La voie suivante est celle d’une pédagogie de type socio-constructiviste dite de l’activité 233 . En 1985, sous l’impulsion de J.-P. Chevènement, les nouvelles Instructions insistent sur la question des contenus.
Dorénavant, on parle de « Sciences et Technologie » 234 . Initialement, l’objectif est l’acquisition des « méthodes » propres aux deux « démarches ». Pour l’une cela signifie : « observer, analyser, expérimenter, puis représenter », pour l’autre : « concevoir, fabriquer, transformer ». Dix ans plus tard, en 1995, si l’exigence reste la même pour la seconde, une nuance est apportée au niveau de la première. Afin de mettre en œuvre « certains aspects » de cette provocation du réel, l’élève apprend « à formuler des questions, à proposer des solutions » 235 . S’inscrivant dans le prolongement de la loi d’orientation de 1989 et du projet d’école de 1992, le nouveau contrat précise également les options retenues pour placer l’apprenant au cœur du système. La distribution par cours cède le pas à une organisation pluriannuelle 236 , le statut de l’erreur est révisé à la hausse 237 , les enseignants enjoints à travailler en équipes.
C’est qu’entre-temps, parallèlement aux apports de la psychologie génétique et cognitive, quelques échos supplémentaires d’épistémologues ont filtré. On se familiarise de plus en plus avec les idées de rectification des images, de force heuristique de la contradiction, de faillibilisme dans la connaissance, de falsification 238 . Depuis les années quatre-vingt-dix, les I.U.F.M. présentent à leurs étudiants des conduites qui en sont largement pénétrées. Les principaux concepts de cette didactique ont d’ailleurs été recensés 239 . Quant au modèle pédagogique orientant la formation, il est déclaré d’Investigation-Structuration 240 . Et puis, l’aura de deux prix Nobel français sait autant réconcilier qu’accrocher. Ph. de Gennes (Physique 1991) n’hésite pas à érailler la légitimité d’une sélection par les mathématiques (le « préjugé A. Comte ») 241 . G. Charpak (Physique 1992) s’évertue à promouvoir une intelligence du geste (le programme américain "Hands on") 242 . En 1996, soutenu par l’Académie des sciences et entouré de quinze spécialites 243 , il lance en France l’opération « La main à la pâte » 244 . Elle s’adresse aux enseignants, formateurs et scientifiques qui souhaitent s’inscrire dans un développement de l’enseignement des sciences. Elle vise à promouvoir, au sein de l’école primaire, une démarche d’investigation scientifique. Son ambition est de prendre en compte la curiosité des enfants face au monde, les questions qu’ils se posent et de chercher avec eux des éléments de réponse en expérimentant. Ces travaux donnent lieu à des échanges et à la rédaction de cahiers d’expériences qui contribuent aux apprentissages langagiers fondamentaux.
À la demande du Ministère de l’Éducation nationale, de la recherche et de la technologie, un bilan est réalisé de mars à juin 1999, avec observations de classes et nombreux entretiens avec différents acteurs. Ce travail a été confié à J.-P. Sarmant, Inspecteur général de l’Éducation nationale . En ce qui concerne les objectifs généraux : « les effets sont très positifs dans les domaines du comportement social et moral, de l’expression dans la langue maternelle et de la formation générale de l’esprit » ; ceci conduit l’auteur à conclure : « l’opération de La main à la pâte a suscité l’apparition ou encouragé le développement de formes d’enseignement dont l’intérêt va au-delà du domaine des sciences. » S’agissant des apprentissages scientifiques : « l’examen des cahiers et les entretiens avec les enfants témoignent dans une majorité de classes observées d’acquis scientifiques non négligeables … Des éléments importants de culture générale scientifique sont en cours d’acquisition. »
Pourtant, trois dérives majeures sont repérées. Dérive dite méthodologique : « on constate que l’acquisition (dans certaines classes) de connaissances est un objectif mineur, voire inexistant » ; dérive dite technologique : « on observe, dans certaines zones une activité exclusivement technologique, le plus souvent réductrice, qui consiste à réaliser un objet, sans autre problématique », mais aussi dérive dite relativiste mettant sur le même plan les conclusions de la classe et les savoirs scientifiques.
Cependant, « les constations ci-dessus, relatives à un nombre de classes significatif mais minoritaire, ne remettent pas en cause le bien fondé des principes de l’opération ».
Bien au contraire, le Ministère de l’Éducation nationale reconnaît les voies tracées par l’opération « La main à la pâte ».
Dans sa conférence de presse du 20 juin 2000, le ministre de l’éducation nationale annonce la mise en place d’un plan de rénovation des sciences et de la technologie à l’école 245 . Il souhaite faire bénéficier tous les élèves d’une méthode dont le succès est selon lui incontestable. Il rend hommage à G. Charpak ainsi qu’à l’action de l’Académie des sciences. Cette entreprise de grande ampleur est une mise en œuvre progressive d’une méthodologie issue de « La main à la pâte ». La rénovation vise une évolution durable des pratiques pédagogiques dont la phase de mise en place s’étend sur trois années scolaires à compter de la rentrée 2000. L’approche qu’elle induit est fondée sur le questionnement et l’investigation, constitutifs des disciplines scientifiques. Un tel abord devra s’appliquer, avec une certaine permanence, aux contenus des programmes de sciences actuels et à venir.
Deux objectifs essentiels sont visés. Le premier préconise un enseignement des sciences effectif dans toutes les classes et inscrit dans le cadre horaire spécifié par l’arrêté du 22 février 1995. Le second réclame des enseignants qu’ils créent les conditions d’une réelle activité des élèves. Ces derniers se devant de construire leurs apprentissages.
