2.4.3 Le modèle allostérique pour tremplin

Les recherches sur l’apprentissage s’accordent aujourd'hui sur de nombreux points. Elles explicitent notamment les limites tant d’un certain nombre de pratiques éducatives traditionnelles que de certaines innovations (méthodes actives, non-directives, de découverte). Ce n’est pas parce que l’enseignant a traité tout son programme et mené son cours avec sérieux qu’il a nécessairement fait « passer » un savoir. Les concepts, les méthodes de pensée ne s’acquièrent jamais par transmission directe d’un enseignant à un élève. En effet, la pensée d’un apprenant ne se comporte nullement comme un système d’enregistrement passif. On sait qu’avant tout enseignement, les apprenants possèdent un certain nombre de questions, d’idées, de références et de pratiques. En d’autres termes, il possède un mode d’explication spécifique que différents chercheurs 288 en didactique des sciences ont nommé « conceptions » 289 . Ces dernières orientent la façon dont l’apprenant (enfant ou adulte) décode les informations. Tout savoir dépend ainsi des conceptions mobilisées. C'est à travers elles que l’apprenant interprète les données recueillies et produit éventuellement une nouvelle connaissance. Chaque fois qu’il y a compréhension d’un modèle ou mobilisation d’un concept, sa structure mentale est complètement réorganisée. Dès lors, on comprend bien pourquoi l’apprentissage ne peut être le résultat d’un simple processus de transmission, le plus souvent à sens unique maître-élève. De la même manière, l’action immédiate de l’apprenant, si elle est parfois nécessaire, n’est pas toujours suffisante.

L’appropriation d’un savoir résulte d’une démarche de transformation de conceptions où le principal acteur du processus est l’apprenant et lui seul. L’acquisition de connaissances procède d’une activité d’élaboration dans laquelle l’apprenant doit confronter les informations nouvelles et ses connaissances mobilisées. Il doit aussi produire de nouvelles significations plus aptes à répondre aux interrogations qu’il se pose.

Sur tous ces plans, les principales théories proposées apparaissent très limitées. La maîtrise des processus d’apprentissage nécessitait donc la mise en place d’un nouveau modèle qui intègre les divers paramètres propres à interférer avec les conceptions mobilisées. Une tentative a été entreprise au LDES 290 en 1987 par A. Giordan et G. de Vecchi. Elle sera précisée en 1988, avec un certain succès. Il s’agit du modèle aujourd’hui connu sous le vocable de modèle d’apprentissage allostérique. Il provient d’une métaphore biochimique qu’A. Giordan a formulée en Amérique du Nord et en Australie, lors d’une série de conférences, en 1988. Elle concerne la structure et le fonctionnement de certaines protéines dites « allostériques ». Ces molécules enzymatiques, fondamentales pour la vie, changent de forme, et donc de fonction, suivant les conditions de l’environnement dans lequel elles se trouvent. Les anglo-saxons qui se sont vivement intéressés à cette idée pour ses aspects pragmatiques, ont repris ce terme d’ « allosteric learning model »pour qualifier l’originalité de cette approche.

Ce modèle a le mérite de circonscrire une problématique, d’expliciter les principales caractéristiques de l’acte d'apprendre et de permettre des prévisions. De plus, et c’est surtout pour cela qu’il rencontre une certaine audience, il fournit des indications pratiques sur les environnements éducatifs ou médiatiques propres à faciliter les apprentissages. Ainsi il permet d’inférer des hypothèses heuristiques par rapport à des projets éducatifs ou médiatiques spécifiques. Nous allons dans un premier temps situer brièvement ce modèle par rapport aux autres théories contemporaines sur l’éducation. Afin d’éviter une description fastidieuse de ces dernières, nous présentons cette grille d’analyse 291 à l’aide de quatre tableaux. Dans un second temps, nous présenterons le modèle d’apprentissage promu par A. Giordan.

