2.2.2. L’échec de la leçon de chose

La première voie de formation scientifique dont il est historiquement possible de tirer profit est celle de la pédagogie de l'observation. Celle-ci a été introduite dans les programmes officiels de l’enseignement public en 1882, par J. Ferry.

Prônées par Rousseau et Condorcet, pratiquées depuis longtemps aux États-Unis, ces « leçons de choses » avaient été découvertes par les théoriciens français aux environs de 1870. Un rapport d’inspecteur général, alors en mission sur le continent américain, M. Hippeau, avait contribué à les remettre à l'honneur 211 . C’est cependant le livre de H. Spencer, De l'éducation, paru en Angleterre en 1861, traduit en France seulement en 1878, qui acheva d’en populariser la méthode. Pour cet auteur, il s’agit à travers elles de contribuer à développer le jugement personnel par opposition à la passivité respectueuse engendrée par le dogmatisme d’autrefois. Inspiré d’A. Comte et de sa loi des trois états, il pense la démarche en opposition à la pédagogie congréganiste et à l’esprit de soumission. Elle représente un des moyens d’accélérer l’accès à la positivité 212 .

La science est perçue à la fois comme technique d’apprentissage et comme principe d’union. On aspire à créer une convergence mentale que la religion obtenait de tous par la soumission au doctrinal. Les instructions officielles de 1887, de 1923, de 1938, de 1945, comme celles de 1957, montrent une même prédilection. La méthode scientifique est restée, par le biais de l’observation, un instrument privilégié. À travers celle-ci, seule opération du savant dont l’enfant soit capable, on a vraiment attendu une formation intellectuelle et morale. Elle est pensée comme une sorte de tremplin par lequel le jeune serait entraîné « à l’objectivité, à se soucier de l’opinion d’autrui, à s’efforcer de trouver un accord avec lui, pour finalement s’en tenir à ce qui sera défini et nommé en commun" 213 .

Pourtant, en y regardant de plus près, ce type d’observation ne vise ni à étonner ni à expliquer. L. Legrand 214 , en s’appuyant sur les considérations de R. Hubert 215 , dénonce cette coupure. Il n’est pas bon de rompre avec toute motivation de l’espritcapable de donner sa pleine valeur d’entraînement à la pensée inductive et déductive. En proie à une mentalité plus scientiste que positiviste, trop convaincus qu’il y ait des vérités scientifiques qu’il faut connaître impérativement, les instituteurs négligent l’attitude au profit de l’information. Ils mettent l’accent sur la mémorisation des constats au détriment de l’affinement des conduites intellectuelles. L’entraînement à la pensée scientifique devient pratiquement celui d’une saisie des seules vérités accessibles à l’enfant. C’est-à-dire de celles que l’on constate, à défaut de pouvoir en conclure par le raisonnement.

Ce dogmatisme illustré 216 s’avère décevant, pour tout le monde. Les maîtres, décontenancés, ne tardent pas à abandonner la substitution recommandée et à réintroduire le type de didactique que H. Spencer avait auparavant condamnée 217 .

Notes
211.

 Rapporté et analysé par J. Ferry dans son Discours sur l'égalité d'éducation, 1870, dans Obiquet, Discours et opinions de J. Ferry, Paris: Colin, 1893-1898, Vol. I. 298.

212.

 Cette option didactique s'inscrit dans le programme d'une éducation moderne, substituant aux procédés a priori et à l'abus des règles abstraites, la méthode expérimentale qui va du concret à l'abstrait, déduit la règle de l'exemple, etc.

213.

 Instructions de 1957, cité par L. Legrand,Pour une pédagogie de l'étonnement, Neuchâtel: Delachaux, 1960, p.35.

214.

 Op. cit., p.113.

215.

 Hubert, "La formation du sens de l'observation chez l'enfant", dans Pédagogie des sciences, Congrès international de philosophie des sciences, 1949, Actualités scientifiques et industrielles, 1952.

216.

 Il ne permet pas réellement d'introduire "quelque chose de neuf et de parfaitement inconnu" (cité par le Nouveau dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire de F. Buisson, Paris: Hachette, 1911, article "leçon de choses").

217.

 G. Avanzini. 1975. Immobilisme et novation dans l’éducation scolaire, Privat, p.106 (coll. "Nouvelles recherches").