4.3.1 Des relances à l’étonnement

Tout enseignant connaît les symptômes d’essoufflement de son public. En CL.I.S. 1 ceux-ci sont plus nombreux qu’en classes ordinaires voire davantage variés et colorés. Les têtes balancent, les yeux cherchent autour, les pouces remontent dans la bouche, les corps s’agitent ou s’abandonnent… Bref, il est temps de renouveler l’accroche. C’est là que les petits messages énigmatiques sont importants.

Ces derniers prennent toujours l’apparence d’un vieux parchemin. Cette forme contextualise d’emblée la réception de son message dans un univers mystérieux offrant promesse à l’aventure. Le cachet de cire que l’on brise renforce encore cette atmosphère et permet de s’y inscrire. Par ailleurs le choix de caractères tronqués dans le contenu textuel stimule la curiosité en rendant plus efficient dans le décodage. Il s’agit toujours d’une courte question redoublée par une reformulation sous forme de petits dessins. Les premières interrogations redynamisent mentalement : quelle signification ? Quel auteur ? Quelle motivation ? Quel intérêt ? Quelles actions prévues ? Leurs verbalisations suivent : « C’est quoi ça ? », « C’est qui qu’a fait ça ? », « À quoi ça sert ? », « Pourquoi on fait ça ? », « C’est quoi qui faut faire ? »… Le maître exploite ce réveil des esprits en faisant retour au message. Il le relit avant d’interpeller le groupe : « Qui a compris quoi ? ». Les propositions font l’objet d’un recensement au tableau et d’une explicitation par des pairs aujourd’hui moins en difficulté. De plus l’enseignant lève un certain nombre d’incompréhensions ou précise les limites suggérées par l’énoncé de l’énigme en lançant des questions : « Par exemple, est-ce que je peux... ».

Les compétences mises en jeu sur la totalité du déroulement sont principalement les suivantes : Être capable d’analyser un document écrit, Être capable d’imaginer des solutions à un problème, Être capable de communiquer ses hypothèses par écrit ou à l’aide de dessins, Être capable de synthétiser oralement ce qui a été réalisé lors de la séquence précédente, Être capable de dialoguer et de communiquer ses idées, Être capable de reformuler les acquis des séquences précédentes, Être capable de représenter une succession e faits sous forme de symboles, Être capable de prélever les informations nécessaires pour une reproduction de l’expérience en dehors du cadre scolaire.

L’ensemble de la séquence amorce a duré une dizaine de minutes et se clôture avec quelques paroles inductives à destination des enfants. La formule utilisée peut être la suivante : « Vous essayez de réfléchir à cette énigme ; vous chercher une ou des solutions ; vous écrivez ou vous dessinez vos idées, ou les deux, sur une feuille pour la prochaine fois » .

Afin de rendre clair l’exploitation des énigmes à caractère scientifique, nous retenons la première situation proposée. Il s’agit du message : comment enlever la coquille d’un œuf dur sans la briser ? (voir figure 1)

Figure 4-3-1. Parchemin œuf
Figure 4-3-1. Parchemin œuf

L’amorce se fait comme décrit en supra. Au retour dans la classe un reformulateur rappelle la question posée et chacun se voit invité à communiquer ses idées. Le maître a préparé un tableau grand format (1m2) qui recueillera ces différentes propositions (figure 2).

Figure 4-3-2. Tableau recueil
Figure 4-3-2. Tableau recueil

Celles-ci seront signées, datées, transcrites de sous deux formes (texte et dessins) et le matériel nécessaire précisé (mots et images). La séquence prend environ un demi heure.

Chaque élève présente d’abord sa ou ses solution(s) à son groupe d’appartenance (généralement trois enfants). Un rapporteur communique oralement les différentes propositions qu’illustre une feuille format A3. Cette dernière est affichée autour du tableau mural et sera rejointe par tous les autres récapitulatifs. Cette disposition est préparatoire à la première étape structuration (finalisée dans le tableau renseigné par le maître) [figure 3].

Figure 4-3-3. Visuel structuration 1
Figure 4-3-3. Visuel structuration 1

La nouvelle « mission-maison » est de tester son idée et de revenir partager le(s) résultat(s) en reproduisant sa ou ses manipulations dans la classe. (trace écrite sur cahier de liaison).