Théories spiritualistes Théories académiques Théories technologiques
Autres noms « transcendantales»« new-age » Rationalistes
réalistes
essentialistes
classiques
systémiques
Objectifs Se libérer du connu pour le dépasser (par une série d’étapes initiatiques) Se centrer sur les savoirs à enseigner.
Le maître transmet des contenus et l’élève les assimile
Améliorer le message par le recours à des technologies appropriées
Moyens Utiliser les énergies intérieures
Méditation
Contemplation
Autosuggestion
Relaxation
suggestopédie
Cours frontal
Enseignement s’appuie sur des illustrations ou des expériences qui confirment les propos du maître.
Mémorisation
Appel à des outils d’intelligence artificielle
Accent mis sur le visuel et l’audiovisuel
Simulations grâce à l’ordinateur
Logiciels interactifs
Valeurs Bonté, justice, amour, Travail  
Auteurs Harman (1974)
Krishnamurti (1970)
Maslow (1968-1971)
Emerson (1983)
Bloom (1987)
Snyders (1973)
Houssaye (1987)
Kearsle (1987)
Suppes (1988)
Bergeron (1990)
Solomon (1986)
Valeurs Conditionnement
Renforcement
   
Auteurs Holland et Skinner (1961)
Skinner (1968)
Canguilhem (1974)
Rumelhard (1986)
 
Théories behavioristes Théories épistémologiques Théories sociales
Autres noms Apprentissage programmé ou skinnérien    
Objectifs Prolonger les études sur les réflexes conditionnés Une meilleure connaissance des structures du savoir ou des méthodes propres à les produire facilite l’acte d’enseignement
Construction du savoir sur un plan épistémologique et historique
Mettre en valeur les déterminants sociaux et environnementaux de la vie éducative
Veulent transformer l’éducation et même pour certains la société (Illich 1970)
S’opposent au mouvement cognitif
Moyens Décomposer la matière à enseigner en unités élémentaires de connaissance. Chacune faisant l’objet d’un exercice particulier. Pratiques diverses
Repérer les obstacles, en expliciter la nature
Mettre en place des situations pédagogiques pour les dépasser
Expression des représentations par les élèves
Pour certains inclure une dimension culturelle dans la pédagogie (Oury et al 1971)
Valeurs Conditionnement
Renforcement
  Rôle contestataire par rapport aux pratiques traditionnelles en critiquant les institutions
Auteurs Holland et Skinner (1961)
Skinner (1968)
Canguilhem (1974)
Rumelhard (1986)
Vasquez (1967)
Lapassade (1967)
Lourau (1970)
Oury et al (1971)
Théories sociocogntives Théories psychocognitives Théories humanistes
Autres noms     Personnalistes
Pulsionnelles
Objectifs Pédagogie coopérative pour sensibiliser les élèves à l'importance de cette façon de travailler Développement des processus cognitifs chez l’élève tels que le raisonnement, l’analyse, la résolution de problèmes L’enseignant vise l’auto-actualisation de l’apprenant
Moyens Interactions entre les apprenants
Travail de groupe préconisé
Paramètres interactifs dans le groupe classe (Mac Lean 1988)
Conflit sociocognitif
Pratique de groupe
Opposition de représentations
Utilisation des possibilités intérieures de l’étudiant pour apprendre
Valeurs S’interrogent sur la domination du courant cognitiviste en recherche
Notent les problèmes posés par une vision trop psychologique de l’éducation
Insistent sur les conditions sociales et culturelles de la connaissance
Insistent sur les aspects socialisés et contextuels des apprentissages
Se fondent très souvent dans les recherches psychosociales
Mettent en avant les notions de « soi », de « liberté », « d’autonomie »
Insistent sur la liberté de l’étudiant, ses désirs, sa volonté d’apprendre
Auteurs Bandura (1986)
Lave (1988)
Johnson (1990)
Slavin (1990)
Moscovici (1961)
Doise (1975)
Perret-Clermont (1979)
Rogers (1951, 1969)
  Théories
génétiques
Théories
cognitives
Objectifs Développement de la structure cognitive de l’individu par maturation au cours d’une série d’étapes Visent à construire une connaissance de « ce qui se passe dans la tête » de l’individu
Moyens Apprentissage scolaire se développe par le langage et des concepts concrets
Concepts concrets remplacés par concepts définis (Gagné)
Intégration par ponts cognitifs qui rendent l’information signifiante (Ausubel)
Assimilation accommodation
Abstraction réfléchissante (Piaget)
Tentent d’élucider les mécanismes de recueil, de traitement (image mentale représentation), de stockage, de structuration et d’utilisation de l’information
Traitement des représentations intégrées
Auteurs Wallon (1945)
Kelly (1962)
Gagné (1965, 1976)
Bruner (1986)
Piaget (1966, 1967)
Ausubel et al. (1968)
Vygotsky (1930, 1934)
Anderson (1983)
Gardner (1987)
Holland et al. (1987)

