Une fois les enfants éclairés sur les différences qui coexistent et quelques lacunes communes, un support vidéo intervient. Ce dernier a été réalisé par le groupe d’enseignants « impliqués ». L’idée de départ peut se récapituler comme suit : pour « aller contre » l’animisme il convient de faire d’abord avec. On connaît la fascination des enfants devant les grands spectacles des héritiers d’Houdini. On se souvient également des énigmes accrocheuses dans les ouvrages de physique amusante de la fin du XIX ème siècle 459 . En croisant ces deux registres on obtient un tremplin sans pareil, favorisant de multiples investigations et structurations. D’où cette création intitulée « Chimie contre magie ».
Dans le script de cette cassette, trois individus simulent une émission télévisuelle, sur plusieurs rencontres. Elle oppose à chaque fois un magicien nommé Supermagix et un savant baptisé Miss Scientifix. Chacune des séquences enregistrées présente successivement un tour et une expérience qui se rejoignent quant à l’effet obtenu. Ces deux options pour un même phénomène permettent de bousculer le rapport aux objets et au savoir. Le déroulement de l’activité est toujours le même. Le maître annonce la projection et invite à suivre attentivement ce qu’elle contient. En début de film, le présentateur salue son public, décline le nom du programme et celui de ses invités (une même actrice joue le rôle du magicien et du savant).
De courts textes illustrés sont intercalés sur la bande pour une visualisation de son propos (figure 13). Le présentateur énonce ensuite le thème du jour, lequel est aussi résumé avec une image et un titre (figure 14).
Vient alors le face à face des personnages. Le premier, mystérieux, moustache recourbée, cape sombre et haut de forme, commence son numéro. Une fois sa prestation terminée, une pause est suggérée par une interpellation écrite : « Alors, magique ? ». Les apprenants sont conviés à verbaliser sur ce qui a été vu, les points clefs sont inscrits au tableau mural. L’émission reprend ensuite avec la démonstration de la femme savant, blouse blanche et sobriété manifeste. Quand elle finit sa démonstration un nouveau panneau d’interruption apparaît : « Alors, chimique ? ». Cette fois, le débat peut commencer. Les étapes successives vont se préciser et des vérifications s’imposer. Quelle que soit l’énigme qui interpelle le trajet de l’activité reste à l’identique (projection, recueil, hypothèses, conflits, essais, comptes-rendus, structuration 1, récapitulation, nouvelles hypothèses, nouveaux essais… interprétation à différents niveaux de formulation).
Parmi les tours qui savent interpeller, nous avons retenu « la bougie qui se rallume », « la pêche au glaçon », « la bougie qui s’éteint et ne se rallume plus », « Le feu qui dessine ». L’élémentarisme transhistorique et la psychanalyse bachelardienne du savoir savant ont porté. Mais c’est surtout l’importance accordée par le penseur champenois au « pyromène » qui dynamise ici 460 . Rien de tel pour aider à grandir dans la pensée que ce qui a sans doute constitué chez l’homme le premier phénomène à réfléchir. Les changements qui lui sont associés frappent l’esprit tant ils sont profonds, rapides, merveilleux, définitifs. Et puis on se heurte là aux impressions primitives, à des intuitions personnelles, aux rêveries nonchalantes, à la facilité des pontages.
Ces quatre thèmes constituent autant d’occasions de questionnement, d’arrachement, de coopération, d’expérimentations et d’argumentation. Les essais qui s’imposent sont toujours réalisés sous la responsabilité d’un adulte. Ceux-ci ne réclament que des produits habituellement présents dans une cuisine (beurre, levure, vinaigre, glaçon, sel, citron, sucre, farine, coca…). Ils sont à la fois déclencheurs d’activités pluridisciplinaires et dynamisés par elles, comme le préconisent les didacticiens genevois (L.D.E.S.) 461 . Ce dispositif nous semble autoriser un changement de perspective qui rend l’apprenant tant acteur qu’auteur dans sa formation. Il comprend au final qu’il n’y a rien de sorcier.
Prenons à titre d’exemple les émissions 2 et 3. Après les deux prestations (magicien / savant) et les premières réactions (apprenants CL.I.S. 1), le public est encouragé à reconnaître les différentes participations. À l’issue de chaque projection le maître lance la collecte des données avec une interpellation du style : « Qui a vu quoi ? ». Les informations obtenues sont redistribuées à l’intérieur d’un grand tableau. Il s’agit de préciser « Qui fait quoi ? », « Avec quoi ? » et au final « Ça donne quoi ? » (figure 14).
Personnages « Qui fait quoi ? » |
Objets « Avec quoi ? » |
Ce qui se passe « Qu’a-t-on vu ? » |
|
"Supermagix" | |||
"Miss Scientifix" |
On resserre ensuite afin de rapporter ce qui se passe au niveau de l’objet principal (glaçon/bougie) : « Quelles sont les différentes étapes ? ». On propose d’établir une liste (liaison avec l’infinitif de prescription) qui permettrait à d’autres élèves de reproduire cette expérience sans l’avoir vue. En moins d’une demi-heure, une dizaine d’actions sont chronologiquement identifiées.
