2.3.3 Parce qu’un consensus fait défaut

Au cœur de ce misonéisme 256 , un soupçon peut être porté sur la disponibilité d’une solution de rechange.

Pour vérifier la réalité de ce vide pour le remaniement, il faut comprendre sur quoi s’étayaient les finalités d’autrefois. Il convient d’entendre pourquoi elles ne peuvent plus avoir cours, et ce qui empêche de procéder à leur remplacement. Or, ne serait-ce qu’en regard de l’esprit de ceux dont la pensée fut déterminante, un constat s’impose : c’est dans un climat à dominante positiviste qu’a été généralisée la scolarisation par la IIIème république 257 . Un des buts primordiaux assigné à « l'institution de l’apprendre » est alors, comme en atteste la théorie comtienne de l’éducation 258 , de faciliter l’unanimité idéologique. La connaissance objective est ce par quoi peut et doit s’opérer la réconciliation des intelligences 259 . On trouve là une finalité qui aura des conséquences précises concernant la programmatique et la méthode.

Réfractée et prorogée par J. Ferry, cette doctrine appelant à une mentalité positive a su profondément infiltrer la pensée du pédagogique. Il est longtemps recommandé par les Instructions d’accoutumer les élèves à une conduite de perception attentive devant l'objet" 260 . Cette incitation à observer, présentée comme de nature à homogénéiser la didactique élémentaire et à harmoniser tout l’enseignement du premier degré, est massivement motivée. Elle ne s’inspire aucunement de la psychologie de l'enfant, celle-ci se constitue postérieurement, mais de l’épistémologie classique. L’observation, prônée comme première étape de la procédure expérimentale, permettra de préparer très tôt à la démarche scientifique. Elle habituera précocement les élèves à l’expérience de l’accord qu’elle - et elle seule - autorise.

Une telle lecture permet de mieux comprendre l’ensemble des caractéristiques des procédures traditionnelles. Une pédagogie entendant unifier ne peut opter pour l’encouragement à la pensée divergente, pas plus qu’à ses manifestations. Désireuse de promouvoir ce que la science a établi, elle valorise la méthode expositive. Présentant des conclusions objectivement établies, elle n’admet guère la discussion. Attachée à ce que les notions du programme soient solidement acquises, elle en impose et en contrôle la rétention. Surtout sensible au but visé, elle se préoccupe surtout de distribuer l’information. N’appréciant pas la dispersion, elle préfère l’enseignement collectif, selon un plan prédéterminé. Assignant aux uns et aux autres les mêmes tâches, elle se méfie des propositions « d’école sur mesure ». Traitant enfin le « maître » comme symbole, critère de la connaissance et arbitre de la vérité, elle exalte son autorité intellectuelle 261 .

Mais, le creuset où l’illustre ministre puise ses convictions, au fil des décennies, perd de ses propriétés de cohésion. L’épistémologie, suite à la dynamique interne des sciences connaît de sérieuses rectifications. L’évolution de la société, loin de confirmer la convergence des esprits ou d’en offrir les symptômes, s’opère dans le sens d’une dislocation. L’analyse comtienne semble inadéquate, le dénominateur commun s’amenuise... « progressivement ». Si de nombreuses conceptions sur le type d’homme à obtenir vont suivre, leurs rivalités creusent les écarts. Faute de ne plus savoir ce qui est vraiment poursuivi, on tend à osciller entre immobilisme et désordre.

L’incontournable viscosité des méthodes tient donc à l'absence d’idéaux mobilisateurs, bref il n’y a pas réellement de réponse à la dilution des fins.

Notes
256.

 Terme entendu au sens classique "d’hostilité à la nouveauté, au changement" (Le petit Robert, Paris, 1987, p.1208).

257.

 C'est notamment ce que montre l'étude de L. Legrand quant aux sources auxquelles s'abreuva J. Ferry (L'influence du positivisme dans l'œuvre de Jules Ferry, Paris: Rivière, 1961).

258.

 Voir R. Arbousse-Bastide, La doctrine de l'éducation universelle chez Auguste Comte, Paris: P.U.F., 1957, 2 vol. 1.

259.

 La pratique et l’élaboration de la science induisent la soumission aux faits (A. Comte, Cours de philosophie positiviste, Paris: Bonani et Droz, 1852 - 57ème leçon notamment -).

260.

 Référence à l’analyse de L. Legrand concernant les Instructions de 1887 à 1957 (dans Pour une ..., op. cit., p.7).

261.

 Elle institue même, corrélativement au service de celle-ci, son autorité sociale en lui conférant, toutes proportions gardées, un statut de notable" (voir pour l’ensemble de ces remarques G. Avanzini, Immobilisme..., op. cit., p.105-106).