Une grande diversité de perturbations graves accompagne les enfants et adolescents atteints d’autisme ou d’un autre trouble envahissant du développement. Elles se caractérisent par des altérations qualitatives des interactions sociales, des modalités de communication et de l’ensemble du répertoire comportemental. Dans la grande majorité des cas, elles sont évidentes dès la petite enfance. Avec l’âge, elles vont rarement en s’améliorant de manière significative et sont souvent liées à un retard mental, à une affection médicale générale et chronique. La CIM-10 et le DSM-IV présentent chacun quatre troubles envahissants de manière très semblable. Il s’agit d’une part de l’autisme et du syndrome d’Asperger qui ont de nombreux éléments communs et d’autre part du syndrome de Rett et du trouble désintégratif de l’enfance.
Depuis plusieurs décennies, de nombreux chercheurs et cliniciens s’intéressent aux enfants et adolescents autistes. Bien que ce trouble soit connu depuis longtemps 125 , les premières descriptions des caractéristiques sociales, langagières et comportementales sont relativement récentes. Il faut en effet attendre les études de cas de L. Kanner 126 (1943) et H. Asperger (1944). Ces premiers travaux ont donné naissance à la terminologie employée aujourd’hui. Ce n’est que dans leurs éditions les plus récentes que la CIM et le DSM font une distinction entre l’autisme et le syndrome d’Asperger.
Il est difficile de résumer les caractéristiques majeures de l’autisme en quelques lignes. Cependant chercheurs et cliniciens s’accordent sur la présence de certains signes distinctifs pour en poser le diagnostic. Ces enfants manifestent un déficit socio-émotionnel marqué. C’est un empêchement à l’entretien d’interactions réciproques et au développement de relations sociales fondées sur un échange mutuel d’affection, de sollicitude et d’intérêts partagés. Les comportements traduisent un manque de réactions à la présence, aux émotions et aux besoins des autres. Leur capacité à employer des messages non-verbaux comme le regard, le sourire et les gestes est limitée. On peut noter aussi une absence de tendance à vouloir spontanément inviter les autres à s’intéresser à ce qu’ils font et à partager leurs intérêts, leurs plaisirs ou leurs difficultés.
On a imputé l’inadaptation sociale de ces jeunes à une incapacité à établir des liens affectifs avec leurs proches. Plutôt qu’un manque de désir, il s’agit de difficultés majeures à comprendre et à gérer l’information complexe qui est nécessaire à l’instauration des relations humaines.
Les enfants atteints d’autisme présentent aussi des perturbations majeures et durables de la communication, qui touchent leurs capacités verbales, non verbales et symboliques. La moitié d’entre eux environ n’apprend jamais à parler. L’autre moitié fait preuve de compétences plus ou moins développées, sans pour autant être capable, dans une majorité de cas, de soutenir une conversation appropriée avec un adulte ou un pair 127 . Ces jeunes ont des difficultés prononcées dans l’aspect social et pragmatique du langage. Leurs structures syntaxiques et grammaticales sont adéquates mais leur façon de parler est limitée et concrète. Elle se prête mal à un échange soutenu et efficace d’information et de sentiments typique d’une conversation normale dès l’enfance. On peut ajouter un manque de synchronisation, de spontanéité, de rythme et de réciprocité. Ces sujets persévèrent à parler du même thème ou passent d’un thème à l’autre sans transition. Ils introduisent dans la conversation des détails qui n’ont rien à y voir et ignorent les règles de réciprocité qui permettent à chacun de savoir lorsque c’est à son tour de parler. Ils posent peu de questions ou répètent la même question plusieurs fois, tout en ignorant ou ne répondant pas vraiment à celles posées. Ils suivent difficilement les consignes, même simples, plus par incompréhension que par opposition. Bien que l’écholalie ne soit pas un comportement pathologique, ils en font souvent un usage durable par rapport aux autres enfants. On peut y voir probablement une tentative de communication et pas simplement une attitude vide de sens et perturbatrice. Ils marquent aussi une tendance marquée à l’inversion des pronoms personnels, employant tout particulièrement le « tu » ou leur prénom au lieu du « je » pour parler d’eux-mêmes. Enfin, ils manifestent des capacités symboliques très limitées. Ils ne savent pas « faire semblant » comme la plupart de leurs pairs, ne peuvent participer à des jeux imaginaires.
