Des actions en sciences

Ce quatrième volet correspond au dernier pôle action de notre triangle heuristique. Nous avons rapporté deux initiatives conduites dans le cadre d’un programme baptisé « Faire aussi des sciences en CL.I.S. ». La première s’appuie sur la biologie et l’astronomie (la digestion et le Monde), la seconde sur la chimie (contre la magie et pour l’expérimentation).

Être en grande difficulté d’apprentissage ne doit pas confiner dans le concret, en interdisant a priori tout accès à l’abstraction. Ce que beaucoup croient déterminé par l’étiologie peut évoluer grâce à une pédagogie du passage. Le modèle allostérique de l’apprendre et la dialogie de deux régimes opposés de la pensée peuvent aider à aller dans ce sens. Ils modifient la posture enseignante en insistant sur l’importance d’un environnement stimulant pour l’élève parce que d’une continuité subjectivement plausible avec les savoirs anciens.

L’expérience que nous avons conduite dans le Puy de Dôme s’inspire de cette approche volontairement pragmatique. Elle obéit à cinq préoccupations majeures : rencontrer l’univers des têtes (pensées enfantines), caractériser les conceptions de ce public, définir des objectifs conceptuels adaptés, accompagner l’appropriation de nouvelles connaissances, évaluer l’action. Elle rappelle qu’il faut d’abord répondre aux interrogations des apprenants pour les voir produire des significations plus efficaces. Elle montre qu’après un certain nombre d’ajustements et l’élaboration d’un matériel adapté, un public « non ordinaire » (scolarisé en structure spécialisée) réussit aussi à faire évoluer ses représentations.

Les résultats obtenus dans l’approche des concepts de digestion et de monde en témoignent (évolution des niveaux de formulation). Ils traduisent une avancée en décentration et compréhension (recul significatif des obstacles « tuyau fermé » et « Terre-plate »). Cette faisabilité devrait encourager à plus d’actions et à davantage d’interrogations. Ainsi, on doit encore se demander comment aménager des passerelles différenciées vers les autres dimensions de la mécanique digestive (fragmentation, péristaltisme, etc.). Cela réclame là encore de faire preuve d’inventivité et de bien cibler les attentes. Il faut également examiner parmi les autres concepts en biologie et en astronomie lesquels sont susceptibles d’accrocher ce public. On pense notamment à ceux d’évolution humaine, de reproduction, de circulation sanguine puis à ceux de gravitation, d’Univers, d’espace temps.

Les résultats obtenus au cours de notre seconde innovation chimie-magie rappelle qu’après un certain nombre d’ajustements et l’élaboration d’un matériel adapté, un public « non ordinaire » réussit aussi à développer des compétences en sciences. Les évolutions au cours de la sensibilisation à la démarche expérimentale en témoignent (progression significative des aptitudes, des attitudes et des méthodes). Ils traduisent une avancée en décentration et compréhension (recul significatif de l’obstacle animiste : « c’est magique », optimisation des niveaux de formulation). Ce possible devrait renforcer l’idée qu’il est temps de proposer plus d’actions signifiantes et de susciter davantage de questionnements pertinents. On doit encore se demander comment aménager des passerelles en direction de la preuve pour accompagner les idées personnelles (item 1.4.) en faveur d’une rencontre active face aux phénomènes observables (items 3.2 et 3.4.). Peut-être est-il également possible d’anticiper sur le recul nécessaire à la remise en cause d’un matériel ou d’un document (item 1.1.), à sa participation dans une action de groupe (item 1.5). Cela réclame là encore de faire preuve d’inventivité et de bien cibler les attentes. Il faut encore examiner parmi les concepts scientifiques lesquels sont susceptibles d’accrocher ce public. On pense notamment à ceux d’évolution humaine, de reproduction, de circulation sanguine puis à ceux de gravitation, d’Univers, d’espace temps. On est enfin tenu de se préoccuper des ouvertures possibles avec d’autres disciplines scientifiques. Ici une initiative interpellant la physique est déjà engagée par notre équipe (liaison avec le collège de Cournon d’Auvergne). Elle travaille notamment sur la poussée d’Archimède, la flottaison, le cerveau et la vision (programme parallèle « Science et fictions »). Les premiers résultats sont encourageants (voir quelques échos par S. Cauvin et E. Collard, 2006) 480 .

Nous avons également mis en place deux séries d’activités complémentaires. Ce sont les énigmes et le débat argumenté. La première sert de relance à l’étonnement et ne prend qu’une plage horaire limitée. La seconde profite des moments de plus grande disponibilité pour rendre le questionnement plus exigeant. L’une surprend l’esprit qui se disperse en plongeant dans un contexte d’aventure et de mystère, l’autre nourrit la réflexion en partageant une lecture à la fois familière et étrange. Les deux participent de notre approche promouvant une didactique des sciences en CL.I.S. 1.

Les thèmes successivement abordés demeurent en lien avec les activités proposées en astronomie et biologie. Ils stimulent également l’envie de vérifier en expérimentant par soi-même et de partager ses découvertes. Ces deux registres décrochés mais menés parallèlement aux autres investigations éraillent significativement le statut survalorisé de la réponse. Comme aime à nous le répéter le personnage Mika (Le petit frère tombé du ciel) « jamais une réponse ne mérite qu’on s’incline devant elle » 481 . Le chemin est en effet déjà parcouru. Dit autrement, les questions seules invitent à grandir en ouvrant à celui qui les formule (clairement) et les éprouve (dans le concret) un espace de promesse.

Quand nos décideurs accepteront l’idée que la pédagogie ne prend tout son sens qu’avec la résistance de certains élèves, que les troubles d’apprentissage ne justifient jamais la particularisation, que la recherche en didactique est utile, que les responsabilités dans les échecs sont à mieux identifier, que l’éducation de l’esprit doit dialoguer avec la fragilité essentielle de l’être, que le travail en équipe requiert des postures conciliables et des encouragements, alors un pas de géant sera fait.

‘« L’indéterminé, le toujours ouvert commandent de refuser les définitions et les dualismes simplificateurs, le normal et l’anormal, le doué et le “nul”… Toute catégorisation fait écran à l’enfant réel, interdisant le processus de personnalisation ».
Ch. GARDOU
Notes
480.

 On trouvera en bibliographie les adresses correspondant au Journal Internet des 10-15 et au site consacré à l’Investigation (notamment la contribution sur les conditions pour la vision d’un objet).

481.

 J. GAARDER, Le petit…, op. cit., p.39.