Pour les promoteurs du plan de rénovation, l’enseignement des sciences avait régressé à l’école en raison de la conviction de certains enseignants que le temps qui lui était consacré amputait celui des apprentissages fondamentaux (parler, lire, écrire, compter). La volonté affichée est de dépasser cette contradiction. En effet, la science n’est pas seulement une source de connaissances et une école de la pensée. Elle peut aussi se révéler le creuset de l’expression et du comportement, contribuant ainsi au respect d’autrui et à la tolérance.
Cependant, entre les pratiques déclarées, avec mobilisation parfois d’un langage quasi-expert, et celles qui sont effectives, il y a place pour plus d’une mystification. A. Giordan et son équipe ne cessent de le répéter : le savoir dominant demeure éloigné de nos contemporains. Enseigner ne serait pas apprendre mais faciliter indirectement la production par l’enfant de nouvelles significations 246 . Tant que l’on imagine qu’il suffit de « prélever les représentations », de « faire faire », de répondre à la non compréhension par la répétition transfigurée du même, les succès ne peuvent qu’être limitées. Le pire réside peut-être dans ce dernier détournement.
On s’exprime désormais en termes de « compétences », de « conceptions », « d’objectif-obstacle », de « conflit socio-cognitif », de « groupes de niveau » et « de besoin », de « transfert »... L’ennui, c’est que sous couvert d’une nouvelle sémantique se cache bien souvent la reproduction du même.
Ce rétrospective n’a pas pour ambition de décourager. La recherche de solution se poursuit, les initiatives sont légion. Mais ce recadrage sur les revers continuellement essuyés doit permettre un gain en lucidité. Ils signalent qu’un ensemble de dérapages et de leurres détournent de l’intention initiale. Nombreux sont les enseignants qui persévèrent ou reviennent à ce qu’il leur était précisément demandé d’abandonner. Il existe naturellement des facteurs préjudiciables. On pense au pendule entre les images de l’enfance 247 , l’oscillation quant aux missions de l’école, l’hésitation face à l’autorité, le manque de formation professionnelle, le nombre des élèves en classe... Mais ceci ne saurait constituer des raisons déterminantes. Quelques illusions pèsent également. Beaucoup se satisfont de la certitude d’une inéluctable diffusion des procédures modernes. D’autres ont la conviction qu’un remodèlement passe avant tout par un renversement des rapports de force au sein de l’État. Mais ces deux conceptions ont mal supporté l’épreuve du temps 248 . Pour comprendre cette neutralisation de directives officielles et cet ancrage dans un noyau somme toute traditionnel, un autre éclairage est conseillé. Nous pouvons nous tourner cette fois vers un paradoxe plus général.
Elle se décline comme associant "nécessairement les moments où l’enfant découvre et élabore progressivement son savoir, et ceux où il revient au maître d’expliquer et d’apporter directement des connaissances" (École élémentaire, Programmes et instructions, C.N.D.P. et Livre de Poche, 1985, pp.15-16).
Dès 1985, se voient regroupées deux rubriques de 1980 : Sciences Expérimentales et Activités manuelles (id., p.13).
On insiste sur le caractère "raisonné" (Programmes de l’école primaire, C.N.D.P., 1995, p.65).
Trois cycles de trois ans relient la scolarité de la maternelle à la fin de l’élémentaire, la grande section étant commune à C1 et C2. La durée hebdomadaire est ramenée à 26 heures, les programmes sont annoncés comme allégés et recentrés.
Elle doit être reconnue comme "une non réussite signifiante" (se reporter à Travailler par cycles à l’école de la petite maternelle au C.M.2 en mathématiques, Hachette, 1992, pp.109-126).
Aux travaux de Gaston Bachelard s’ajoutent au moins ceux de Karl R. Popper (dont La connaissance objective, Aubier, 1991).
Voir J.-Pierre Astolfi et al, 1997. Mots-clés de la didactique des sciences, Repères, définitions, bibliographies, Paris-Bruxelles: De Boeck Université, coll. "Pratiques pédagogiques"-).
Se reporter à J.P. Astolfi et M. Develay. 1989. La didactique des sciences, Paris: P.U.F., (coll. "Que sais-je").
On peut consulter son livre écrit en collaboration avec J. Badoz, 1993. Les Objets fragiles, Pocket.
Voir La main à la pâte. Les sciences à l’école primaire, ouvrage collectif présenté par G. Charpak, Flammarion, 1995.
Réunis à la fondation de Treilles en septembre 1996, on peut citer notamment J. Hebrard, historien, inspecteur général de l’Éducation nationale, A. Jacquard, généticien des populations, P. Léna, astrophysicien, membre de l’Académie des sciences, A. Tiberghien, physicienne, directeur de recherches au C.N.R.S.
C’est une traduction d’une expérience « d’alphabétisation scientifique » menée par le physicien L. Lederman aux Etats-Unis, plus connue sous le projet Hands On.
Ce plan est défini par la note de service n° 2000-078 du 8 juin 2000, parue au B.O n° 23 du 15 juin 2000.
A. Giordan et G. de Vecchi, L’Enseignement scientifique, comment faire pour que ça marche ?, Z’éditions, 1989.
Voir B. Duborgel, Imaginaires à l’œuvre, Paris, Ed. Gréco, 1989, pp.16-38.
On pourra pour ces questions se reporter à l’ouvrage de G. Avanzini, L’École, d’hier à demain. Des illusions d’une politique à la politique des illusions, Toulouse : Eres, 1991, pp.90-95.