1.3.2 Les troubles de l’apprentissage

Ce sont des troubles hétérogènes du développement dans lesquels l’acquisition de la lecture, de l’écriture et/ou du calcul est perturbée dès les premières étapes de la scolarité. Leur définition, leur classification 139 , leur nature, voire leur existence sont parmi les sujets les plus controversés de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent.

Depuis plus d’un siècle, les études menées dans différents pays partent d’un même constat. Un certain nombre d’enfants ont des difficultés « inattendues » à apprendre à lire, à écrire ou à calculer. On ne peut les expliquer par une scolarité insatisfaisante 140 , ni par des problèmes intellectuels ou sensoriels 141 ou encore par des problèmes familiaux ou sociaux.

La nature surprenante des blocages dans les apprentissages a suscité d’abord un intérêt médical et éducatif avant d’ouvrir dans certains pays sur des dimensions politique et sociale. Dès le début du XIXème siècle 142 , la médecine s’est attachée à décrire de manière détaillée les symptômes des personnes qui rencontraient des obstacles majeurs dans l’expression orale ou écrite. L’hypothèse alors retenue était celle de lésions cérébrales localisées qui ne touchaient que certaines compétences bien définies. Ces dernières ancrées dans des régions cérébrales distinctes, on pouvait expliquer ainsi les perturbations spécifiques observées. Une série d’études neurologiques 143 a établi l’hégémonie de cette représentation du cerveau et par conséquent, l’étiologie neurobiologique des troubles d’apprentissage.

Cette approche s’est poursuivie activement pendant la première moitié du XXème siècle. On verra ainsi apparaître le concept de lésion cérébrale minime 144 remplacé plus tard par celui, plus large, de dysfonctionnement cérébral minime. L’un comme l’autre manquent d’appui scientifique solide. De nombreux travaux de neurologie et de neuropsychologie montrent qu’ils sont trop imprécis pour expliquer l’étiologie des troubles des apprentissages. Ces derniers ont été aussi étudiés par des spécialistes de l’éducation. Les auteurs ont mis l’accent moins sur la recherche des causes que sur les caractéristiques comportementales et sur le développement des méthodes éducatives susceptibles d’apporter une aide 145 . Les résultats obtenus ont conduit les milieux éducatifs puis politiques à mettre en place un ensemble de services spécialisés pour répondre aux besoins particuliers des ces jeunes.

Le trouble spécifique de la lecture est celui qui a fait l’objet des recherches les plus nombreuses. C’est aussi celui qui est le mieux connu. Les premières descriptions détaillées d’enfants ayant des difficultés spécifiques dans ce domaine remontent à plus d’un siècle 146 . Certains travaux ont eu des incidences importantes au niveau scientifique parce qu’ils ont mis l’accent sur les processus de latéralisation cérébrale. Ils prédisaient que les difficultés de lecture étaient étroitement liées à la tendance chez les apprenants à transposer ou inverser certaines lettres, chiffres ou mots. Cette présupposition eut des conséquences notables dans les milieux cliniques et éducatifs. Le grand public s’empara parallèlement de la notion de « dyslexie » 147 qu’il substitua parfois à celle de difficulté d’apprentissage. Malgré l’intérêt suscité, de nombreuses études 148 montrent que la transposition de lettres et de mots est un processus développemental fréquent parmi les enfants apprenant à lire. Ce phénomène lorsqu’il se manifeste chez un écolier atteint de trouble spécifique de la lecture, en est une conséquence plutôt qu’une cause.

Moins connu, le trouble de l’expression écrite n’a pas suscité autant de recherches que celui de la lecture. Ces dernières ont débuté au XIXème siècle et se sont intéressées très longtemps aux relations entre les déficiences de la communication 149 et les difficultés d’écriture. La plupart des chercheurs considéraient alors que les problèmes langagiers et moteurs étaient à l’origine des écueils rencontrés lors de l’expression écrite. Depuis peu, on sait que si les expressions écrite et orale sont liées, la première n’est pas simplement la manifestation des compétences langagières de l’enfant lorsqu’il apprend à écrire.

