Rêverie première et invite au renouvellement

Dans le chapitre suivant Bachelard s’attarde sur la rêverie liée au feu. Il s’intéresse à une couche psychique moins profonde que celle où s’examine les rêves. Là, contrairement à la marche onirique toute linéaire et oublieuse du chemin parcouru, on reste plus ou moins centré sur un objet et on travaille « en étoile » 373 . La rêverie revient à son centre pour lancer de nouveaux rayons. Dans le registre de l’igné elle tient particulièrement à son prétexte phénoménal. C’est d’ailleurs devenue une banalité de dire qu’on aime le feu de bois dans la cheminée.

Le feu enfermé dans le foyer accompagne la marche de l’humain. Il fut sans doute pour l’homme « le premier sujet de rêverie, le symbole du repos, l’invitation au repos ». Sans doute le feu réchauffe et réconforte. Mais on ne prend bien conscience de ce réconfort que dans une assez longue contemplation. On ne reçoit le bien-être du feu que si l’on met les coudes aux genoux et la tête dans les mains. Comme l’écrit Bachelard, cette attitude « vient de loin » 374 . L’enfant près de l’âtre la prend naturellement. Elle n’est pas pour rien l’attitude du Penseur. Elle détermine une attention « très particulière ».

Le feu matérialise encore la fête des hommes. Aussi haut qu’on puisse remonter, la valeur gastronomique prime la valeur alimentaire. De plus, c’est « dans la joie » et non dans la peine que l’homme a trouvé son esprit. La conquête du superflu donne sans doute une excitation spirituelle plus grande que celle du nécessaire.

Mais la rêverie au coin du feu a aussi des axes plus philosophiques. Le feu est pour l’homme qui le contemple « un exemple de prompt devenir et un exemple de devenir circonstancié ». Il suggère « le désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute la vie à son terme, à son au-delà ». La rêverie est alors vraiment « prenante et dramatique ; elle amplifie le destin humain ; elle relie le petit au grand, le foyer au volcan, la vie d’une bûche et la vie d’un monde ». Celui qu’elle fascine « entend l’appel du bûcher. Pour lui, la destruction est plus qu’un changement, c’est un renouvellement » 375 .

Cette rêverie détermine un véritable complexe où s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct de vivre et celui de mourir. On pourrait l’appeler le complexe d’Empédocle. Bachelard renvoie à l’œuvre curieuse de G. Sand, avec cette marque du Volcan sicilien - l’Etna. L’axe est celui de la rêverie amplifiante. Ainsi, une simple rêverie au coin du feu, lorsque la flamme tord les branches du bouleau, suffit à évoquer le volcan et le bûcher. Il semble alors qu’une œuvre poétique reçoit son unité essentiellement d’un complexe psychologique.

Cela se confirme dans l’Empedokles de Höderlin 376 . Le vieux sage choisit une mort qui le fond dans la lave élémentaire, son retrait du monde dans la flamme est le moins solitaire des départs. Le bûcher est « un compagnon d’évolution » 377 . C’est parfois devant un immense brasier que l’âme se sent pareillement travaillée. On peut songer à la fascination de la Foscarina d’Annunzio. Devant la fournaise du verrier son cœur rugit : « Disparaître, être engloutie, ne pas laisser de trace ». L’appel du bûcher, même s’il ne correspond plus dans la vie moderne « à aucune observation positive » 378 , demeure un thème poétique fondamental.

* L’enseignant doit garder à l’esprit que le feu alimente un type de rêverie particulièrement consistant et donc actif (plus fort que l’expérience), et que son pouvoir de résonance peut psychologiquement stabiliser (le changement participe de la vie).

Notes
373.

 Ibid., p.32.

374.

 Op. cit., p.33.

375.

 Id., p.34.

376.

 Voir P. Bertaux, Höderlin, Paris, 1936.

377.

 Bachelard, La Psychanalyse du feu, op. cit., p.39.

378.

 Id., p.40.