Toutes les théories ci-dessus demanderaient une analyse plus détaillée pour préciser leur potentialités et leurs limites. Leurs projets sont divers. Les théories épistémologiques s’intéressent à la construction « naturelle » du savoir, les théories sociales interrogent le fonctionnement social alors que les théories génétiques appréhendent les processus de développement généraux. Ces dernières ignorent d’ailleurs l’objet du savoir et le contexte. Elles présupposent qu’il suffit de connaître la pensée de l’apprenant pour enseigner efficacement. Nous n’allons pas ici nous livrer à une critique systématique de ces différentes théories. Nous constatons seulement que l’apprentissage n’est pas vraiment leur objet d’étude.

Pour pallier à ces insuffisances en matière d’apprentissage, il a semblé utile à A. Giordan de promouvoir un autre modèle. Sa particularité première est d'être à finalité typiquement didactique. Il tente de répondre directement et prioritairement aux questions liées à l'apprentissage. De plus, il n’a pas été transposé à partir d’une autre approche comme la plupart des théories proposées plus amont. Toutefois il comporte des éléments qui en sont issus. Il permet d'inférer des prévisions c’est-à-dire un ensemble de conditions propres à générer des apprentissages. C’est d’ailleurs ce dernier plan, appelé environnement didactique, qui est le plus souvent sollicité. Il ne sera que partiellement décrit ici.

Nous avons déjà rappelé que l’appropriation de tout savoir dépend de l’apprenant, principal « gestionnaire » de son apprentissage. Elle se situe tout à la fois dans le prolongement des acquis antérieurs et en opposition à ces derniers. En effet pour tenter de comprendre, l’élève ne part pas de rien, il possède ses propres outils : les conceptions. Elles lui fournissent son cadre de questionnement, sa façon de raisonner et ses références. C’est à travers cette grille d’analyse qu’il interprète les situations auxquelles il est confronté ou recherche et décode les différentes informations qui l’interpellent.

Cependant tout apprentissage significatif doit se réaliser par rupture avec les conceptions initiales de l’apprenant. Lors de l’acquisition d’un concept, l’ensemble de sa structure mentale est profondément transformé, son cadre de questionnement est complètement reformulé, sa grille de références, largement réélaborée.

Ce qui a fait écrire à A. Giordan « l’élève apprend à la fois « grâce à » (Gagné), « à partir de » (Ausubel), « avec » (Piaget) les savoirs fonctionnels dans sa tête, mais dans le même temps, il doit comprendre « contre » (Bachelard) ces derniers. »

En effet, pour apprendre, l’élève doit aller le plus souvent contre sa conception initiale, mais il ne le pourra qu’en faisant « avec », et cela jusqu’à ce qu'elle « craque ». Ce sera le cas quand cette dernière lui paraîtra limitée ou moins féconde qu’une autre déjà formulée.

Mais, encore faut-il qu’il ait l'occasion de faire fonctionner une telle approche. Ce processus n’est pas le fruit du hasard, il s’établit seulement en fonction des structures de pensée en place (questions, cadre de référence, opérations maîtrisées) et des enjeux que l’individu perçoit de la situation.