Le répertoire comportemental des enfants autistes est sérieusement limité. La plupart de leurs activités et de leurs intérêts ont un caractère rigide, répétitif et sans but fonctionnel. Les plus jeunes s’attachent à des objets inhabituels ou aux détails de l’un deux. Les plus âgés se préoccupent de dates ou de chiffres qu’ils mémorisent et répètent sans égard à leur pertinence au contexte du moment. Ils développent aussi des rituels dans leurs activités quotidiennes et s’opposent à toute modification. Un certain nombre de stéréotypies 128 accompagne leur motricité.
La validité scientifique de l’autisme est clairement établie 129 , même si la question de l’existence de sous-types, et donc celle de la meilleure façon de classifier les enfants atteints du trouble, reste entière.
Les premières études épidémiologiques réalisées à partir des années 60 attribuent à cette maladie une prévalence de 2 à 5 personnes pour 10000. Des recherches plus récentes 130 indiquent qu’un taux de 5 à 10 pour 10000 est plus probable. Cette augmentation traduit certainement une meilleure connaissance de cette pathologie. Grâce à des critères plus précis, le diagnostic est posé plus tôt, surtout quand il est accompagné de retard mental. Toutes les catégories sociales sont également touchées et on ne note pas de différences culturelles ou ethniques.
Bien qu’encore mal compris, les facteurs génétiques semblent jouer un rôle dans l’étiologie de l’autisme 131 . Cependant les mécanismes impliqués restent à élucider. Un autre axe de recherche interroge les différences neurobiologiques qui pourraient exister chez les personnes atteintes d’autisme. Les études biochimiques, radiologiques et pathologiques rapportent pour la plupart des anomalies. Toutefois, elles ne permettent pas de tirer des conclusions fermes 132 . Certains travaux évoquent des incidents en cours de grossesse et au moment de la naissance plus fréquents que chez les autres sujets. Le regard psychanalytique de B. Bettelheim 133 décrivait le trouble comme une tentative extrême de l’enfant à se suffire à lui-même en réaction à des sentiments profonds de rejet ou d’abandon. Dans les années 60, une approche comportementale 134 dessinait l’autisme comme la conséquence des méthodes éducatives inappropriées de certains parents. Ceux-ci pour des raisons personnelles ignoraient l’ensemble des comportements positifs de leurs enfants.
Aujourd’hui l’ensemble des chercheurs rejette ces approches. Les données scientifiques s’accordent sur deux points. Les causes de l’autisme sont complexes et probablement hétérogènes. Les facteurs biologiques jouent un rôle prépondérant dans cette étiologie, malgré l’accent qui a été mis sur les éléments psychologiques et familiaux.
Le syndrome d’Asperger, comme l’autisme, est un trouble qui se manifeste dès la petite enfance par des perturbations graves des interactions sociales et du comportement. Il s’en différencie moins par la présence de symptômes distincts que par l’absence de problèmes de langage, de retard mental et de difficultés cognitives. Les enfants atteints de cette pathologie sont d’intelligence normale et apprennent généralement à parler au même rythme que les autres. Ils font preuve de curiosité pour ce qui se passe dans leur environnement et acquièrent des capacités d’autonomie en fonction de leur âge. Les descriptions cliniques attestent que la plupart sont entièrement absorbés par des intérêts très particuliers 135 et sans but fonctionnel. Les données disponibles indiquent une prévalence de une personne sur 10000, les garçons étant plus fréquemment touchés que les filles. Le nombre limité d’études concernant le syndrome d’Asperger ne permet pas aujourd’hui de trancher la question de la validité de ce trouble. Chercheurs et cliniciens peuvent mettre l’accent sur des symptômes communs avec ceux de l’autisme, ou privilégier les caractéristiques qui les séparent en les traitant comme des syndromes distincts.
Le syndrome de Rett 136 est un trouble progressif qui se manifeste dès la petite enfance par un processus de désintégration à la fois impressionnant et très particulier. On note une altération significative des interactions sociales, une disparition partielle ou complète du langage, une perte de l’usage normal des mains et un ralentissement de la croissance crânienne. Ce syndrome entraîne toujours un retard mental grave ou profond et des difficultés sociales et physiques majeures. Bien que les chiffres précis sur la prévalence du syndrome de Rett manquent encore, on estime qu’il atteint une personne sur 12000 à 15000. La quasi-totalité sont des filles 137 .