La troisième séquence est lancée par un ou deux synthétiseurs qui recontextualise le travail en cours en insistant sur les différentes étapes. On passe ensuite aux annonces de chacun (oralisation - nécessité de s’exprimer) avec le matériel utilisé. Les élèves restés « sans solution » sont incités à évoquer ce qui leur pose problème (discussion avec le groupe classe). Le maître privilégie le maintien d’une réelle faisabilité en éraillant fortement les dédouanement par avis de personnes interposées (« C’est pas possible », « C’est un piège »…). Généralement les rares propositions effectives demeurent insatisfaisantes car toujours transgressives (perçage, section puis recollage..). Le moment de la remobilisation par l’indice est arrivé. L’enseignant propose comme information supplémentaire le recours nécessaire à un liquide comestible (toujours présent dans une cuisine). Cet élément renvoie à de précédents travaux en biologie et productions d’écrits. Le qualificatif est en lien avec une étude en cours sur les champignons (mangeables ou non) et l’état du produit fait suite à une distinction quant aux aliments consommés (digestion).

La troisième « mission-maison » est triple. Il faut imaginer comment associer œuf et liquide, trouver le matériel requis, tester en observant les effets (cahier d’expériences).

La séquence suivante est amorcée par un rappel de situation (œuf, coquille à enlever, pas de rupture) et de l’indice apporté (liquide comestible). Les synthétiseurs cèdent ensuite la place pour une communication à tour de rôle des derniers résultats individuels. L’obligation de recourir à un contenant (bocal, boite plastique, casserole…) a constitué ici un obstacle majeur. Généralement, seuls deux ou trois apprenants y ont pensé (la plupart du temps avec aide de l’entourage). Cet élément doit être valorisé par le maître lequel invite aussitôt à distinguer parmi les possibles celui qui semble le plus adapté. Les critères à discuter sont assez nombreux. L’élu doit répondre aux contraintes de la forme, de la texture (dangerosité), de la disponibilité, de la taille, de la masse et du volume, taille… Un consensus s’opère habituellement sur un bocal plastique transparent.

Les intuitions et les options envisagées peuvent cette fois être mises à l’épreuve. Aussi l’enseignant introduit-il un tableau d’attribution pour une série d’essais maison. Un exemple peut être celui renseigné dans l’une des CL.I.S. 1 réalisé au cours de l’année 2003 (figure 4).

Figure 4-3-4. Tableau de missions « bocal-liquide »
Figure 4-3-4. Tableau de missions « bocal-liquide »
Prénoms Dates Produits Observations
William 3 / 11 Coca  
Florence 3 / 11 Eau  
Michel 3 / 11 Bière  
Samira 3 / 11 Sirop et eau  
Nadia 3 / 11 Huile  
Michael 3 / 11 Liquide vaisselle  
Jordan 3 / 11 Vin  
Kévin 3 / 11 Vinaigre  
Ludovic 3 / 11 Lait  

La séquence 5 (48 à 72 heures après) est contextualisée par deux nouveau synthétiseurs. Le maître relit le tableau réalisée la fois précédente (attributions) puis donne la parole à chacun afin qu’il témoigne de son action. La dernière colonne (observations) est remplie au fur et à mesure des informations apportées. Attendu qu’un produit cuisine à quelques chances d’être acide, un contraste peut fréquemment être lu dans les effets rapportés. C’est l’occasion pour l’enseignant d’insister sur la nature du produit concerné.

Cette différence incite à développer là encore un registre parallèle. Le sensoriel peut être interpellé dans le cadre de la semaine du goût où l’on sensibilise concrètement aux principales saveurs : salé, sucré, amer, acide. Il faut toutefois bien mesurer la difficulté que constitue le distinguo acidité gustative / acide en chimie (l’acide reconnu par la langue peut être masqué – avec du bicarbonate alimentaire par exemple- sans modifier pour autant son action). Exploiter un indicateur tel que le choux rouge autorise à rétablir et affirmer les démarcations qui s’imposent (un spectre chromatique peut être étalonné).

La première identification dans une durée courte renvoie généralement au vinaigre. Le maître a réuni autant de kits « matériel » (bocal plastique, liquide retenu, œuf dur et fiche journalière d’observations) qu’il a d’élèves. Chacun va refaire les manipulations explicitées et suivre l’évolution de l’objet immergé dans le temps (2 relevés journaliers – matin et fin d’après midi). Environ une semaine plus tard, une première fiche structuration individuelle est distribuée (format A3). Elle rejoint le fichier dit des « 3 E » (Étonnement / Expérience / Explicitation).

Figure 4-3-5. En tête de fiche structuration
Figure 4-3-5. En tête de fiche structuration

Celle-ci se compose de trois parties. La première s’inscrit dans l’apprentissage de la lecture (partagée). Elle incite à se remémorer l’énigme posée initialement puis à reconnaître les deux illustrations jointes (figure 6).

Figure 4-3-6. Rappels fiche structuration 1
Figure 4-3-6. Rappels fiche structuration 1

La deuxième phase du document problématise la situation à travers trois grandes questions. Elle invite à approcher rationnellement une énigme et à transcrire des éléments de réponse (possibilité pour les non lecteurs de recourir à la dictée à l’adulte) [action illustrée - figure 7].

