Sublimation et surveillance

Le philosophe champenois dialectise sans cesse la métapsychologie du médecin viennois. Cela se remarque d’emblée avec la sublimation. Alors que Freud valorise la continuité de l’énergie psychique, lui insiste sur la discontinuité. Dans l’activité rationnelle comme dans l’art, la sublimation sera une émergence. La distance se confirme avec le refoulement. Contrairement au médecin de Vienne, Bachelard construit une théorie positive du refoulement. À ses yeux, l’inhibition est à la base même de la culture, de la pensée réfléchie, abstraite. On doit substituer au refoulement inconscient un refoulement volontaire, une surveillance de soi. Cette volonté ne saurait d’ailleurs dériver directement du surmoi freudien. Bachelard pense à l’importance qui a été accordée à l’étude des maladies de persécution, et en particulier du délire de surveillance. Il critique cette généralisation abusive qui apparente chez le père de la psychanalyse toute surveillance avec le pathologique. Une forme intellectuelle est à reconnaître, totalement étrangère au délire névrotique. Un surmoi cohérent, de nature autre, est à instaurer.

Mieux vaut donc distinguer censure et surveillance. La première relève de l’ordre de la volonté ou de l’affectivité et revêt un caractère absolu, unidirectionnel. La seconde relève de l’esprit et du savoir, elle est toute relative de même que bidirectionnelle (dialectique). De plus, pour Freud, tout symbole n’est que l’envers d’un symptôme. Or, pour Bachelard, le symptôme n’est qu’un symbole raté. Lors, il faut étudier les valeurs anagogiques (transcendantes) de la surveillance. Celle qui est autoritaire par exemple nous fait régresser, elle marque l’échec de la paternité véritable. En fait, à partir de cette révision de la métapsychologie freudienne, le philosophe procède à une critique des fonctions de contrôle dans l’éducation. Certes, retrouver chez un sujet censuré une angoisse infantile n’est pas sans intérêt. Mais on doit également psychanalyser l’instance observante. La censure arme en effet le sadisme de l’éducateur. Elle prolonge les formes les plus primitives de domination, comme le châtiment corporel. Elle incite au secret et à la solitude (larvatus prodeo, savoir cacher et se cacher).

Si l’on veut accéder au sens véritablement anagogique de la surveillance, il faut traquer toutes les transpositions de ces dérives dans la culture. L’éducateur digne de ce nom accepte toutes les implications de la dialectique du rationalisme enseignant et du rationalisme enseigné. Il est prêt à remettre en question son autorité afin que la censure ne vienne jamais hanter la surveillance. Il a conscience qu’à travers toutes les substitutions, malgré tous les adoucissements, « l’absolu des peines primitives se transmet » 300 . Bref, il reste vigilant.

Notes
300.

 Bachelard. 1970. Le rationalisme appliqué, Paris : P.U.F., p74 (1ère éd.1949).