Prendre un verre ; Le remplir d’eau ; Prendre un glaçon ; Le déposer dans le verre ; Prendre un bout de fil ; Placer le fil sur le glaçon ; Prendre un peu de poudre blanche ; Déposer une pincée de poudre sur le glaçon ; Attendre environ 15 secondes ; Saisir un bout du fil ; Tirer le bout de fil vers le haut. | Prendre un bocal transparent sans couvercle ; Déposer une poudre blanche au fond ; Placer au milieu une bougie ; Allumer une allumette avec un grattoir ; Allumer la bougie avec cette allumette. Verser une cuillère de liquide marron sur la poudre blanche ; Attendre environ 30 secondes ; Essayer de rallumer la bougie avec une nouvelle allumette. |
La pêche au glaçon | La bougie qui s’éteint et ne se rallume plus ! |
Cette synthèse en mots écrits (réservée aux petits lecteurs) se double d’une autre en images (plus accessible). Elles sont reprises la fois suivante à partir d’une synthèse volontairement incomplète qui propose seulement quelques dessins (les plus difficiles - voir exemples en figure 16). Une lecture puzzle (découpe et reconstitution chronologique des actions) se voit proposée à ceux qui sont allés plus vite. Un récapitulatif sur cartons grand format est ensuite affiché au tableau central de la classe.
Ce réinvestissement individuel (sur fiche) va faciliter l’entrée dans une trame interrogative (devenue classique après la situation 1 : « La bougie qui se rallume »).
Le questionnement est toujours le même (figure 9). Il sert ici une première structuration. Les réponses sont ensuite construites en groupes puis proposées à l’ensemble des élèves par différents rapporteurs.
Lorsqu’un accord classe est trouvé, elles sont rapportées dans un tableau-mémoire (toujours disponible). Une nouvelle projection télévisuelle permet de confirmer les données. Les enfants négligent généralement certaines caractéristiques (la nature du fil employé, la hauteur du récipient et de la bougie, l’odeur du liquide utilisé…). Pour la situation 2) ils repèrent d’abord la couleur de la poudre utilisée (blanche). Pour la situation 3 ils privilégient également la chromatique des produits (le blanc pour l’une, le marron rouge pour l’autre). Régulièrement, certains insistent sur la texture de la poudre (petits grains pour « La pèche au glaçon », flocons pour « La bougie qui s’éteint et ne se rallume plus »). Mais de tels efforts pour distinguer ne sont généralement pas pris en compte par le reste du groupe dans cette première phase…
On s’attache prioritairement à l’identification (avec pour site, rappelons-le, la cuisine personnelle). Réflexion et communication amènent rapidement à envisager plusieurs possibilités pour la poudre (fréquemment les mêmes pour les deux situations : sucre, sel, farine, levure, sucre glace, plâtre médical). Pour le liquide en situation 3 la priorité accordée au visuel réduit le choix à trois idées (ice tea, vinaigre, vin - prégnance de la couleur). Un récapitulatif des avis est alors réalisé sur une feuille grand format (figure 18). Les attributions patientent (relevées sur fiche A3 par le maître). Plusieurs binômes (quatre à six) vont tester chez eux deux ou trois produits (des poudres pour la situation 2, des combinaisons poudre et liquide pour la situation 3). Ils doivent à chaque fois préciser ce qui se passe (dessins ou mots clefs).
La séance suivante, deux responsables « synthétiseurs » rappellent le problème et les pistes empruntées. Puis, chaque paire de « chargés de mission » rend compte de sa tentative (le maître renseigne au fur et à mesure un tableau des résultats annoncés). L’enseignant prend alors la parole : « Dire c’est bien, mais montrer c’est mieux ! Chacun va refaire ce qu’il a annoncé devant tout le monde ». Il s’agit de tendre vers une parole qui pèse (les petits filous supportent naturellement assez mal cette épreuve). Au fur et à mesure, ces réponses concrètes sont enregistrées sur un nouveau tableau (identique à celui des relevés et placé juste à côté). On biffe au fur et à mesure les propositions invalidées. La case restant en adéquation avec l’effet attendu s’avère en situation 2 celle du « contact » glace/sel/fil, en situation 3 il s’agit de la rencontre vinaigre/levure. On n’hésite pas à multiplier les tentatives dès lors qu’une réussite même partielle a été annoncée (le contrat nécessaire avec les familles implique d’emblée les enfants). Dans tous les cas de figure, on ne retient que l’essai probant (case du tableau mise en relief à l’aide de couleurs).