Enfin, les premières descriptions des difficultés rencontrées dans l’apprentissage du calcul datent de plusieurs décennies. La dyscalculie ne fait cependant l’objet de recherches concertées que depuis peu. Cette situation reflète probablement en partie le fait que la plupart des sociétés met davantage l’accent sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. L’analphabétisme est habituellement considéré comme un problème social plus sérieux que le manque de compétences dans le domaine de l’arithmétique.

Aujourd’hui, le diagnostic des troubles des apprentissages reste problématique à cause de l’hétérogénéité de leurs manifestations et du manque de précision des critères utilisés pour les définir. De plus, il reflète habituellement bien davantage que les difficultés spécifiques du public atteint. Il interagit notamment avec un contexte social 150 , familial ou pédagogique 151 particulier ainsi qu’avec des décisions légales ou administratives 152 .

Les troubles spécifiques de la lecture, de l’expression écrite et du calcul renvoient à une faiblesse spécifique et significative.

Les premiers se manifestent par des difficultés particulières à déchiffrer et à identifier des mots 153 , à lire couramment et à comprendre ce qui est lu 154 . Une étude 155 récente montre que déchiffrage et compréhension évoluent en relation étroite l’un avec l’autre dès les premières étapes d’apprentissage. Les enfants comprennent mal que les mots, qu’ils soient parlés ou écrits, puissent être segmentés selon certaines règles phonologiques qui permettent de les reconnaître. Les mauvais lecteurs ont très souvent des problèmes majeurs lorsqu’on leur demande de soustraire un phonème ou une syllabe d’un vocable puis de fusionner les éléments restants et de les prononcer 156 . Ainsi, leurs stratégies analytiques, peu développées ou inexistantes, ne leur permettent pas de passer de l’orthographe d’un mot à sa prononciation et à son sens. La liaison avec la phrase, puis avec le texte reste problématique. Les difficultés rencontrées rendent la lecture très lente, parce qu’elles mobilisent presque entièrement l’attention de l’élève. La compréhension de l’ensemble devient limitée voire impossible. Cette incapacité à une identification quasi automatique se retrouve assez régulièrement dans la nomination rapide des chiffres, des couleurs ou des objets familiers.

Les troubles de l’expression écrite laissent apparaître une maladresse scripturale associée à des problèmes importants de vocabulaire, d’orthographe et de composition. On considère aujourd’hui, que, comme pour la lecture, des capacités multiples sont en jeu. On comprend mieux alors l’hétérogénéité des groupes atteints. Il existe de nombreux schémas explicatifs des compétences requises pour « bien » écrire. Toutes ces descriptions soulignent l’importance d’intégrer les aspects multiples de la tâche pour atteindre le but souhaité.

Ceux qui réussissent ont une vue globale de ce qu’ils cherchent à accomplir. Ils articulent leurs idées distinctement tout en composant un texte cohérent. Ils savent se mettre à la place du lecteur pour anticiper ses réactions. Ils font appel à leurs connaissances de l’orthographe, de la grammaire et de la ponctuation pour s’assurer sans cesse que leur texte se conforme aux règles de la langue.

À l’opposé, les jeunes qui ont des difficultés à s’exprimer par écrit sont incapables de développer un plan d’ensemble et d’intégrer les différents aspects de la tâche. Ils prennent mal en considération ou ignorent la perspective du lecteur. Ils maîtrisent mal la calligraphie et possèdent les outils de la langue de manière aléatoire. Le résultat obtenu est le plus souvent une production courte et mal organisée. L’information manque, les idées sont peu développées et difficiles à suivre, et les règles de la langue sont souvent ignorées.