Figure 4-3-7. Problématisation fiche structuration 1
Figure 4-3-7. Problématisation fiche structuration 1

La dernier volet de cette première fiche « 3 E » apporte une solution à l’interrogation initiale. Elle signale une phénomène accompagnant la réussite et termine sur un constat. Le texte est à compléter individuellement à l’aide des mots contenus dans une bulle à informations réalisée par le maître sur le tableau central (action d’écrire codée - figure 8).

Figure 4-3-8. Réponse fiche structuration 1
Figure 4-3-8. Réponse fiche structuration 1

La satisfaction d’un sens retrouvé après la déstabilisation de l’énigme réinstalle dans un confort cognitif. Afin d’éviter le retour d’une paresse intellectuelle le maître questionne à nouveau : « D’autres liquides pourraient-ils faire pareil ? ». Les réactions sont la plupart du temps négatives (« Ça se peut pas ! », « On l’a déjà fait ! », « J’ai plus d’idées ! », « Y’en a marre ! »…). L’enseignant ne cède pas à l’ambiance fatiguée et assoit sa perturbation en introduisant un nouveau kit où le liquide a changé de couleur. Il annonce que d’ici la fin de la semaine on obtiendra le même résultat. Ce délai permet de respirer tout en surveillant d’un œil attentif les éventuels changements dans ce bocal supplémentaire.

Confrontés à la réalisation de la prédiction d’un effet similaire (perte de la coquille) les enfants sont décontenancés. Certains réagiront en suggérant que c’est peut-être la même chose d’une autre couleur. Le professeur ne dément pas. Il propose alors un nouveau produit qui, en apparence, n’a plus de lien avec le vinaigre (couleur, texture, usage). « Et si je prends du jus de tomate ? ». Les élèves doutent : « N’importe quoi ! », « Moi j’dis que ça marche pas ! », « Si, c’est comme du sang ! », « C’est trop lourd ! »…). Nouveau kit, nouvel essai, réussite !

L’impact de ces succès sur le moral des troupes est double. D’une part ils confirment l’idée désagréable que la solution n’est pas unique. Cela laisse entendre que la réponse apportée n’est pas entièrement satisfaisante. D’autre part, ils déclarent que la recherche reste ouverte et invite à entreprendre. Ceci conduit à l’obtention de réponses supplémentaires (le jus d’oranges, le Coca-cola, le citron…). Ce redéploiement appelle à un resserrement dans l’explication : Quel est le point commun entre tous ces liquides efficaces ? Cette fois il faut accepter un peu d’information pour saisir ce qui se passe.

Le maître introduit une deuxième fiche « 3 E ». Une fois encore le premier temps est consacré à la lecture en ramenant sur un phénomène demeuré constant : les bulles (figure 8).

Figure 4-3-9. Informations fiche structuration 2
Figure 4-3-9. Informations fiche structuration 2

Le volet suivant sensibilise à l’écriture plus savante en exploitant des symboles simples et familiers (+, =, →) [figure 10]. Le rappel en images des états initial et final de l’œuf doit d’abord être complété (coloriage, dessin des bulles et du dépôt, légendes).

Figure 4-3-10. Abstraction fiche structuration 2
Figure 4-3-10. Abstraction fiche structuration 2

La dernière partie de cette deuxième fiche structuration après énigme propose une ouverture sur le concret (boissons, conservation). Il s’agit de rappeler aux élèves que les phénomènes étudiés ne sont pas décollés de l’environnement quotidien (figure 11).

Figure 4-3-11. Applications fiche structuration 2
Figure 4-3-11. Applications fiche structuration 2

L’information dernière (conservation) permet de retourner aux manipulations et aux observations individuelles (cahier). Le maître suggère de vérifier cette propriété du vinaigre en effectuant un comparatif entre deux œufs durs. Ces derniers ont été préalablement débarrassés de leur coquille et se voient immergés dans deux liquides différents. Le premier est inséré dans un bocal rempli d’eau, le second dans du vinaigre (rouge). Les deux contenants sont distingués à l’aide d’une étiquette rappelant le contenu. Chaque élève dispose d’un jeu (2 bocaux) et l’observation s’étale sur quinze jours (au moins un contrôle journalier). On procède à des bilans réguliers (en extérieur, commentaires synthétisés dans un tableau – toujours deux canaux) (figure 12).

Figure 4-3-12. Tableau 1 d’observations comparées
Élèves
Forme Couleur Odeur Dates
Eau Vinaigre Eau Vinaigre Eau Vinaigre  
             

Ces données permettent de constater deux évolutions distinctes et donnant lieux à quelques variations dans les prélèvements (perception ou imagination souvent en cause). Les résultats une fois discutés ouvrent sur une synthèse comparative des changements observables du point de vue extérieur (figure 13). Les deux bocaux sont identifiables par la couleur du liquide que redouble celle des couvercles.

