3.1.2.  Une inscription épistémologique

De nombreux travaux existent dans le domaine de la formation continue, notamment ceux de M. Lesne et G. Ferry 446 . Pour notre part, nous avons privilégié la modélisation proposée par J.- M. Monteil 447 . Dans cette dernière, on retrouve la critique devenue classique de trois mots considérés comme synonymes à savoir : information, connaissance, savoir 448 .

Le mot « information » semble en effet emprunté à deux origines. La première, latine, renvoie à forma : la forme. L’information est ce qui permet de donner une forme à ce qui existe, de se faire une idée de quelque chose et par extension, le mot désigne au pluriel (vers 1500), l’ensemble des connaissances réunies sur un sujet donné. Mais, c’est aussi ce qui obéit à une certaine mise en forme. L’anglais information désigne un élément ou un système, pouvant être transmis par un signal ou une combinaison de signaux. On comprend dès lors que ce mot indique des faits, des commentaires, des opinions transmissibles par un mot, un son, une image. Ainsi, l’information est placée sous le primat de l’objectivité. Elle entretient des rapports avec ce que le philosophe et épistémologue K. Popper appelle le Monde 1, celui qui correspond aux objets ou états physiques … y compris les livres 449

J.- M. Monteil reprend ici la distinction opérée par O. Costa de Beauregard entre deux formes d’information. La première est équivalente à un processus d’acquisition, la seconde renvoie à un processus de production organisée. L’information est extérieure au sujet qui peut ou non en prendre connaissance, elle est stockable, quantifiable, mesurable mais pour qu’elle soit organisée, elle nécessite l’activité du sujet.

Si l’information est d’abord définie en extériorité vis-à-vis du sujet, la « connaissance » relève de l’intériorité à l’égard de ce dernier. Elle est placée sous le primat de la subjectivité. Du reste, l’étymologie du mot renvoie à l’idée de « co-naissance », c’est-à-dire de la naissance avec. Dès ses premiers instants, le sujet se construit en prélevant des informations dans le milieu ambiant. Il les fait siennes par des recombinaisons d’éléments cognitifs, affectifs, sociaux. Cette connaissance qu’a chacun des mêmes réalités est très personnelle et « idiosyncrasique », c’est-à-dire très difficile à transmettre étant donné l’absence d’un langage de l’intime. Face à la même information, chacun se construit donc sa propre connaissance, de la façon la plus intime. la La connaissance est non seulement le résultat de l’activité expérientielle du sujet mais elle peut aussi correspondre, par exemple, à de l’information intégrée. Elle est spécifique au sujet en ce sens qu’elle est liée à son activité propre … La connaissance dans cette acception devient rigoureusement personnelle et intransmissible …connaissance est dès lors à concevoir comme régie par le primat de la subjectivité, c’est-à-dire qu’elle appartient en propre à une conscience individuelle 450 .

La connaissance ainsi définie relève du primat de la subjectivité. Elle renvoie à ce que K. Popper a qualifié de Monde 2, celui des expériences subjectives et des états mentaux.

Le mot « savoir » quant à lui, a pour origine latine sapere, c’est-à-dire que c’est un doublet du mot saveur. Le savoir est ce qui donne au réel une certaine saveur, ou si l’on préfère une coloration particulière. Il ne désigne pas une réalité objective comme l’information extérieure à tous les individus, ni une donnée subjective comme la connaissance propre à chacun. Il est le fruit d’un processus d’objectivation, au terme duquel un sujet construit une nouvelle approche de la réalité, grâce à une rupture épistémologique, par une sorte d’ascèse intellectuelle.

On le pressent, il existe une circularité entre les trois termes information, connaissance et savoir. L’information, comme ensemble de données, peut devenir connaissance par un processus que J. Piaget a qualifié d’« assimilation-accommodation ». Cette connaissance se mutera en savoir si le sujet parvient à expliciter en quoi il regarde ce donné autrement qu’on ne le fait d’ordinaire, franchissant alors un obstacle épistémologique tel que le décrit le modèle bachelardien. Enfin ce savoir, manière nouvelle de modéliser les données, pourra redevenir information, dès lors qu’il deviendra un objet circulant dans le champ social, par exemple en donnant naissance à un livre que de nouvelles personnes consulteront.

Notons que cette circularité s’explique par des processus complexes que nous venons de simplifier. Celui d’assimilation-accommodation, dans la pensée piagétienne ne prend pas en compte la distance entre le niveau de développement de l’apprenant et la nature de l’information à laquelle il est confronté. Ce processus s’explique différemment chez un auteur comme L.Vygotski puisque l’information nouvelle ne permet un réel apprentissage, qu’à condition de se situer dans ce qu’il nomme la « zone proximale de développement » de la personne. Quant à la rupture épistémologique, elle nécessite en amont chez G. Bachelard, un autre regard sur le monde, une autre manière de voir les choses, et s’accompagne d’une nouvelle théorie de référence. C’est sans doute la raison pour laquelle les connaissances ne deviennent savoir qu’après un processus de détachement. Quant à la diffusion des savoirs, elle ne donne réellement lieu à des informations nouvelles qu’à la condition d’être revisitée par de processus de vulgarisation, de communication, de diffusion, qui en permettront l’appréhension par un large public.

Les savoirs renvoient donc au Monde 3 de K. Popper, celui « des contenus de pensée objectifs », lesquels sont la résultante de l’effort de construction intellectuelle 451 .

Ces démarcations entre les concepts d’information, de connaissance et de savoir conduisent à faire du dernier un produit lié à la transcription dans le registre notionnel de ce que l’on a pu découvrir dans le registre de la manipulation des mots et des choses (connaissance).

Une formation d’adultes, centrée sur la production d’un savoir, devra alors favoriser chez le formé l’accès à une conceptualisation à partir de ses représentations personnelles. La prise de conscience de ces dernières sera nourrie par les interactions sociales liées à une situation de groupe. Toutefois, le passage du simple au complexe, du concret à l’abstrait, de la connaissance au savoir ne peut s’opérer sans rupture.

Au terme de cette clarification sémantique, J.- M. Monteil distingue plusieurs modalités formatives dans lesquelles on pourra repérer le régime spécifique de l’information, celui de la connaissance et enfin celui du savoir.

Notes
446.

Lesne, Marcel. Travail pédagogique et formation d’adultes, Paris, PUF, 1979.

Ferry, Gilles. Le trajet de la formation, Paris, Dunod, 1983.

447.

Monteil, Jean-Marc. 1985. Dynamique sociale et systèmes de formation, Paris, Éditions Universitaires – UNMFREO.

448.

Il revient à Jacques Legroux d’avoir conceptualisé les différences essentielles de statut qui séparent ces trois notions d’apparence voisine (De l’information à la connaissance, Mésonance, 1, IV, 1981).

449.

. Popper,. Karl R.1978. La connaissance objective, Bruxelles, Complexe.

450.

On retrouve cette position tant chez J.- M. Monteil (op.cit.) que plus récemment chez J.- P. Astolfi.

451.

« Parmi les habitants de mon troisième monde, dit Popper, il y a plus particulièrement les systèmes théoriques ; mais les problèmes et les situations problématiques en sont des habitants tout aussi importants. Et j’affirmerai que les habitants les plus importants de ce monde sont les arguments critiques, et ce qui pourrait être appelé l’état d’une discussion ou l’état d’un argument critique ». Karl Popper. Op. cit.