Les conceptions ne sont donc pas uniquement le point de départ, ni le résultat de l’activité. Elles sont les instruments mêmes de l’activité mentale. Appréhender une nouvelle connaissance consiste alors à l’intégrer dans une structure conceptuelle déjà fonctionnelle. La nouvelle conception se substitue à l’ancienne en remplaçant les structures conceptuelles antérieures. Toutefois ce qui change principalement dans la tête de l’apprenant, et là le modèle allostérique le montre nettement, ce ne sont pas les informations, c’est le réseau qui les relie et qui produit une signification en réponse à une question. L’élève est ainsi au cœur du processus de connaissance. Le savoir ne se transmet pas, il procède d’une activité d’élaboration pendant laquelle le système conceptuel mobilisé par l’apprenant, confrontant les informations nouvelles et ses conceptions mobilisées produit de nouvelles significations plus aptes à répondre aux interrogations qu’il se pose.

À côté de son aspect explicatif, le modèle allostérique permet encore de prévoir une série d’obstacles à l’apprentissage. Ils se situent à différents niveaux, ce qui induit nécessairement des traitements spécifiques différents. Tout d’abord, et c’est le cas le plus simple, l’apprenant manque d’informations. Dans d’autres cas, il n’a pas envie de changer de conceptions, le problème abordé ne le motive pas, les questions qu’il se pose ne sont pas celles soulevées par l’enseignant. Parfois, il est persuadé d’être porteur d’un savoir dont il a pu éprouver l’efficacité dans quelques situations. Ce peut être aussi le fait qu’il n’arrive pas à construire une nouvelle connaissance car il a déjà des idées préconçues. Celles-ci l’empêchent de percevoir la réalité du phénomène ou d’intégrer une nouvelle information qui vient en contradiction avec la représentation initiale. Enfin, bien souvent, il est incapable de construire un savoir car il ne possède pas les outils nécessaires à cette intégration (opérations mentales, méthodologies à utiliser, connaissances périphériques qu’il faut posséder pour comprendre ce qui est apporté…).

Ces obstacles que nous venons de mettre en évidence doivent être transformés progressivement. Il est relativement utopique de penser qu’une « bonne explication, bien claire », sur laquelle on insiste particulièrement, est suffisante pour transformer une conception. Les travaux de A. Giordan et G. De Vecchi 292 , montrent qu’il ne s’agit pas seulement de faire « contre » mais aussi « avec ». En d’autres termes, il faut « faire avec pour aller contre ». On ne peut éviter de s’appuyer sur les conceptions en place. C’est le seul outil à la disposition de l’élève pour décoder la situation et les messages. C’est encore ces dernières qui donnent un sens à la situation ou au savoir abordé. Dans le même temps, il faut les dépasser. Le savoir s’élabore à partir d’un remaniement profond de la pensée. L’apprenant ne peut élaborer un nouveau savoir qu’en reliant différemment les informations engrangées. Des schémas, des modèles organisateurs, des « aides à penser » lui sont nécessaires pour structurer les nouvelles données autrement.

L’image qui peut qualifier au mieux la mécanique de l’apprendre est celle d'une élaboration. En effet l’apprentissage présente à la fois des modes principalement conflictuel et intégrateur. De plus, sa principale caractéristique est d'être d’abord interférentiel. Ces interférences sont la conséquence des multiples interactions nécessaires, entre conceptions et contexte d’apprentissage, entre conceptions et concepts, et surtout entre les multiples éléments qui constituent les conceptions (cadre de questionnement, cadre de références, processus conceptuel mis enjeu et mêmes traces utilisées). L’action propre de production de signification de l’apprenant est au cœur du processus de connaissance. C’est ce dernier qui trie, analyse et organise les données afin d’élaborer une réponse personnelle à une question. Et personne ne peut le faire à sa place. Encore faut-il qu’il ait "en tête" une question qui l’intrigue. Seul l’apprenant peut travailler à intégrer les informations neuves qui lui parviennent ou qu’il rencontre afin de leur donner un sens qui demeure compatible avec l’organisation d’ensemble de la structure mentale préalablement établie. C’est d’ailleurs là que la notion d’interférences prend toute son importance. Ce qui demande du temps et passe nécessairement par une série d’étapes successives. Toutefois le moteur de ce processus n’est pas une simple « maturation ». C’est plutôt une émergence dépendant des conditions internes qui régulent la pensée de l’apprenant d’une part. D’autre part, les conditions extérieures dans lesquelles est plongé l’apprenant interfèrent à leur tour largement. D’ailleurs, c'est le réseau de relations mobilisées entre le système conceptuel de l’apprenant et les informations glanées à l’école et hors de l’école qui est pertinent, et non la suite des données enregistrées.

