3.1.3. Les trois systèmes - formation

Trois niveaux renvoient à une partie de la réalité d’un processus de formation. Leur prise en compte de manière globale est essentielle et n’a de sens que dans leur articulation.

Le premier, système finalisé pré-programmé S 1 , est celui du groupe en formation considéré comme un ensemble homogène d’hommes, disposant de valeurs supposées partagées, relevant donc d’une démarche de formation unique. Un but commun de fonctionnement harmonieux est déterminé. L’affectivité et la subjectivité sont écartées. Tout est mis en œuvre pour que le groupe accepte de regarder le monde d’une manière conforme aux représentations collectives dominantes et pour que les informations « pré-programmées » ne soient pas remises en cause. La centration s’effectue essentiellement sur la transmission d’informations.

Le deuxième, système finalisé divergent S 2 , envisage le groupe comme un ensemble d’individus dont les références, les représentations, le vécu, les préférences sont nécessairement différentes. Des discours différents et conflictuels peuvent s’y exprimer, constituant le creuset de l’inter-expérience.

Le dernier niveau, système finalisé contractuel ou celui de la différence S 3 , est celui de l’individu. Celui-ci s’investit, au travers des relations vécues dans le groupe, dans un projet personnel qu’il est amené à construire, par le dépassement de sa subjectivité et grâce à l’élaboration d’un cadre méthodologique. Les participants exercent une stimulation sur les autres membres du groupe mais par rétro-action, ils nourrissent aussi leur projet personnel. Ce niveau constitue une optimisation du système général de formation.

J.- M. Monteil rappelle qu’il serait évidemment trop simple de croire que chacun de ces systèmes constitue un système pur. Il faut donc les considérer en interaction, la perspective poursuivie étant une production éventuelle de savoir.

L’ensemble des éléments présentés plus amont concernant la dynamique des contenus (information, connaissance, savoir) et la dynamique des systèmes (finalisé pré-programmé, finalisé divergent, finalisé contractuel) peuvent être représentés sous la forme d’un graphe.

Le cadre conceptuel étant explicité, nous nous proposons d’apprécier comment s’y inscrit notre dispositif de formation. Nous rappelons que ce qui fait l’originalité de cette démarche, c’est le réel accompagnement des enseignants concernés 452 .

Si l’on retient un cheminement chronologique, notre animation ouvre ici le dispositif de formation. Un des objectifs habituellement espéré est une amélioration des pratiques enseignantes. Le déroulement réserve en général peu de surprise. C’est un apport d’informations, le même pour tous, qui est proposé aux enseignants. Le groupe de formés est alors considéré comme un ensemble homogène répondant le plus souvent à une convocation. Ceci, transcrit selon la modélisation de J.- M. Monteil nous situe au niveau du pôle information dans le système S1 (IS 1 ). L’individu participant à ce système est conduit à fonctionner sur un mode essentiellement accommodateur. Le formateur est le médiateur du savoir. Il transmet un contenu pré-établi qui est supposé rendre les enseignants plus efficaces dans leur métier. La possibilité d’assimilation individuelle demeure mais le risque de marginalisation pour son auteur est important.

Au-delà, de la transmission d’informations, les enseignants ont été invités à échanger sur leurs pratiques. Nous sommes passé de l’information en S1 (IS 1 ) à la connaissance en S1 (CS 1 ). Il se produit à ce niveau des écarts, de la variété, liés à la richesse des positions. C’est ce que l’auteur appelle « l’expression des je » lesquels vont nourrir et développer S1. Il montre aussi que la relation entre IS 1 (information en S 1 ) et CS 1 (connaissance en S 1 ) est réversible. Il existe une gouverne exploitant ce que J.- M. Monteil appelle des catalyseurs situationnels et /ou informationnels à la disposition du système finalisé pré-programmé (textes, organisation de l’espace, relation hiérarchique entre formateur et formés). C’est notamment le rappel institutionnel des programmes après un échange informel.

Le passage de la connaissance de S1 à la connaissance en S2 entraîne une irréversibilité. La connaissance étant traitée en S2, un nouveau carrefour se construit alors en CS2. Des discussions divergentes se sont engagées, alimentées par des argumentations et une confrontation des pratiques. D’un groupe homogène, nous passons à un ensemble hétérogène (système finalisé divergent-S2). S’agissant de notre dispositif de formation, nous avons pu rencontrer ce déplacement tout au long des nombreuses séances de travail. Il appartient au formateur de faciliter la confrontation des informations afin qu’elles ne constituent pas une simple juxtaposition.

Le formateur doit amener les enseignants à objectiver les connaissances divergentes qu’ils ont exprimées et à construire ensemble un savoir sur le thème traité lors de l’animation pédagogique. Nous sommes là au niveau du pôle construction de savoirs en S2 (SS 2). S’agissant de nos travaux, deux entrées illustrent cette centration. La première c’est la conception et la réalisation d’un support vidéo. La seconde réside dans l’élaboration de 5 séquences dites « protocoles ». Les savoirs produits en S2 restent des savoirs dépendants du groupe dans lequel ils ont été construits.

Notre ambition était de tendre vers une construction de savoir autonome. En d’autres termes, dans le cadre de la modélisation proposée, peut-on atteindre une construction de savoir en système finalisé contractuel (SS 3 ) ? À ce niveau, les enseignants sont amenés à construire un projet en dépassant leur propre subjectivité et en élaborant un cadre méthodologique. Si dans S2, la contradiction est externe, en ce sens où elle procède de l’autre, par contre en S3 elle est internalisée. Le système S3 permet une production de savoir d’une autre nature puisqu’elle nécessite l’intériorisation d’une méthode. Cependant, si ici l’acte de production de savoir est autonome, il n’intervient qu’aux termes d’interactions sociales réalisées en S2. Afin d’être plus explicite, nous reprenons les propos de J.- M. Monteil : « On peut, en ce qui nous concerne, faire l’hypothèse qu’un processus inter-personnel, réalisé en système finalisé divergent, peut se transformer en processus intra-personnel, en système finalisé contractuel. »

Pour ce qui est de notre dispositif, les enseignants qui ont seuls, élaborés des préparations de séquences sur une nouvelle expérience ont fonctionné comme ayant intériorisé une méthode. Dans une perspective de dépendance/indépendance du sujet par rapport aux systèmes décrits, on peut remarquer qu’en S3, le sujet est moins dépendant de son contexte propre puisqu’il se le constitue en prospectant de l’information. En S2, il est dépendant de son vécu antérieur ou de sa relation à l’autre.

En conclusion, nous avons cherché à présenter et à décrire notre dispositif de formation à la lumière des différents systèmes proposés par J.- M. Monteil. L’étude des problèmes liés à la formation des adultes, abordée sous l’angle de l’interaction sociale, permet de comprendre la nécessité de dépasser l’expérience en montrant comment la confrontation inter-individuelle peut favoriser la recherche d’informations signifiantes pour l’individu et son projet. En fait si le processus de la production de savoir est intra-individuel, son origine, elle, est inter-individuelle. Une démarche relationnelle est ici privilégiée comme démarche vers le savoir.

Notes
452.

Le dispositif de formation a débuté en décembre 2001 avec l’animation pédagogique et s’est achevé en juin 2002. Les séances de travail ayant lieu selon une périodicité mensuelle.