Figure 4-3-13. Tableau comparatif des évolutions œuf
Figure 4-3-13. Tableau comparatif des évolutions œuf

Des différences manifestes étant identifiées il est temps d’aller voir ce qui s’est passé à l’intérieur. L’enseignant propose de procéder à l’autopsie des deux œufs et offre à chacun une paire de masques et de gants médicaux. L’ambiance bloc opératoire qui s’installe excite la majorité des enfants et inquiète fortement quelques uns (« P’tain, trop bien ! », « On va l’torturer ! », « On a droit à combien ? », « Et on l’bouffe après ? », « Ça va durer longtemps ? », « Il a pas mal ? »). Le maître régule les réactions en distribuant une troisième fiche structuration. Cette dernière convoque un personnage devenu fil conducteur des activités de classe : l’inspecteur Alaloupe (figure 14).

Figure 4-3-14. Personnage fiche structuration 3
Figure 4-3-14. Personnage fiche structuration 3

Cet assistant donne ici le protocole à suivre. Le texte est volontairement rédigé sur un mode injonctif (en lien avec le travail effectué sur la langue – l’impératif et sa distanciation). Il est abordé sous la forme d’une lecture partagée et se voit accompagné d’une image particulièrement facilitante pour les non lecteurs (figure 15).

Figure 4-3-15. Consignes fiche structuration 3
Figure 4-3-15. Consignes fiche structuration 3

Une fois l’opération effectuée la dernière partie de cette troisième fiche peut être abordée. Il s’agit du guide des observations à recomposer (compléter les mots) puis à renseigner (action d’écrire codée - figure 16).

Figure 4-3-16. Observations fiche structuration 3
Figure 4-3-16. Observations fiche structuration 3

Lors d’une séquence ultérieure, après un nouvel effort de récapitulation des étapes (synthétiseurs), le même type de travail sera conduit avec le second œuf (dans l’eau). La grille exploitée est la même que précédemment.

Chaque relevé d’observations va servir à remplir un tableau de collectes (préparé à l’avance par le maître) qui débouche sur un résultat consensuel (figure 17). Le tutoring entre pairs est largement utilisé pour communiquer les données individuelles.

Figure 4-3-17. Récolte observations œuf classe
Figure 4-3-17. Récolte observations œuf classe

Lorsque les récoltes ont acheminé sur deux synthèses d’observations celles-ci rejoignent les traces précédentes (murs de la classe).

C’est seulement lors d’une séquence suivante que l’enseignant les exploitera à l’aide d’un tableau comparatif. Ce dernier sera suivi d’une production d’écrit collective (dictée à l’adulte : « Ce que l’on retient » - figure 18). Elle entrera dans le cahier d’expériences individuel (copie élève).

Figure 4-3-18. Un texte classe
Figure 4-3-18. Un texte classe

La totalité de ce travail complémentaire à l’éveil scientifique que nous promouvons doit au final être stabilisé. L’enseignant conçoit donc une ultime fiche structuration qui rappelle le problème posé et les acquis successifs. Elle invite à quelques convocations lexicales et sémantiques (certaines doivent être transcrites - figure 19).

Figure 4-3-19. Une fiche fin de structuration
Figure 4-3-19. Une fiche fin de structuration

Cette dernière fiche se compose de trois volets. Le premier rappelle les missions qui ont vu plusieurs liquides testés. Le deuxième renvoie aux données apportées par le maître pour comprendre ce qui se passe quand ça marche. Le dernier est un écho au comparatif des évolutions entre un œuf dans de l’eau et un autre dans du vinaigre.

On respecte une intégration par paliers en acceptant trois premiers niveaux de formulation des concepts en jeu (1, 2, 3, selon le niveau des apprenants – figure 20).

Figure 4-3-20. Trois niveaux de formulation
Figure 4-3-20. Trois niveaux de formulation

Cette progression à partir d’un questionnement simple est reprise avec d’autres énigmes. Les premières restent en lien direct avec celle qui sert d’amorce. Les principales qui se voient explorées au fil de l’année scolaire puis résolues (pour partie) sont : « Comment graver en relief son prénom sur une coquille d’œuf ? » ; « Comment faire entrer un œuf dur sans coquille dans une bouteille en verre et sans le briser ? » ; « Comment éteindre une flamme de bougie avec une bouteille vide ? ». « Comment sortir une pièce d’un liquide déposé sur le fond d’une assiette sans se mouiller les doigts ? ».

Ces relances régulières à l’étonnement participent aussi de nos efforts pour instaurer une véritable didactique des sciences en CL.I.S. 1. Comme nous l’avions annoncé en ce début de partie, un autre type d’activités va encore dans ce sens. Le canal principal n’est plus l’expérimental mais cette fois l’argumentation.