Éthique sous jacente :

La psychanalyse de la connaissance constitue bien un thème omniprésent chez Bachelard. Mais elle ne fait pas pour autant l’objet d’une construction systématique. Elle se distingue en cela de la métapsychologie freudienne. Les critiques n’ont d’ailleurs pas tardé à lui en faire le reproche. Ainsi M. Serre a émis l’idée d’un travestissement de moralisme suranné 301 . Le langage d’un maître du soupçon servirait avant tout à fustiger les vices de l’esprit scientifique. D’ailleurs le donneur de leçon finirait par tomber lui-même dans les pièges qu’il condamne. Bachelard reprendrait l’éthique des fondateurs de l’Université soit un mélange de thèmes positivistes, chrétiens, avec un zeste de doctrine versant initiation.

Il est sans doute difficile de récuser l’existence d’une perspective morale. Mais derrière le vocabulaire de réforme religieuse ou alchimique clignote en permanence quelque chose de différent. C’est la nouveauté du projet. Malgré ses hésitations, cette psychanalyse de la connaissance apparaît suffisamment problématisée pour soutenir une confrontation avec les autres psychologies disponibles. Par sa fécondité et sa puissance de réalisation pédagogique elle ouvre une dialectique théorie / pratique comparable à celle de la clinique freudienne. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la possibilité d’un exercice en dehors de toute catégorie éthique. Le freudisme se constitue t-il pour sa part contre une morale traditionnelle et comme un amoralisme ? Rien n’est moins sûr. On peut même entrevoir dans la cure analytique une morale de la responsabilité. Quant au retour d’une moralisation outrancière cela renvoie peut-être à une caractéristique obligée de la formation (tant scientifique qu’en général). N’oublions pas que l’on passe alternativement de la psychanalyse à la psychosynthèse. Tout rationalisme a manifestement un prix.

On peut là rejoindre M. Fabre et avancer qu’il est assez malvenu de reprocher à Bachelard de « passer en contrebande une éthique sous une épistémologie » 302 . Son projet, redisons-le, est de faire de la culture scientifique l’agent dynamique d’une formation de l’esprit. Bien loin de dissocier morale et science, il voit dans celle-ci le seul véhicule possible de celle-là. Il s’efforce ainsi de retrouver le sens ancien de la théorie, laquelle de l’Antiquité jusqu’au XVIIIè siècle reste solidaire d’une dimension pratique 303 .

Notes
301.

 M. Serre. 1972. Déontologie : la réforme ou les sept péchés, Paris : P.U.F.

302.

 M. Fabre, Bachelard…, op. cit., p.62.

303.

 Cette affiliation sera d’ailleurs confirmée dans sa Communication de Cracovie, en 1934.