Après une gestation et une naissance apparemment sans complications majeures, l’enfant se développe normalement pendant une période de quelques mois. Les premiers signes du trouble se manifestent vers six mois et s’aggravent rapidement. On note un ralentissement du développement moteur, de la croissance crânienne accompagnés de mouvements des mains au caractère stéréotypé. Entre un et trois ans, on observe une perte des capacités langagières tandis que le retard mental va en s’aggravant. Les interactions sociales se dégradent et des crises de colère se manifestent à l’égard de son entourage. Entre deux et dix ans, la spasticité empire et on observe une détérioration de la coordination des mouvements du tronc et de la marche. Les capacités intellectuelles sont de plus en plus limitées contrairement aux interactions sociales qui s’améliorent souvent. Les causes du syndrome de Rett sont encore inconnues car il est rare et que les premières descriptions sont récentes. Les procédés de désintégration biologique et neurologique, probablement d’origine génétique, semblent avoir un rôle étiologique majeur. Certaines études pathologiques suggèrent que les personnes atteintes manifestent une atrophie cérébrale généralisée plutôt qu’une maladie dégénérative distincte.
Il ne fait aucun doute que nos connaissances en psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent ont fait des progrès importants au cours des vingt dernières années. Les troubles envahissants du développement restent cependant largement définis par la négative 138 . Même s’ils permettent un diagnostic fiable, leur utilité apparaît moindre lorsqu’il est nécessaire de comprendre précisément la façon dont ces enfants se comportent. Si les problèmes demeurent majeurs pour bon nombre d’entre eux, ils s’accompagnent bien souvent d’une lutte désespérée pour participer au monde auquel ils appartiennent.
À l’inverse du retard mental, des troubles envahissants du développement, c’est la spécificité des fonctionnements atteints qui caractérisent les troubles des apprentissages.
Les premiers cas d’autisme ont été décrits il y a environ deux siècles par Jean-Marc Itard et John Haslam en termes semblables à ceux de la symptomatologie considérée typique aujourd’hui. C’est au début du XIXème siècle qu’Itard, un médecin, et son ami l’abbé Pierre-Joseph Bonnaterre publient différentes descriptions de Victor, un enfant de 12 ans environ, trouvé dans une forêt du centre de la France. S’il n’est pas possible aujourd’hui d’affirmer que Victor était atteint d’autisme, ces descriptions portent à croire que c’était le cas. Voir à ce sujet l’ouvrage de U. Frith, L’énigme de l’autisme, A. Gerschenfeld (trad.), Paris, Odile Jacob, 1996, pp 46-48.
Leo Kanner a décrit les symptômes de onze enfants souffrant de « solitude autistique extrême » et Hans Asperger ceux de quatre autres enfants souffrant de « psychopathie autistique ».
Aussilloux C., Misès R., Évolution de l’enfance à l’âge adulte, in R. Misès et P. Grand (Eds), Parents et professionnels devant l’autisme (pp.109-123), Paris, CTNERHI.
Il peut s’agir de balancements, d’agitations de bras et de mains, de marche sur la pointe des pieds.
Rutter M., Schopler E., Classification of pervasive developmental disorders: Some concepts and practical considerations, Journal of Autism and Developmental Disorders, 22, 459-482, 1992.
Fombonne E., L’épidémiologie de l’autisme en France, Psychologie française, 1998.
Leboyer M., Philippe A., Facteurs de susceptibilité génétique dans l’autisme infantile, L’Information Psychiatrique, 70, 469-475, 1994..
Les résultats rapportés sont souvent incohérents d’une étude à l’autre ; ces résultats s’appliquent généralement à une minorité de cas étudiés ; des résultats semblables se retrouvent souvent dans d’autres formes de psychopathologie comme le retard mental ou la schizophrénie infantile et sont donc rarement spécifiques à l’autisme.
Bettelheim B., La forteresse vide, Paris, Gallimard, 1969.
Ferster C. B., Positive reinforcement and behavioral deficits of autistic children, Child Development, 32, 437-456, 1961;
Les centres d’intérêts peuvent être aussi précis et variés que les grenouilles, les batailles du général Rommel, les recettes de la poudre à canon.
Décrit la première fois en 1966 par Andreas Rett.
Bien que la CIM-10 et lez DSM-IV mentionnent que le trouble n’ait été rapporté que chez les filles, quelques travaux suggèrent que ce syndrome pourrait atteindre les garçons (Coleman, 1990 ; Philippart, 1990).
Sur les 12 critères diagnostiques de l’autisme du DSM IV, 7 au moins sont des critères négatifs, spécifiant ce que l’enfant est incapable de faire, ou partant de « retard », d’« absence » ou de « manque ».