2.2.3. L’insuccès de « l’éveil scientifique »

La deuxième voie à apostropher est celle qui prend le relais, à savoir : la pédagogie de l'éveil. Des activités du même nom sont ordonnées dans le prolongement de la « rénovation pédagogique » décidée aux lendemains des événements de 1968.

Elles visent l’éducation de « toute la personnalité » 218 , le déploiement de « l’imagination créatrice » 219 , et puisent chez G. Bachelard 220 . Selon F. Best, se pose « une problématique de l’initiation de l’enfant à une vue scientifique du réel » 221 . La difficulté reste la transposition dans le scolaire, avec des applications réalisables en fonction du niveau de l’élève. Du message épistémologique contemporain on retient surtout la non-scientificité de l’intuition immédiate 222 . La majorité des pédagogues se rangent à l’idée qu’il est impossible d’atteindre d’emblée un abord scientifique du monde. L’accent est mis sur la recherche de situations autorisant « le sens du problème ». Les notions d’intérêt et d’étonnement retrouvent vigueur 223 , elles intègrent cette fois un champ interdisciplinaire constitué par une méthode globale.

Ces activités se veulent essentiellement fondées sur l’exploration active du milieu et la mise en œuvre des méthodes de l’investigation scientifique 224 . Elles ont vocation de travailler à la maturation psychologique de l’enfant et au développement de sa capacité à apprendre de façon autonome 225 . Elles souhaitent faciliter la socialisation, la construction progressive des connaissances, et ambitionnent même l’élaboration d’une assise favorisant les apprentissages fondamentaux 226 . L’entreprise connaît une extension nationale et son caractère officiel ne cesse de se préciser jusqu’en 1980.

Reste qu’une évaluation à grande échelle 227 , lancée par la Direction des Écoles dès 1979, témoigne de résultats inquiétants. Certes, en fin de parcours élémentaire (C.M.2), les enfants s’avèrent capables d’observer, de relever des analogies, de lire ou d’exécuter des schémas, de rechercher des informations, de collaborer avec autrui. Mais, cela s’accompagne de sérieuses défaillances versant stratégies, autonomie, attitude critique, créativité, activité manuelle et technique. Pire, l’épreuve des « sciences expérimentales » figure parmi les moins bons scores 228 . En 1983, alors que s’achève l’interprétation des données, J.-P. Despins et M.-C. Bartholy ont beau jeu pour discréditer ces essais et n’y voir que « recettes pour crétiniser les masses » 229 . On peut cependant s’interroger sur l’argumentation de ce virulent pamphlet 230 . Le ministère, pour sa part, rebondira en considérant que ce projet a donné naissance à trop de dérives et de caricatures 231 .

On évite surtout d’ébruiter que l’ambition de ces méthodes estimées à rebours imprudentes s’est heurtée à un enseignement massivement collectif, avec une prééminence français-mathématiques et à une image maintenue floue, voire négative, de « l’éveil » 232 .

Notes
218.

 On peut se reporter à O. Guichard, "Discours à Sèvres, le 6 oct. 1969", l'Éducation, 16 oct. 1969, p.18.

219.

 Voir la Circulaire du 2 septembre 1969, B.O.E.N. n°35, 18 sept. 1969, p.2911.

220.

 On pourra consulter la présentation des réflexions de cet auteur dans l’ouvrage de J.J. Wunenburger, directeur du centre G. Bachelard - Dijon - (La raison contradictoire, Albin Michel, 1990 - coll. "Science et symboles" -).

221.

 Fr. Best. 1985. Pour une pédagogie de l'éveil, Paris: Colin.

222.

 C'est parce que nous ne nous trouvons jamais devant du donné brut et pur que « l'immédiat doit céder le pas au construit » (G. Bachelard, La philosophie du non, Paris : P.U.F., 1940, p.144).

223.

 Échos à Spitz (De la naissance à la parole, 1968, p.64) et Claparède (L'éducation fonctionnelle, Neuchâtel: Delachaux, 1968) ainsi qu’au questionnement sur le réel tel que prôné par L. Legrand (Pour une..., op. cit).

224.

observation, expérimentation, documentation, utilisation de la mesure et du schéma

225.

curiosité, confiance en soi, attitude critique

226.

via réinvestissement fonctionnel et respect de la rigueur

227.

 Dans sa globalité, l’échantillon comprend 7631 élèves de 424 classes de 330 écoles.

228.

 Voir "présentation générale des résultats", Évaluation pédagogique dans les écoles, Ministère de l’Éducation, 1983, p.29.

229.

Référence à J.P. Despins et M.C. Bartholy. 1987. Le poisson rouge dans le perrier, U.G.E., (2ème éd., coll. 10/18).

230.

Voir J.-P. Astolfi, 1992. l’école pour apprendre. E.S.F., p.117 : « L’histoire vraie de l’activité scientifique qui a donné ce titre accrocheur à leur livre est-on l’aura compris- à situer du côté des activités fonctionnelles, activités que les livres du maître de la collection Tavernier ont développées au maximum pour multiplier les suggestions. Elle ne figure pas, comme on a cherché à le faire croire avec démagogie, du côté de l’objectif scientifique à atteindre. »

231.

Se reporter au Bilan et grandes orientations du rapport de M. R. Girault, réunion de presse du 22 sept. 1983, p.4.

232.

 L’évaluation pédagogique de 1979-1983 le faisait d’ailleurs (timidement) remarquer ("présentation...", op. cit., p.41).