1.4.1 La mesure du fonctionnement intellectuel

Si les efforts taxonomiques remontent aux premiers ouvrages qui tentent de décrire les divers troubles psychopathologiques de l’enfance et de l’adolescence 172 , le premier système de classification largement diffusé, le DSM 173 , n’apparaît qu’au début des années 50 174 . Ce système comme le DSM-II publié seize ans plus tard, aura un impact très limité. D’une part, ces classifications traitent avant tout de la psychopathologie adulte, elles ne décrivent qu’un ou deux troubles spécifiques de l’enfance. D’autre part, elles reflètent une orientation psychanalytique qui n’est pas partagée par de nombreux chercheurs et cliniciens. Cette dernière se fonde presque exclusivement sur un jugement clinique plutôt que sur des observations détaillées du comportement de l’enfant dans différents contextes.

La publication du DSM-III, en 1980, comme celle un an plus tôt de la CIM 9 175 , marquent un changement d’orientation fondamental dans la taxonomie des troubles psychopathologiques. La première, grâce à son approche multiaxiale, permet de décrire non seulement les difficultés particulières d’un sujet, mais aussi le contexte dans lequel celles-ci se manifestent. Elles notent sur différents axes diagnostiques, la présence d’affections médicales et/ou de facteurs psychosociaux et environnementaux liées à ces difficultés. Elles précisent ainsi l’impact général de ces dernières sur le niveau de fonctionnement adaptatif de l’enfant.

Le DSM-III sera révisé en 1987, puis entièrement remanié en 1994 avec la publication du DSM-IV. Le but est à chaque fois de mieux refléter l’état des connaissances et de tenir compte des nombreuses critiques. Celles-ci sont centrées sur le manque de précision et l’incohérence des descriptions et des critères diagnostiques de différents troubles recensés. Les éditeurs du DSM-IV ont travaillé en étroite collaboration avec ceux chargés de la 10ème édition de la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé, la CIM-10 en 1993.

Ces deux systèmes sont les plus utilisés aujourd’hui parce qu’ils fournissent un langage commun essentiel à la communication à l’échelle internationale. Ils restent en pleine évolution. Leurs critères et descriptions seront révisés ou reformulés à la lumière des nombreuses études épidémiologique et comportementales en cours actuellement.

Dans les années 70, le domaine de l’instrumentation se développe afin d’augmenter la validité et la fiabilité de la recherche du travail clinique. Un nombre important de questionnaires, de tests, d’entretiens structurés et de systèmes d’observation directe devient rapidement disponibles. En lien souvent avec un outil diagnostique comme les DSM, ils permettent une évaluation détaillée et plus ou moins systématique d’enfants ayant des difficultés d’adaptation. Remplis par plusieurs personnes, ces instruments offrent des perspectives complémentaires sur le fonctionnement affectif, cognitif et social du sujet. Lorsqu’ils sont standardisés, ils autorisent une comparaison du fonctionnement du jeune avec celui de ses pairs. En faisant appel à différentes sources d’information, chercheurs et cliniciens peuvent ainsi poser un diagnostique d’un trouble psychopathologique qui reflète le comportement de l’enfant dans différents contextes. La diversité des points de vue va probablement permettre de gagner en fiabilité.

Le développement rapide de nombreux instruments d’évaluation n’a pas toujours été synonyme de qualité. Les propriétés psychométriques de beaucoup de mesures n’ont en fait jamais été établies ou, lorsqu’elles l’ont été, se sont avérées inadéquates. Chercheurs et cliniciens ont donc privilégié les plus fiables. L’essor de ces outils a cependant permis de constituer un langage commun, facilitant les comparaisons entre les différentes recherches.

Grâce à un nombre important d’études longitudinales, l’état des connaissances a rapidement évolué depuis 1970. Ces travaux permettent de tracer la trajectoire développementale de l’enfant et d’établir à quel point elle diffère de celle de ses pairs sans difficulté. Ces recherches offrent la possibilité de déterminer, à diverses périodes, l’impact du trouble du sujet sur plusieurs aspects de son fonctionnement.

Il est difficile de définir l’intelligence ou encore le fonctionnement intellectuel. A. Binet décrivait la première comme la « tendance à prendre et à maintenir une direction définie, la capacité de s’adapter dans le but d’atteindre un objectif désiré et le pouvoir de « s’autocritiquer ». D. Wechsler évoquait une « capacité globale d’un individu d’agir selon une intention, de penser rationnellement et de composer efficacement avec son environnement » 176 .

La mesure du quotient intellectuel permet de déterminer quatre catégories de déficience intellectuelle : légère, moyenne, sévère et profonde. Les limites bornant ces catégories peuvent toutefois fluctuer selon les classifications 177 consultées et selon les tests utilisés. Dans les définitions et les écrits sur la déficience, outre les références au quotient intellectuel, on note l’usage fréquent d’autres désignations comme l’âge mental 178 , le quotient de développement et l’âge chronologique.

Parmi les tests d’intelligence qui permettent d’évaluer le quotient intellectuel, on peut citer les échelles de Wechsler 179 , le Stanford-Binet-R et les épreuves individuelles d’habileté mentale. Il n’est pas inutile de prévenir de quelques difficultés quant à leur utilisation.

