Bref n°4

Ce quatrième volet correspond au pôle action du triangle heuristique qui dynamise notre travail. Les précédentes parties ont sensibilisé 1) au public visé (CL.I.S.), 2) à notre objet de recherche (faire aussi des sciences avec des élèves non ordinaires), 3) au dispositif de formation retenu (co-élaboratif et inspiré du modèle en triptyque de J.- M. Monteil. Nous avons ici rapporté deux initiatives conduites dans le cadre d’un programme baptisé « Faire aussi des sciences en CL.I.S. ». La première s’appuie sur la biologie et l’astronomie (la digestion et le Monde), la seconde sur la chimie (contre la magie et pour l’expérimentation).

Même si un handicap mental est souvent avéré, les enfants scolarisés en CL.I.S. 1 doivent rester des élèves à part entière. Il est inconcevable de les écarter de la rationalité techno-scientifique. Il est aberrant de leur proposer des connaissances à seulement mémoriser ou des activités sporadiques sur des questions décousues. Être en grande difficulté d’apprentissage ne doit pas confiner dans le concret, en interdisant a priori tout accès à l’abstraction. Ce que beaucoup croient déterminé par l’étiologie peut évoluer grâce à une pédagogie du passage. Le modèle allostérique de l’apprendre peut aider à aller dans ce sens (promu par A. Giordan et son équipe du L.D.E.S.). Il modifie la posture enseignante en insistant sur l’importance d’un environnement stimulant pour l’élève.

L’expérience que nous avons conduite dans le Puy de Dôme s’inspire de cette approche volontairement pragmatique. Elle obéit à cinq préoccupations majeures : rencontrer l’univers des têtes (pensées enfantines), caractériser les conceptions de ce public, définir des objectifs conceptuels adaptés, accompagner l’appropriation de nouvelles connaissances, évaluer l’action. Elle rappelle qu’il faut d’abord répondre aux interrogations des apprenants pour les voir produire des significations plus efficaces. Elle montre qu’après un certain nombre d’ajustements et l’élaboration d’un matériel adapté, un public « non ordinaire » (scolarisé en structure spécialisée) réussit aussi à faire évoluer ses représentations.

Les résultats obtenus dans l’approche des concepts de digestion et de monde en témoignent (évolution des niveaux de formulation). Ils traduisent une avancée en décentration et compréhension (recul significatif des obstacles « tuyau fermé » et « Terre-plate »).

Les résultats obtenus au cours de notre seconde innovation chimie-magie rappelle qu’après un certain nombre d’ajustements et l’élaboration d’un matériel adapté, un public « non ordinaire » réussit aussi à développer des compétences en sciences. Les évolutions au cours de la sensibilisation à la démarche expérimentale en témoignent (progression significative des aptitudes, des attitudes et des méthodes). Ils traduisent une avancée en décentration et compréhension (recul significatif de l’obstacle animiste : « c’est magique », optimisation des niveaux de formulation). Ce possible devrait renforcer l’idée qu’il est temps de proposer plus d’actions signifiantes et de susciter davantage de questionnements pertinents. On doit encore se demander comment aménager des passerelles en direction de la preuve pour accompagner les idées personnelles (item 1.4.) en faveur d’une rencontre active face aux phénomènes observables (items 3.2 et 3.4.). Peut-être est-il également possible d’anticiper sur le recul nécessaire à la remise en cause d’un matériel ou d’un document (item 1.1.), à sa participation dans une action de groupe (item 1.5). Cela réclame là encore de faire preuve d’inventivité et de bien cibler les attentes.

Nous avons également mis en place deux séries d’activités complémentaires. Ce sont les énigmes et le débat argumenté. La première sert de relance à l’étonnement et ne prend qu’une plage horaire limitée. La seconde profite des moments de plus grande disponibilité pour rendre le questionnement plus exigeant. L’une surprend l’esprit qui se disperse en plongeant dans un contexte d’aventure et de mystère, l’autre nourrit la réflexion en partageant une lecture à la fois familière et étrange. Les deux participent de notre approche promouvant une didactique des sciences en CL.I.S. 1.

Les thèmes successivement abordés demeurent en lien avec les activités proposées en astronomie et biologie. Ils stimulent également l’envie de vérifier en expérimentant par soi-même et de partager ses découvertes. L’exemple de la coquille d’œuf à enlever sans la briser suffit à montrer qu’il s’agit d’un véritable défi qui aide à construire sa pensée. L’étude d’un nouvel arrivant sur Terre avec ses ignorances et ses conduites différentes y contribue également. Ces deux registres décrochés mais menés parallèlement aux autres investigations éraillent significativement le statut survalorisé de la réponse.

Peut-être est-il temps de se rappeler que pédagogie et didactique ne prennent tout leur sens que dans la résistance du public auquel on imagine trop souvent s’être adapté.