera aussi l’essor important des C.M.P.P. (Centres médico-psycho-pédagogiques) et des C.A.M.P.S. (Centres d’action médico sociale précoce).

C’est la circulaire du 9 février 1970 62 qui marquera la création des G.A.P.P., des sections et classes d’adaptation pour la prévention des inadaptations. Le texte se réfère explicitement à la circulaire du 21 septembre 1965 « modalités de scolarité des enfants inadaptés ». Constitué par un psychologue, un ou plusieurs rééducateurs, le G.A.P.P. a la charge de plusieurs groupes scolaires et « veille à l’adaptation des élèves en participant à l’observation continue dont ils sont l’objet ». La définition est imprécise, la finalité et les objectifs sont un peu flous. Dans un texte de neuf pages, une demi-page seulement est consacrée au G.A.P.P. Il faudra attendre la circulaire du 25 mai 1976 pour en voir expliciter clairement les fonctions. Ces groupes travaillent au sein des écoles en liaison avec l’ensemble des maîtres et avec ceux qui ont normalement les enfants à charge. Instrument de prévention et d’adaptation, il est une institution pédagogique spécialisée et correspond à une nouvelle phase transitoire de la transformation de l’école dans son ensemble. Les membres du G.A.P.P. sont des instituteurs spécialisés, rémunérés, formés par l’Éducation nationale ou sous son contrôle. Rattachés à une école, même si les locaux dont ils disposent sont différenciés, ils dépendent de la même inspection départementale. Ce personnel est appelé à prendre en charge des enfants sur un temps d’intervention qui est celui du scolaire. L’observation de l’enfant en classe a pour but la recherche de solutions appropriées aux cas des enfants individuellement repérés. La spécificité de tels groupes tient à leur appartenance à l’institution scolaire et aux modalités de fonctionnement des équipes. La réussite de l’implantation est liée à plusieurs facteurs : l’appui des autorités locales (attribution de locaux fonctionnels, des crédits d’installation et de fonctionnement), le degré de réceptivité, de sensibilisation du milieu enseignant, le choix de l’école. L’inspecteur est l’agent chargé des liaisons et des négociations entre les différents partenaires. Des difficultés relationnelles entre les membres du G.A.P.P, les instituteurs des classes ordinaires et la hiérarchie sont régulièrement rencontrées. Celles-ci sont dues dans la vie quotidienne à des différences de statut (traitement supérieur mais aussi horaires plus souples), conditions de travail, de formation (le rééducateur prend l’enfant soit en relation duelle, soit en petits groupes). Son image est celle d’un enseignant privilégié car il n’a pas de classe en responsabilité et sa tâche reste floue. De 1978 à 1983, le nombre de G.A.P.P. passe de 1302 à 2066 pour atteindre 3000 en 1986-1987.

Les classes d’adaptation complètent le dispositif de prévention. Elles sont ouvertes au sein des écoles localisées dans les agglomérations urbaines importantes. À la maternelle, des sections d’adaptation peuvent être créées pour les déficients visuels, auditifs, handicapés moteurs et déficients physiques. Deux autres types de secteur accueillent des enfants présentant des difficultés d’ordre développemental ou relationnel. La dichotomie, justifiée au plan théorique, est contestable au niveau clinique en raison des interactions. La délimitation des difficultés est d’autant plus ardue que les élèves sont jeunes. Ces classes reçoivent des enfants de quatre à six-sept ans et elles permettent donc le maintien d’une année après l’âge légal de passage à l’école élémentaire. La circulaire de 1970 insiste sur la spécificité de ces structures. Le passage doit rester temporaire et ne peut excéder deux ans. Dans la pratique, on rencontre deux types principaux de fonctionnement. Le premier concerne des classes dites « ouvertes ». Elles accueillent des élèves inscrits en classe ordinaire qui plusieurs fois par semaine sont pris en charge par le maître spécialisé. Le second renvoie à des unités dites « fermées » 63 . Elles sont destinées à des enfants demeurant à l’année en leur sein. Il faut rappeler qu’aucune directive pédagogique n’est venue renforcer le texte ministériel, laissant à chaque maître l’initiative de cette mutation. Les implantations furent bien souvent aléatoires, reposant en partie sur les initiatives académiques 64 . Malgré quelques difficultés, un mouvement était né et ces structures perdurent encore aujourd’hui. 65

Fin 1972, G. Pompidou, président de la République, demande expressément en conseil des ministres l’élaboration d’une loi d’orientation en faveur des personnes handicapées. Elle doit s’efforcer de régler les difficultés principales rencontrées en matière d’éducation, de soins, de ressources, de condition de travail. Le ministre de la Santé publique est chargé de la conception du projet. Le rapport de F. Bloch-Lainé 66 sert de base de travail. Ce canevas de loi comporte des dispositions relatives aux mineurs et aux adultes. Pour chaque groupe, trois points essentiels sont développés. Le premier concerne l’accès des jeunes handicapés à l’éducation, le droit à l’accueil dans les établissements publics ou privés d’enseignement ou de formation professionnelle. Cette orientation sera assurée par une commission départementale de l’éducation spécialisée (C.D.E.S.), dotée de moyens importants et regroupant deux commissions existantes. Le deuxième déclare les dépenses d’enseignement gratuites et à la charge de l’État. Celles de soins et d’hébergement sont de la responsabilité de l’assurance maladie ou de l’aide sociale. Le dernier prévoit qu’une allocation d’éducation spéciale 67 est accordée aux familles quelles que soient leurs ressources.

Pour les adultes, le maître mot du dispositif est l’accès à l’autonomie dans le travail et dans la vie quotidienne. L’État s’engage à verser le différentiel entre le salaire perçu et le S.M.I.C. quand la personne peut travailler. En cas d’impossibilité, cette dernière percevra une allocation qui sera accordée sans tenir compte des revenus de la famille. Pour faciliter l’autonomie dans la vie courante, des dispositions sont prévues : accessibilité des logements, des bâtiments publics, accès aux transports publics, extension de l’allocation logement aux handicapés qui n’en bénéficieraient pas encore.

En 1973, les associations de handicapés ou de parents d’enfants handicapés sont favorables à l’avant-projet proposé. Cependant la non-définition du terme « handicapé » sera perçue très différemment. Pour certains, elle doit éviter toute exclusion dans le champ d’application de la loi, pour d’autres, cette absence de clarification fera l’objet de la principale critique. Ces premières approches sont cependant essentielles puisqu’elles vont conduire vers un texte capital dans l’histoire de la prise en compte de la différence.

Notes
60.

Certificat d’aptitude à l’éducation des enfants et adolescents déficients ou inadaptés.

61.

Certificat d’aptitude à l’enseignement des écoles de plein air créé en 1939.

62.

L’auteur de cette circulaire est A. Labrégère.

63.

En réalité, il va exister quasiment autant de diversité de fonctionnement que de classes existantes.

64.

Jusqu’en 1984, aucune classe de ce type n’est créée dans le département de la Manche. Voir séminaire de réflexion sur la situation des classes d’adaptation dans l’académie de Caen ;

65.

Même si on ne parle plus de G.A.P.P. mais de R.A.S.E.D.

66.

Ce rapport (1966-1967) demeure la première approche globale des problèmes des handicapés et inadaptés. Il a été publié à La Documentation Française en février 1969.

67.

Elle sera régulièrement revalorisée et vient en remplacement de toute autre allocation. Elle s’adresse aux familles dont les enfants n’ont pas été admis en établissement ou à ceux qui nécessitent des dépenses coûteuses.