S’agissant des troubles spécifiques du calcul, les difficultés rencontrées sont variées. Il peut s’agir d’une incapacité à comprendre les concepts qui sous-tendent certaines opérations mathématiques ou d’un défaut de compréhension des termes ou signes mathématiques. On peut rencontrer aussi chez les élèves une incapacité à résoudre les problèmes, à prélever les données pertinentes et à maîtriser des opérations de base 157 . C’est aussi parfois le témoignage d’une mauvaise organisation spatiale des calculs et une impossibilité d’apprendre les tables de multiplication de façon satisfaisante. On peut encore ajouter l’absence de raisonnement nécessaire à la recherche de la solution de problèmes mathématiques. Les capacités de l’enfant peuvent être atteintes dans différents domaines essentiels à l’ensemble des apprentissages : le langage, la perception, l’attention et la mémoire… Il est souvent difficile de préciser la nature des compétences atteintes.

Comme le montre une comparaison des critères énumérés dans les deux systèmes de classification, la critique opérée dans le cadre du trouble spécifique de l’écriture s’applique aussi ici. Les critères diagnostiques de la CIM-10 sont trop étroits alors que ceux du DSM-IV sont trop vagues 158 .

La validité scientifique de chacun de ces troubles des apprentissages n’est pas établie. Il ne fait aucun doute que certains enfants et adolescents manifestent des difficultés de lecture, d’écriture et/ou de calcul considérables. Elles sont souvent inattendues au vu de leurs capacités intellectuelles et des efforts entrepris pour les aider. Il est cependant peu probable que les catégories diagnostiques globales généralement utilisées aujourd’hui permettent de cerner leurs problèmes de façon précise. Elles n’autorisent pas plus la compréhension des limitations observées, l’estimation de trajectoire développementale et de la décision de la meilleure remédiation.

On dispose de peu de données scientifiques sur les facteurs socioculturels qui pourraient être associés au développement ou aux manifestations des troubles des apprentissages. On les associe parfois à la pauvreté, aux problèmes familiaux et sociaux, ainsi qu’à des malentendus d’ordre culturel entre familles et écoles. 159 Cependant, des travaux épidémiologiques internationaux seraient nécessaires pour mieux connaître la nature des liens entre les facteurs socioculturels et les difficultés de lecture, d’écriture et /ou de calcul.

Au-delà des problèmes rapportés jusqu’ici, la vie en société rappelle parfois aux enfants et adolescents qu’ils doivent apprendre à planifier et à organiser l’ensemble de leur comportement. Ils ont l’obligation aussi de s’attacher à maîtriser leurs actions et émotions. Cet apprentissage représente un défi majeur pour certains d’entre eux, qui se distinguent de leurs camarades moins par la nature de ce qu’ils font que par leurs excès et leurs insuffisances comportementales. Ils sont inattentifs ou semblent incapables de faire ce que l’on attend d’eux, même lorsqu’il est évident qu’ils comprennent ce qu’on leur demande.

Notes
139.

La CIM-10 et le DSM-IV classifient et présentent les troubles des apprentissages de manière comparable mais à l’aide d’une terminologie différente. La CIM-10 les nomme troubles spécifiques des acquisitions scolaires et le DSM-IV troubles des apprentissages. Les deux systèmes décrivent chacun trois troubles majeurs : le trouble spécifique de la lecture (CIM) ou trouble de la lecture (DSM) ; le trouble spécifique de l’orthographe (CIM) ou trouble de l’expression écrite (DSM) ; et le trouble spécifique de l’arithmétique (CIM) ou trouble du calcul (DSM) (APA, 1994 ; OMS, 1993).

140.

Enseignement inadéquat ou absences prolongées.

141.

Retard mental ou trouble de la vue ou de l’ouie.

142.

