1.4.2 Caractéristiques et étiologie du retard mental

La diversité est la caractéristique la plus marquante des enfants et adolescents atteints de retard mental. Elle peut s’observer dans les différents niveaux de déficit intellectuel et adaptatif mais aussi dans leurs origines multiples et leurs manifestations au cours du développement. C’est la nature de l’intelligence qui est interrogée en lien avec l’opposition régulièrement réalisée entre « hérédité » et « environnement ».

Le retard mental n’est pas un trouble psychopathologique distinct mais un ensemble de troubles très divers ayant trois dénominateurs communs. Le sujet a un fonctionnement intellectuel nettement inférieur à la moyenne ; celui-ci limite son adaptation dans différents domaines importants ; le trouble commence généralement pendant la petite enfance ou l’enfance. Le retard mental se caractérise donc essentiellement par un développement limité des facultés intellectuelles et du fonctionnement adaptatif. On le repère à travers différents degrés de sévérité en fonction des déficits intellectuels de l’enfant et de ses problèmes d’adaptation. Il se manifeste au niveau du comportement social, du langage, de l’autonomie personnelle et de la motricité.

Nous l’avons dit, la diversité est la caractéristique la plus remarquable dans le domaine de la déficience intellectuelle. Comme le notait déjà L. Vygotski dans les années 30, dire qu’un enfant est atteint de retard mental équivaut à dire de quelqu’un qu’il est malade, sans préciser la nature de sa maladie. Les troubles classifiés sous cette rubrique ont en effet des origines multiples et des trajectoires développementales diverses. Elles entraînent des manifestations variées même chez des personnes ayant toutes un niveau intellectuel comparable.

Le degré d’autonomie, les capacités à fonctionner à l’école ou au travail, les troubles psychopathologiques, les affections médicales ou somatiques sont autant d’éléments qui accompagnent le retard mental. Dans un continuum de fonctionnement intellectuel et adaptatif on trouve, à la limite inférieure, des enfants et adolescents profondément retardés 182 . Leur développement est limité dans toutes les sphères de fonctionnement comme le sont leurs capacités d’apprentissage. Ils nécessitent tout au long de leur vie une surveillance et des soins constants pour subvenir à leurs besoins. Vers le milieu de ce continuum on rencontre des enfants 183 réclamant eux aussi un encadrement particulier. Ils sont cependant capables d’acquérir un certain degré d’autonomie personnelle, de partager une vie sociale, d’apprendre à réaliser différentes tâches simples et souvent de travailler dans un milieu plus ou moins protégé. Enfin, à la limite supérieure de notre progression, on trouve des sujets qui n’ont pas manifesté de difficultés majeures dans les premières années de leur vie. Leur retard mental n’est en fait souvent décelé que lorsqu’ils entrent à l’école primaire et qu’ils sont confrontés aux exigences des apprentissages scolaires. Ils développent habituellement un niveau d’autonomie qui ne les distingue guère des autres enfants. Après une scolarité difficile, accompagnée parfois de troubles importants du comportement, bon nombre d’entre eux sont capables de vivre relativement normalement à l’âge adulte.

Le fait que le retard mental reflète un continuum de fonctionnement intellectuel et adaptatif a toujours suscité de nombreuses controverses sociales, politiques et philosophiques. Si la borne inférieure est habituellement évidente quel que soit le contexte social 184 , les limites de l’autre extrémité sont toujours plus difficiles à établir. En effet, il apparaît parfois que le contexte et la nature des tâches ne sont pas sans incidences sur le retard perçu dans le fonctionnement intellectuel et adaptatif. Parler de retard mental, c’est ici porter un jugement social autant que poser un diagnostic de psychopathologie.

Comme nous y avons déjà fait allusion, ce sont les exigences de la scolarité qui font apparaître les sujets se situant à la limite supérieure du continuum 185 . Dans le monde occidental, il y a une prévalence du retard léger pendant les années d’école, suivie d’une baisse au début de l’âge adulte. On note aussi des disparités selon les pays en fonction des critères utilisés et des services offerts aux enfants en difficulté.