L’objectif devient alors de parvenir à reproduire individuellement ce succès. L’affaire n’est pas simple. La plupart, redisons-le, oublie l’importance de certains paramètres (liés au fil - diamètre, texture - et au glaçon - masse, volume - pour l’une ; liées au bocal - hauteur, volume - et aux deux produits – proportions, rapport - pour l’autre). Du coup, le temps qu’il faut patienter pour réussir (remonter un glaçon/éteindre la bougie et ne pouvoir la rallumer) peut-être considérablement allongé (jusqu’à 2 minutes). Reste que ces obstacles offrent autant d’occasions de réflexions et de nouvelles mises à l’épreuve...
La découverte active de ce comportement avec le sel (glace en situation 2) ou avec le couple levure/vinaigre (bougie en situation 3) n’est évidemment qu’un début. Rien n’est encore expliqué. Par ailleurs, ces diverses opérations enferrent peu à peu dans la conviction que l’effet et sa cause sont sans ambiguïté. Or, les choses sont nettement plus complexes. Si l’on utilise un bout de laine (voire un fil plus gros) n’importe quel produit parmi ceux initialement retenus pour enlever le glaçon peut donner le change 462 . Si l’on prend du bicarbonate ou encore que l’on exploite le vinaigre blanc voire le citron la flamme s’éteint à l’identique. Ce sont ici des opportunités pour l’enseignant qui peut rapidement érailler le confort dans lequel les esprits s’installent. Réussir apparemment l’expérience avec n’importe quelle autre poudre peut inciter les élèves à noter une différence (inclusion ou non du fil dans le glaçon). Parvenir à reproduire l’extinction avec d’autres produits suggère de prendre un premier recul (la couleur n’est pas nécessairement un critère très fiable).
Seul un travail davantage ciblé va permettre d’aborder le pourquoi (fabrication de la glace en situation 2 - étapes de transformation, idée de machine à faire du froid ; identification d’une trace effervescente en situation 3 – réaction chimique, indicateurs et notion de gaz). Après une petite discussion interpellant l’obstacle majeur (« colle »/« mousse ») les apprenants sont répartis en groupes, le matériel mis à disposition est strictement identique (bac, quantité de sel, marque de remplissage / récipient, bougie, levure, pipette, horloge). La situation proposée permet de mettre à jour une propriété (ralentissement d’une transformation / modification de l’environnement – figure 19).
En CL.I.S.1, redisons-le, on se contente de relevés dessinés voire codés. Les résultats sont présentés à la classe par les différents « rapporteurs » (comparaisons possible des résultats en situation 2 - évolutions du liquide ; mise en commun de données différentes en situation 3 – effet pour un nombre arrêté de gouttes). Ils permettent assez vite une première conclusion (le sel agit sur la transformation eau-glace comme un produit retardant / le vinaigre et la levure transforment « l’air » qui est dans le bocal).
Il est plus facile de comprendre ce qui se passe en travaillant sur du plus grand (situation 2 – fabrication de glaçon géant) ou en faisant un détour (situation 3 - électrolyse de l’eau) [voir figure 20]. L’enseignant, qui le plus souvent s’efface, interpelle sous forme de problème (« Comment obtenir un "méga" glaçon ? » / « Peut-on éteindre une allumette avec de l’eau sans la mouiller ? »). Après débat où de nombreuses exigences émergent (contenant ou appareil sans danger, transparent, économique...) la classe peut agir (réalisation de moules plastiques / récupération de gaz dans l’eau). Le matériel mis à disposition est généralement familier (bouteilles plastiques, ruban adhésif… / mines de crayon, piles de 4,5volts, fils électriques, tubes…).
Le moment du retour patiente une meilleure compréhension (ce qui détermine la solidification / ce qui agit sur une flamme sans être vu). Des comparaisons sont possibles (glaçons perforés remplis d’eau et ceux remplis d’eau avec une pincée de sel ; flamme dans le tube gaz A et dans le tube gaz B). Elles ébranlent certaines intuitions et renforcent certaines informations (le glaçon fonctionne comme un compartiment froid d’un réfrigérateur, le volume change avec la congélation, le sel crée une liquéfaction… salée / selon l’environnement une flamme n’a pas le même comportement, si des présences nous restent invisibles elles n’en demeurent pas moins actives, l’eau contient des gaz). Cette activité va fermer la boucle des essais successifs. Elle signe le temps du retour (pour soulever le glaçon comme sur la cassette le fil doit être « pris » dans la glace redevenue temporairement eau sous l’action du sel / pour l’extinction et l’impossibilité de rallumage il faut la réaction levure-vinaigre qui crée un gaz ne permettant plus à la bougie de brûler).
Voir notamment les ouvrages de G. Tissandier et de H. de Graffigny.
Référence à l’ouvrage de Bachelard La psychanalyse du feu (1938).
On trouvera l’adresse de leur site en bibliographie.
Il est même possible d’y parvenir sans l’aide d’aucun (simple congélation de fibres).