On voit alors combien l’apprentissage ne peut être non plus un mécanisme d’accumulation. Pourtant cette idée sous-tend encore tous les programmes scolaires. On décompose la connaissance en une série de disciplines, et les disciplines en chapitres, sous-chapitres, etc. On les aborde successivement, leur juxtaposition reconstituant spontanément le tout.

L’appropriation du savoir doit être envisagée d’abord comme une suite d’opérations de transformation systémique et progressive, où ce qui compte principalement est que l’élève soit concerné, interpellé dans sa façon de penser. Or habituellement, le savoir lui est proposé sans questionnement.

Ce processus ne peut pas être le produit du hasard. Il doit être largement favorisé par ce que A. Giordan appelle un environnement didactique, mis à la disposition de l'élève par l’enseignant, et d’une manière plus générale par tout le contexte éducatif et culturel. La probabilité pour qu’un apprenant puisse découvrir seul l’ensemble des éléments pouvant transformer les questionnements ou pouvant faciliter les mises en relation multiples et les reformulations est pratiquement nulle dans un temps limité.

Parmi les paramètres significatifs, un certain nombre d’entre-eux peuvent être déjà répertoriés grâce au modèle allostérique. D’abord, le contexte éducatif doit nécessairement induire une série de déséquilibres conceptuels pertinents. Il s’agit de faire naître chez l’apprenant une envie d'apprendre, puis une activité élaboratrice. Pour cela, il faut le motiver par rapport à la question ou à la situation à traiter ou du moins le faire entrer dans cette dernière.

Un certain nombre de confrontations authentiques sont en particulier indispensables. Ce peuvent être des confrontations élève-réalité par le biais d'enquêtes, d’observations ou d’expérimentations dans le cas où celles-ci s’y prêtent. Ce peuvent être aussi des confrontations élève-élève par le biais de travaux de groupes ou de confrontations avec les informations. Toutes ces activités doivent convaincre l’apprenant que ses conceptions ne sont pas suffisamment adéquates par rapport au problème traité. Elles l’aident à expliciter sa pensée et l’entraînent à prendre du recul par rapport à ses évidences. Cela l’encourage à reformuler le problème ou/et à envisager d’autres relations. En outre elles peuvent le conduire à glaner un ensemble de données nouvelles pour enrichir son expérience.

Deuxièmement, il est important que l’apprenant ait accès à un certain formalisme. Ce formalisme qui peut prendre des formes très diverses (symbolisme, schématisation, modélisation) est une aide à la réflexion. Bien sûr le symbolisme choisi doit être accessible et facilement manipulable pour l’apprenant. Il doit correspondre à une réalité, lui permettre d’organiser les diverses données ou lui servir de point d'ancrage pour produire une nouvelle structuration du savoir. Sur ce dernier plan, l’introduction de modèles permet toujours une vision renouvelée de la réalité. Elle peut servir de « noyau dur » pour fédérer les informations et produire un nouveau savoir .

Faire naître chez l’apprenant une activité élaboratrice sur un tel sujet n’est pas simple. Les élèves ont l’impression de connaître, et ils sont peu motivés pour en savoir plus.

Ce modèle peut être à compartiment. Certains modèles partiels doivent être envisagés de façon complémentaire pour préciser chacun des points. Chaque fois, ils devront être adaptés au cadre de compréhension de l’élève. Enfin il faut ajouter que, pour que le concept de photosynthèse soit réellement opératoire, il est nécessaire de procurer à l’apprenant des situations où il pourra mobiliser son nouveau savoir et en tester l’opérationnalité et les limites. Sur le plan didactique, un certain nombre d’investigations sont en cours. Différentes procédures apparaissent utilisables avec succès suivant les moments. S’agissant de la première étape, il se révèle que sur un contenu donné, il est plus économique que l’enseignant fournisse une ébauche de modèle. Il doit toutefois s’entourer de précautions. Il est utile que ce « pré »-modèle soit lisible, compréhensible, adapté à la perception du problème que s'en fait l’élève.

