Les conditions de l’apprentissage en contexte scolaire

Lorsqu’on parle d’apprentissage en contexte scolaire, on ne peut ignorer le concept d’enseignement. Le modèle SCI permet une définition du rôle de chacun, enseignant et élèves, dans un processus qui articule les activités d’enseignement à celles d’apprentissage.

Les fonctions de l’enseignant sont multiples. Lors d’une phase dite pré-active, il crée et organise les conditions d’apprentissage. Ensuite, durant la phase interactive, il devra mettre l’élève en situation d’apprendre, d’organiser le contrat didactique, de gérer et de réguler les interactions sociales et les démarches d’apprentissage. Enfin, lors de la phase post-active, il évaluera les résultats de l’apprentissage, ajustera la démarche et vérifiera le transfert. En résumé, c’est bien l’enseignant qui crée un contexte et des situations propices à l’apprentissage. Cependant, même si l’enseignant prépare les conditions de l’apprentissage, le processus d’apprentissage en tant que tel reste sous l’unique responsabilité de celui qui apprend.

Les conduites de l’apprenant peuvent se décliner essentiellement sous quatre axes. Le premier rappelle la nécessité d’une mise en interaction de ses propres connaissances avec le savoir à apprendre. Le deuxième réclame la nécessaire mise en relation de ses connaissances au savoir à apprendre. Le troisième revendique l’indispensable adaptation du savoir à apprendre à ses connaissances. Enfin, le dernier exige la création de nouvelles connaissances en coordonnant le résultat de cette double adaptation pour répondre aux contraintes actuelles de la situation à laquelle il est confronté. « L’apprenant réalise ces quatre conduites en prenant en considération, toute la durée du processus, les effets des interactions entre pairs, avec l’enseignant et aussi les effets de celles qui se passent entre l’enseignant et les autres élèves. Pour réaliser son apprentissage, l’apprenant doit aussi gérer son temps d’apprentissage et participer au contrat didactique. Enfin, cet apprentissage se déroule dans un contexte, un environnement physique : le cadre spatio-temporel de la classe. L’apprenant doit exploiter les ressources de cet environnement physique et en neutraliser les contraintes. Il interagit nécessairement avec son environnement physique.  286 »

Concernant ce tandem « enseignement / apprentissage », les perspectives cognitiviste et constructiviste s’opposent clairement. S’agissant de la première, issue des théories du traitement de l’information, l’approche est instrumentale et connexionniste, elle poursuit l’objectif de permettre à l’élève de construire des connaissances qui soient la réplique ou le reflet des savoirs. Ce qui importe dans cette perspective, c’est le savoir à reproduire. Pour la seconde, son ambition est de permettre à l’élève de construire de nouvelles connaissances provisoirement pertinentes et viables par rapport à la situation à laquelle il est confronté. Il faut noter cependant que les connaissances que l’élève aura produites dans ces situations ne sont pas nécessairement celles auxquelles l’enseignant peut s’attendre. Elles sont le fruit d’une création personnelle et provisoire. Ce qui prime dans une perspective constructiviste, ce sont les connaissances à construire.

Cette opposition marquée, on peut noter que le tandem « enseignement / apprentissage » articule étroitement les activités de l’enseignant à celles de l’apprenant et réciproquement. Il faut rappeler tout de même, que l’acte d’apprendre est sous l’unique responsabilité de l’élève. Il doit admettre les limites des apprentissages scolaires, être conscient que les connaissances qu’il développe en contexte scolaire dépendent des contenus de savoirs organisés dans les programmes. Ceux-ci sont validés par les processus de transposition didactique et proposés par l’enseignant. Ce dernier a analysé les finalités du savoir proposé et en a informé l’apprenant. Si l’élève n’est pas libre de choisir les contenus des apprentissages scolaires, il peut s’il le souhaite les reconstruire et créer des connaissances à leur propos.

C’est en mettant en place un contrat didactique, en provoquant des interactions et en suscitant chez l’apprenant la volonté de mettre ses propres connaissances en relation que l’on fera fonctionner le tandem « enseignement / apprentissage ».

Malheureusement dans la pratique de l’éducation, les modèles constructivistes paraissent plutôt frustes. Apprendre regroupe un ensemble d’activités multiples, polyfonctionnelles et pluricontextualisées. Apprendre mobilise plusieurs niveaux d’organisation mentale, à première vue disparates, ainsi qu’un nombre considérable de boucles de régulation. Vouloir tout expliquer dans un même cadre théorique tient plutôt de la gageure. Et cela d’autant plus, que les différents modèles constructivistes ont été produits dans des domaines très épurés. Nous proposons ici un ensemble de réflexions critiques menées par A. Giordan 287 .

« Dans le cas d'apprentissage des concepts scientifiques, tout ne dépend pas des structures cognitives au sens où les a définies J. Piaget. Des sujets qui ont atteint des niveaux d'abstraction très développés peuvent raisonner sur des contenus nouveaux à l’égal de jeunes enfants. Ce qui est en cause, ce n’est pas seulement un niveau opératoire, mais ce que nous appelons une conception globale de la situation, c’est dire à la fois un type de questionnement, un cadre de références, des signifiants, des réseaux sémantiques (y compris un méta-savoir sur le contexte et sur l'apprendre), etc. Autant d’éléments qui orientent la façon de penser et d’apprendre et sur lesquels la théorie piagétienne reste muette.

De même, l’appropriation d’un savoir ne se réalise pas seulement par une abstraction « réfléchissante ». Pour des apprentissages scientifiques, cette dernière peut être quelquefois déformante, le plus souvent mutante. Un nouvel élément s’inscrit rarement dans la ligne des savoirs antérieurs. Au contraire, ceux-ci représentent fréquemment un obstacle à son intégration. Vouloir tout expliquer en termes « d’assimilation » ou « d’accommodation » tient de la gageure. Il faut envisager généralement une déconstruction simultanément à toute nouvelle construction. Pour qu’il y ait compréhension d’un modèle nouveau ou mobilisation d’un concept par l’apprenant, l’ensemble de sa structure mentale doit être transformée. Son cadre de questionnement est complètement reformulé, sa grille de références largement réélaborée. Ces mécanismes ne sont jamais immédiats, ils passent par des phases de conflits ou d’interférences. Tout est affaire d’approximation, de concertation, de confrontation, de décontextualisation, d'interconnexion, de rupture, d’alternance, d’émergence, de palier, de recul et surtout de mobilisation.

Enfin et surtout parce qu’ils sont très limités, les différents modèles constructivistes ne disent rien ou presque sur le contexte social ou culturel des apprentissages. Ils ne permettent pas d’inférer des situations ou des environnements favorisant l’acte d’apprendre. Cela est normal, ce ne sont pas leurs préoccupations initiales. Tout au plus avancent-ils l’idée de « maturation » ou de « régulation », sans préciser les conditions de telles activités dans une pratique. D’ailleurs, T. Vinh Bang est très réaliste sur le sujet. Déjà en 1989, il notait avec regret qu'une « psychologie de l'élève faisait encore défaut ». En réalité, c'est toute la psychologie de l'apprendre qui reste aujourd'hui à élaborer, mais est-ce encore de la psychologie ? »

L’auteur se défend de produire un modèle supplémentaire des processus cognitifs. C’est plutôt une proposition qui se veut pragmatique. Dans l’étape actuelle, elle cherche à dépasser les limites des modèles précédents.

Notes
286.

Ibid., p.276.

287.

On peut trouver les fruits de cette réflexion sur le site : http://unige.ch/faspe/SSE/reachers/giordan/LDES/rech/allostr/apprendre.html