Les limites de la déficience intellectuelle telles qu’elles sont précisées par les tests peuvent inclure des groupes d’élèves différents. Pour certains, cette mesure révèle leur véritable potentiel, alors que pour d’autres, elle ne peut distinguer un rendement très faible d’une déficience proprement dite. Ces instruments, notamment dans les cas d’enfants issus de milieux défavorisés ou culturellement différents, peuvent ne pas montrer l’étendue réelle de leurs compétences. Ils comportent un biais culturel important, car ils renvoient à des objets et à des situations précis, connus dans un type de société déterminé. De plus, il n’est pas toujours possible de les utiliser, notamment si le sujet n’a pas un langage suffisamment élaboré, s’il ne comprend pas les consignes ou s’il a une déficience sévère, voire profonde. Dans ce cas on peut avoir recours à d’autre tests 180 ou échelles de développement. Celles-ci facilitent la sélection d’objectifs pour un plan d’intervention et permettent de suivre l’évolution de l’élève.

Au Québec, afin d’appréhender la personne dans sa globalité, les comportements adaptatifs sont évalués à l’aide d’observations et d’échelles standardisées 181 . Il existe une version scolaire, conforme à la définition du retard mental de l’Association Américaine sur le Retard Mental. On peut la soumettre à des jeunes dont le niveau risque de se situer entre léger et moyen. L’échelle inclut deux questionnaires, le premier pour les parents comporte neuf domaines, le second pour les enseignants en propose cinq. Cela permet d’avoir une image globale de l’enfant évalué dans des environnements différents. Comme l’E.Q.C.A. ordinaire, la version scolaire est corrigée à l’aide d’un logiciel. Cet outil permet d’obtenir la classification de la déficience relative aux comportements adaptatifs.

L’évaluation d’un élève ayant une déficience intellectuelle peut être complétée par d’autres mesures. Il peut s’agir des évaluations du rendement scolaire, des compétences physiques et des observations en classe. S’agissant des échelles mesurant le comportement, il est cependant difficile de cerner les caractéristiques liées à l’environnement et qui influencent le comportement de l’enfant. En comparant l’enfant à un groupe de référence, les échelles posent un diagnostic risquant de le catégoriser. Enfin, ces outils doivent être utilisées avec prudence par un personnel qualifié en psychométrie. Ils ne devront pas rester les seuls éléments d’évaluation. Si cette dernière a alimenté bon nombre de travaux, l’origine des troubles reste une préoccupation majeure des familles et des différents professionnels intervenant dans le champ du handicap.

Nous rappelons que nos classes spécialisées ont pour « vocation à accueillir des enfants présentant des troubles importants des fonctions cognitives qui peuvent avoir des origines et des manifestations très diverses : retard mental global, difficultés cognitives électives, troubles psychiques graves, troubles graves du développement... ». Nous allons nous attacher à présenter et à décrire ce à quoi renvoient ces termes.

Notes
172.

Traité de Paul Moreau. 1888. La folie des enfants..

173.

Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’American Psychiatric Association.

174.

A.P.A 1952.

175.

Classification Internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement de l’Organisation Mondiale de la Santé.

176.

Zachary R.A, Weschler’s theoretical and practical considerations. Journal of Psychoeducational Assessment, 8, 276-289, 1990, in Les psychologues scolaires et les mesures de l’intelligence, Gagné R., http://www.aqps.qc.ca/bulletin/04/04-01-01.htm

177.

Nous présentons les classifications les plus utilisées et entre parenthèses les scores pour chacune des catégories (légère ; moyenne ; sévère ; profonde). O.M.S. (CIM-10) : Cet organisme rédige la classification internationale des maladies. Cette classification porte le nombre 10 parce qu’il s’agit de la dixième révision. (50-69 ; 35-49 ; 20-34 ; moins de 20). DSM IV: Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. (50-55 à 70; 35-40 à 50-55; 20-25 à 35-40; moins de 20-25). A. P. A. : American Psychological Association (Jacobson et Mulich, 1996) (55-70 et déficits dans deux ou plus des domaines de comportements adaptatifs ; 35-54 et déficits dans deux ou plus des comportements adaptatifs ; 20-24 et déficits dans tous les domaines de comportements adaptatifs ; moins de 20 et déficits dans tous les domaines). A. A. M. R. : American Association of Mental Retardation. Plutôt que d’établir des catégories de déficience, l’AAMR propose d’utiliser la description du genre de soutien requis par la personne (intermittent, limité, important et intense).

178.

L’âge mental introduit par Alfred Binet, est obtenu à partir de la passation d’une série d’épreuves différentes selon l’âge. Le Q.I. mesuré à partir de tests de type Binet-Simon, n’est rien d’autre qu’un rapport entre l’âge mental donné par l’épreuve et l’âge chronologique du sujet.

179.

La Wechsler Preschool and Primary Scale on Intelligence ou WPPSI-R; la Wechsler Adult Intelligence Scale-Revised ou WAIS-R; la Wechsler Intelligence Scale for Children ou WISC III.

180.

Les Bayley Scales of Infant Development (1969 révisées en 1993) utile à l’évaluation du très jeune enfant (jusqu’à 30 mois) ; peut être utile pour évaluer les enfants ayant une déficience profonde. Les Griffiths Mental Developmental Scales. 1970. quotient de développement par secteurs et quotient global de développement. Échelle de développement de Harvey. 1984. donne un âge global de développement qu’il est possible de transformer en quotient de développement.

181.

Échelle québécoise de comportements adaptatifs (EQCA) (AQPRM-UQAM, 1993).