Au préalable, il est souhaitable que ce dernier ait eu l’occasion de se familiariser avec leur usage. Qu’il ait eu la possibilité d’en produire et même d’en faire fonctionner... Il est surtout important que l’apprenant ait pris conscience qu’il n’y a pas de bons « modèles ». Tout modèle n'est qu’une approximation temporaire. Il est ainsi utile que l’élève « jongle » avec plusieurs d’entre eux pour tester leur opérationnalité et leurs limites respectives.

Troisièmement, il est utile de procurer à l’apprenant des situations où, une fois élaboré, le savoir pourra être mobilisé. Ces activités sont indispensables pour montrer à l’élève que des nouvelles données sont plus facilement apprises lorsqu’elles sont intégrées dans des structures d’accueil ou quand elles ont un usage. N’apprend-on pas le plus souvent quand on est conduit à enseigner ou quand il faut réintroduire le savoir dans des pratiques ? De même, ces situations habituent l’apprenant à « greffer » le nouveau sur l'ancien. Elles l’entraînent à ce « va-et-vient » entre ce qu’il connaît et ce qu’il est en train de s’approprier. Les adhérences antérieures sont plus facilement dépassées.

Enfin, il est souhaitable que l’apprenant puisse mettre en œuvre ce que l’on peut appeler « un savoir sur le savoir ». De nombreuses difficultés constatées montrent que souvent l’obstacle à l'apprentissage n'est pas directement lié au savoir lui-même. Il résulte indirectement de l’image ou de l’épistémologie intuitive que l’apprenant possède sur la démarche enjeu ou sur les mécanismes de production du savoir. Concrètement, il s'agit de mettre en place, et cela dès le plus jeune âge, une réflexion sur les pratiques conceptuelles.

Quels sont leurs portées, leurs intérêts ? Quelles sont les démarches mises en jeu en classe ? Quelles sont leurs « logiques » sous-jacentes ? Pourquoi le savoir et même l’apprentissage ne seraient-ils pas un objet de savoir … à l’école !

Pour le modèle allostérique, comme il l’a été dit plus amont, l’apprentissage n’est pas l’affaire d’un seul facteur, c’est un réseau de conditions nommé « environnement didactique » qui est prépondérant pour l’enseignement et la médiation. En fait, c’est même l’histoire de ces conditions qui s’avère déterminante.

Si maintenant nous revisitons l’ambition de notre travail, souvenons-nous qu’elle s’interroge enfin sur l’une des questions-clés de la réussite scolaire. Nous voulons parler des conditions à rechercher qui permettraient de transformer en outil intellectuel réinvestissable ce qui a d’abord permis de résoudre un problème particulier. « C’est là toute la question de la façon dont se construisent les concepts, si l’on admet avec B.-M. Barth que la maîtrise d’un concept consiste à transférer à un nouveau cas des attributs qui ont précédemment été dégagés d’un ou plusieurs autres 293  ».

Notes
288.

Nous citerons entre autres Jean-Pierre Astolfi, Michel Develay, André Giordan, Gérard De Vecchi…

289.

On trouve parfois le terme représentation, mais ce dernier prête parfois à confusion car il peut être employé à différents niveaux pour désigner des éléments très variés.

290.

Laboratoire de didactique et d’épistémologie des sciences mis en place en 1980.

291.

Cette grille puise son inspiration d’un article d’André Giordan. « Le modèle allostérique et les théories contemporaines sur l’apprentissage » http://www.unige.ch/faspe/SSE/teachers/giordan/LDES/rech/allostr/th_app.html

292.

Giordan A., De Vecchi G. 1989. L’enseignement scientifique : comment faire pour que ça marche ?, Nice, Z’Éditions, 208 p.

293.

 Astolfi J.-P., Laurent S. Mai Juin 1992. « Le transfert, enjeu des apprentissages », Cahiers pédagogiques, N°304-305, p. 78.