Depuis plus d’un siècle, la représentation de l’intelligence comme une entité plus ou moins fixe se retrouve dans les travaux scientifiques et au cœur de nombreux débats. De multiples controverses opposent régulièrement « hérédité » et « environnement ». Ces études cherchent à établir dans quelle mesure l’intelligence est une caractéristique héréditaire 186 . Elles s’accordent à montrer aujourd’hui, sur la base de données scientifiques rigoureuses, qu’environ 50 à 70% des variations observées dans le niveau de l’intelligence humaine proviennent de différences héréditaires parmi les personnes évaluées. D’autres chercheurs en concluent que 30 à 50% de ces variations peuvent être attribuées à des différences environnementales. Ces données sur l’héritabilité posent des problèmes d’interprétation majeurs qui ne sont pas sans répercussion dans le champ du retard mental. Le premier conduit la personne à quantifier la part d’intelligence qui revient à ses gènes en ignorant que les résultats proposés sont des mesures de groupe et non individuelles. Un potentiel génétique prédisposant à un talent particulier nécessite toujours un environnement favorable dans lequel se manifester. En d’autres termes, comme le souligne J. Piaget 187 , l’enfant construit son intelligence bien davantage qu’il n’hérite d’un patrimoine intellectuel comme on hérite d’un patrimoine familial. Il en va de même du retard mental. L’intelligence d’un sujet peut être limitée pour des raisons génétiques, mais le développement de son potentiel intellectuel dépend étroitement de son environnement. Savoir que l’héritabilité de l’intelligence est de l’ordre de 50 à 70% ne permet pas d’expliquer l’origine des capacités d’un individu ou de prédire leur développement et évolution. C’est aussi oublier que les facteurs génétiques et environnementaux n’apportent pas des contributions uniques, distinctes et exclusives au développement des caractéristiques individuelles. Ils sont en interactions constantes, complexes et encore mal connues. De plus, on ne peut ignorer que toute mesure d’héritabilité dépend des circonstances environnementales. L’index évoqué reflète non seulement la population étudiée, mais aussi le moment et les méthodes utilisées. Si ces différents paramètres devaient changer, les résultats obtenus pourraient varier.

La question essentielle dans le domaine de l’intelligence en général, et du retard mental en particulier, n’est pas de savoir combien les capacités intellectuelles doivent respectivement au bagage héréditaire et à l’environnement. L’important réside dans la compréhension des interactions de ces deux sources pour contribuer au développement de la personne. Un individu, quel que soit son handicap ne peut être réduit à une simple addition de facteurs endogènes et exogènes.

S’agissant du retard mental, la CIM-10 ne définit pas de critères diagnostiques spécifiques comme elle le fait pour les autres troubles présentés. Les éditeurs de cette classification jugent qu’il est impossible d’établir de tels critères sur le plan international. Il est en effet difficile de prendre en compte la grande diversité des facteurs sociaux et culturels qui influencent toujours la définition et l’évaluation du retard mental dans un contexte donné. La CIM-10 comme le DSM-IV, propose cependant quatre degrés de sévérité : léger, moyen, grave et profond. Le premier regroupe environ 85% des personnes atteintes tandis que le deuxième en compte environ 10%. Le troisième est représenté à hauteur de 3 à 4% alors que le dernier en retient 1 à 2%. Bien que ces degrés soient quelque peu arbitraires, il est possible de les décrire de manière générale.

Les enfants présentant un retard mental léger apprennent à parler sans difficultés majeures. Cependant cet apprentissage se fait souvent lentement. Leur compréhension et utilisation du langage sont généralement limitées et concrètes. L’acquisition d’un niveau d’autonomie personnelle et sociale est comparable à celui des sujets d’intelligence normale même s’il nécessite davantage de temps et de soutien. Lorsque les capacités sensorielles et motrices sont atteintes, les perturbations sont relativement mineures et elles n’entraînent pas un ralentissement marqué du développement.

Durant les premières années de la vie, ces difficultés ne posent pas de problèmes majeurs. C’est souvent l’entrée à l’école, avec la confrontation aux apprentissages de la lecture et de l’écriture qui sera le révélateur. Les progrès au-delà de la scolarité primaire sont limités par les exigences dans le domaine de la pensée formelle. Ces élèves peuvent bénéficier d’une scolarisation adaptée à leurs besoins. Vers la fin de l’adolescence et à l’âge adulte, un nombre important de personnes atteintes de retard mental léger mène une vie relativement normale.