Travaux de Franz Joseph Gall, né en 1758, médecin. C’est l’inventeur de la phrénologie, science qui a eu un certain succès au XIX ème siècle, et qui a prétendu établir un rapport entre la forme du crâne d’un individu et ses facultés. Ayant commencé sa carrière de médecin à Vienne (Autriche), Gall expose ses idées dans certaines villes d’Allemagne, puis à Paris, où il décède en 1828. Il a écrit quelques livres traitant de l’anatomie du système nerveux et du cerveau.

143.

Broca P. P. 1863. Localisation des fonctions cérébrales : Siège du langage articulé, Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 4, 200-203.

144.

Strauss A. A., Lehtinen L. E. (1947), Psychopathology and education of the brain injured child, New York, Grune and Stratton.

145.

On notera particulièrement les travaux de Kirk (cité par Lyon, 1996) qui en 1963, introduit aux Etats-Unis le concept de troubles des apprentissages (learning disabilities ou LD). Lyon G. R. 1996. Learning disabilities, in E. J. Mash et R. A. Barkley (Eds.), Child psychopathology (pp. 390-435), New York, Guilford Press.

146.

Torgesen J. K. 1991. Learning disabilities : Historical and conceptual issues, in B. Y. L. Wong (Ed), Learning about learning disabilities (pp. 3-37), San Diego, CA, Academic Press.

147.

La terminologie employée pour désigner les troubles d’apprentissage prête parfois à confusion. Alors que certains auteurs considèrent les termes de « trouble de la lecture » et de « dyslexie » comme des synonymes, d’autres réservent ce second terme pour parler d’un trouble très spécifique dans lequel seules les capacités de lecture sont atteintes. Il en va de même des termes de « troubles de l’expression écrite » et de « dysgraphie », et de « trouble du calcul » et de « dyscalculie ».

148.

Torgesen J. K. 1991. op. cit. Vellutino F. R. 1987. Dyslexia, Scientific American, 256, 34-41.

149.

Aphasie essentiellement.

150.

Échouer aujourd’hui dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture ou du calcul, c’est échouer non seulement à ses propres yeux et à ceux de son entourage immédiat, mais aussi, jusqu’à un certain point du moins, aux yeux de la société.

151.

Famille négligente en situation précaire, méthodes d’enseignement de la lecture de l’écriture ou du calcul qui ne conviennent pas à certains élèves.

152.

Aux Etats-Unis, un changement en 1975 de la législation sur l’éducation des personnes handicapées (The Education of the Handicapped Act) conduisit de 1976 à 1982 à une augmentation de 130% des troubles d’apprentissages dans les écoles publiques (Torgesen, 1991).

153.

Domaine phonologique.

154.

Domaine sémantique ou plus largement cognitif.

155.

Gaillard F. 1997. Comprendre pour apprendre à lire, Revue Suisse de Psychologie, 56, 165-174.

156.

Lecocq P. 1986. Sensibilité à la similarité phonétique chez les enfants dyslexiques et les bons lecteurs. L’Année Psychologique, 86, 201-221.

157.

Addition, soustraction, multiplication, division.

158.

La CIM-10 limite la définition du trouble à un déficit d’apprentissage des quatre opérations de base et spécifie qu’il ne peut pas être diagnostiqué si l’enfant a d’autres difficultés d’apprentissage. Cette définition est évidemment trop restrictive car elle ignore le fait que, pour savoir calculer, une personne doit non seulement savoir maîtriser les opérations de base mais être capable de comprendre et de formuler un raisonnement mathématique, et de l’appliquer à la résolution de problèmes particuliers. Le DSM-IV reconnaît la nature complexe des tâches requises mais les regroupe toutes dans un même trouble, aboutissant à une définition aussi imprécise que celle qu’il donne du trouble spécifique de l’expression écrite et qui se prête donc mal à un diagnostic fiable et utile.

159.

Chauveau G., Rogovas-Chauveau E. 1992. Relations école familles populaires et réussite au C.P., Revue Française de Pédagogie, 100, 5-18.