La plupart des enfants ayant un retard mental moyen apprennent à parler. Ils ont cependant des difficultés majeures à communiquer avec leur entourage au-delà d’un échange d’information simple et concrète. L’apprentissage des règles et des conventions sociales leur est difficile et ils nécessitent un niveau d’encadrement soutenu. Le degré d’autonomie est restreint et ils peuvent présenter des problèmes de motricité.

Quel que soit leur contexte social et culturel, leur retard est généralement évident dès la petite enfance et rend les acquisitions particulièrement difficiles. La plupart d’entre eux n’apprennent pas à lire ou à écrire. Ils peuvent cependant bénéficier de programmes éducatifs structurés. À l’âge adulte, la majorité des personnes atteintes de retard mental moyen peut travailler dans des ateliers protégés et partager une vie sociale dans un milieu familial ou communautaire.

Le retard mental grave renvoie à des difficultés semblables à celles précédemment décrites, mais plus prononcées. Elles sont multiples et ralentissent considérablement le développement et le niveau d’autonomie. Ces enfants peuvent acquérir un langage fonctionnel rudimentaire et apprendre à accomplir des tâches très simples. Ils doivent bénéficier toute leur vie d’une surveillance étroite et de soins particuliers dus à leur mobilité réduite, à leur autonomie limitée et à des affections médicales qui compliquent leur état.

Le retard mental profond s’enracine le pus souvent dans la petite enfance et affecte l’ensemble du développement. Les enfants concernés nécessitent une supervision et des soins constants, dispensés le plus souvent en milieu institutionnel. Leur langage est extrêmement limité ou inexistant, bien qu’ils puissent parfois communiquer à l’aide de gestes ou de mots isolés. Il en va de même de leur autonomie personnelle. Ils ne peuvent pas manger ou s’habiller seul, sont limités dans leur motricité et manquent la plupart du temps de contrôle sphinctérien. Leur état est souvent aggravé par des affections physiques multiples qui réclament des soins médicaux et réduisent leur longévité.

La validité d’un diagnostic de retard mental dépend avant tout du niveau de fonctionnement intellectuel et adaptatif de la personne évaluée, comme des méthodes utilisées. Le retard mental moyen, grave ou profond ne fait habituellement pas de doute, dans la mesure où l’enfant peut être testé. Par contre, le retard mental léger reste une catégorie diagnostique qui porte à controverse. D’une part, le seuil entre ce retard et un niveau de fonctionnement faible ne fait pas l’unanimité. D’autre part, les enfants atteints de retard mental léger ne le sont pas nécessairement dans tous les contextes ou à chaque période de développement.

Comme le retard mental regroupe un nombre de troubles très hétérogènes, on ne peut pas en spécifier l’étiologie en tant que telle. Cependant, chercheurs et cliniciens observent depuis longtemps une distinction entre les retards d’origine biologique et ceux d’origine sociale, culturelle ou familiale. Cette séparation peut conduire au dualisme opposant facteurs endogènes et exogènes que nous avons évoqués plus amont. En réalité, elle consiste à énoncer que certaines formes de retard mental ont une étiologie biologique connue alors que d’autres n’en ont pas 188 . La majorité des personnes concernées n’ont pas d’antécédents héréditaires ou neurologiques connus et n’ont pas souffert d’une affection médicale ou d’un traumatisme qui puisse expliquer leur état.

On distingue couramment parmi les facteurs biologiques ceux se développant durant les périodes anténatales, périnatales et postnatales. 189 Ils peuvent être d’origine héréditaire ou environnementale. Pour la première, le retard mental peut être causé par des gènes défectueux ou des aberrations chromosomiques. La plupart de celles-ci sont liées à des anomalies du nombre 190 , de la structure 191 où à la fragilité d’un site 192 . La majorité des troubles d’origine héréditaire sont transmis sur un mode autosomique récessif. Ils proviennent de la mutation d’un gène qui entraîne la perturbation d’un ou de plusieurs processus de synthèse protéique 193 . Plus rarement , ils sont transmis sur un mode gonosomique, comme dans le cas du syndrome de Lesch-Nyhan 194 . Certains facteurs biologiques augmentent plus ou moins fortement la probabilité du retard mental mais la forme, la sévérité et l’évolution dépendent de processus transactionnels entre l’enfant et son environnement 195 .

S’agissant des facteurs environnementaux, on présuppose une étiologie familiale, sociale ou culturelle. Cette hypothèse apparaît comme très vague et négative car elle procède par exclusion. Elle est aussi insuffisante puisqu’elle ne peut pas préciser clairement l’origine du retard mental de plus de la moitié des personnes qui sont concernées. La plupart d’entre elles représentent la limite inférieure d’un continuum de capacités intellectuelles et adaptatives dans lequel les différences individuelles proviennent de processus transactionnels complexes entre facteurs biologiques, psychosociaux et culturels. Dans cette perspective, le retard mental léger est l’expression à la fois du versant inférieur d’une distribution normale de l’intelligence et de multiples facteurs de désavantage familiaux et sociaux 196 .

Bien que les processus transactionnels restent mal connus, de nombreux travaux démontrent qu’ils jouent un rôle important dans l’étiologie et l’évolution du retard mental. L’adaptation de l’entourage aux difficultés influence et reflète à la fois l’adaptation du sujet. Les parents et surtout les mères d’enfants atteints de retard mental éprouvent dans l’ensemble un niveau de stress nettement supérieur à celui enregistré par les familles d’enfants sans difficultés. Les sentiments de dépression, de manque de compétence et de culpabilité sont fréquents chez les mères. Ils renvoient plus aux défis multiples liés à la responsabilité d’élever un enfant handicapé qu’à une psychopathologie maternelle. L’adaptation familiale en général et le stress de la mère en particulier évoluent à diverses périodes de développement de l’enfant et dépendent de la nature du retard et des troubles associés.

Notes
182.

Enfants et adolescents qui souffrent par exemple d’hydrocéphalie ou de lésion cérébrale à la suite d’une infection ou d’un traumatisme crânien.

183.

Enfants trisomiques par exemple.

184.

Certaines personnes sont tellement handicapées qu’indépendamment du contexte et des critères utilisés pour définir le retard mental, leur état ne fait guère l’objet de controverses.

185.

Misès R., Perron R., Salbreux R. 1994. Retards et troubles de l’intelligence de l’enfant, Paris, ESF.

186.

Plomin R., DeFries J.C., McClearn G.E., Rutter M. 1998. Des gènes au comportement. Introduction à la génétique comportementale, P. Arecchi (trad.), Bruxelles, De Boeck Université,.

187.

Piaget J. 1936. La naissance de l’intelligence chez l’enfant, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.

188.

Soit parce qu’une telle étiologie n’existe pas ou qu’elle reste à découvrir.

189.

R. Misès, op. cit.

190.

Trisomie 21, Syndrome de Turner, Syndrome de Klinefelter.

191.

Syndrome de Prader-Willi.

192.

Syndrome de l’X fragile.

193.

Exemple de la phénylcétonurie.

194.

Ce syndrome, qui atteint uniquement les garçons, se caractérise par un retard mental moyen, une infirmité motrice cérébrale souvent marquée, des difficultés digestives et, surtout, des comportements d’automutilation qui peuvent provoquer une détresse extrême chez l’enfant et dans son entourage.

195.

La phénylcétonurie en offre un exemple classique. Ce trouble provient de l’incapacité de l’organisme à transformer la phénylalanine que contiennent de nombreux aliments. On sait qu’un seul gène situé sur le chromosome 12 provoque la phénylcétonurie, qui peut conduire à un retard mental grave ou profond. Cependant l’enfant porteur du gène naît normal et la probabilité qu’il manifeste un tel retard dépend de son régime alimentaire. Un régime pauvre en phénylcétonurie instauré dès la naissance permet dans la grand majorité des cas d’éviter le retard mental qui donc, s’il se manifeste, a des origines à la fois héréditaire et environnementale, anténatale et postnatale.

196.

Il peut s’agir de pauvreté, d’une psychopathologie parentale comme l’alcoolisme, la maltraitance, le manque de soins adéquats en cours de développement (soins médicaux, vaccination) et la discrimination (racisme, scolarisation inadéquate).