3. Maurice de Bonald au séminaire de Saint-Sulpice

Pendant la Révolution, les grands séminaires et les sociétés de prêtres qui étaient chargées de leur direction, Sulpiciens, Oratoriens, Lazaristes, avaient disparu. M. Emery 94 fut le premier, en décembre 1800, à rouvrir illégalement le séminaire de Saint-Sulpice 95 . Le jeune Maurice alla le trouver et fut reçu avec cette tendresse “maternelle” qui caractérise le véritable esprit de la direction sulpicienne 96 . Maurice de Bonald se mit sous la direction de M. Emery et, dès le 20 décembre 1806, il était tonsuré par l’évêque de Metz, Mgr Jauffret 97 .

Peu de fils de la noblesse entrent dans les ordres, au début du siècle, comme Maurice de Bonald, car il faut faire preuve alors d’abnégation pour se dévouer à l’Eglise. Mais plus de la moitié de ces derniers qui ont franchi le pas, sont devenus plus tard évêques et sont passés par Saint-Sulpice 98 . Il faut dire que Saint-Sulpice bénéficie d’un héritage prestigieux et de la réputation de M. Emery. De plus, le choix de ce séminaire correspond à une tradition héritée du XVIIIe siècle. Maurice de Bonald fit cinq années d’études à Saint-Sulpice, une année de philosophie et quatre années de théologie, ce qui correspond à des études plus longues que celles des grands séminaires au début du XIXe siècle.

Pour ce qui est du type de formation donné par les sulpiciens au début du XIXe siècle, on peut noter trois caractéristiques : d’abord, les séminaristes de Saint-Sulpice vivaient dans un monde clos, coupé de l’extérieur. En effet, au XVIIIe siècle, les élèves avaient plus de contact avec le monde extérieur, puisqu’ils recevaient l’essentiel de leur formation théologique à la faculté de théologie alors qu’à partir de 1801, le séminaire a assuré un enseignement théologique complet 99 .

Ensuite, on peut noter que certaines matières sont privilégiées et que leur enseignement est marqué par l’abstraction : la philosophie que Maurice de Bonald a étudiée au cours de sa première année, a une place importante ; mais ses maîtres n’évoquent pas les philosophes contemporains car ils veulent surtout réagir contre les idées courantes et le manuel de Valla qui est utilisé, purgé de son jansénisme, vise ce but 100 . On utilise, en théologie, le manuel de Bailly, édité en 1789 101 , et on privilégie le dogme et la morale, mais sans réflexion approfondie : ainsi, dans les cahiers d’Eugène de Mazenod, condisciple de Maurice de Bonald, il n’y a rien sur les Traités concernant Dieu, la Trinité et l’Incarnation alors que le cahier qui contient le cours de Boyer pour l’Apologétique, est particulièrement développé : il s’agit en effet de combattre en priorité les déistes et les protestants 102 . Seulement, on les combat avec des méthodes du passé puisque les professeurs d’apologétique de Saint-Sulpice se référaient aux théologiens du XVIIIe siècle. On n’enseignait pas au séminaire l’histoire de l’Eglise ; elle était reléguée au réfectoire par l’intermédiaire de la lecture, pendant les repas, d’ouvrages pieux. L’étude des Pères de l’Eglise n’était pas davantage au programme et le droit canon se réduisait aux censures. Quant à la méthode utilisée, elle consistait pour le professeur à commenter, compléter ou corriger le manuel et quelquefois, il lui arrivait de donner un cours personnel 103 .

Enfin, le but recherché de cette formation en vue du sacerdoce était de former des prêtres d’une grande piété et en particulier des catéchistes et des confesseurs. L’essentiel n’était pas l’acquisition d’un savoir scientifique, mais l’apprentissage d’un état 104 . C’est la raison pour laquelle les éléments essentiels du règlement étaient l’obéissance, le silence, la mortification, le respect d’autrui et de soi-même, l’esprit de charité . 105

Si on en croit les biographes, ou hagiographes peut-être, le séminariste Maurice de Bonald souscrivait aux exigences de ce règlement puisqu’un de ses confrères d’alors, devenu lui-même directeur au grand-séminaire du Puy, dira plus tard qu’il ne s ‘approchait de lui qu’avec un saint tremblement 106  ; on admirait en lui une rare sagacité, un jugement de la plus exquise droiture et une piété aussi intelligente que profonde. Si tel était le cas, sans doute a-t-il fait partie, comme Eugène de Mazenod, son ami et condisciple, des deux associations favorisées par M. Emery pour l’élite de son séminaire : la Congrégation fondée par le Père Jésuite Delpuits, qui se proposait d’entraîner “à la pratique de la piété et des œuvres de la charité chrétienne” ses membres consacrés à la Sainte Vierge, et l’Aa, association très restreinte et très secrète, formée à Saint-Sulpice en 1801 et qui s’inspirait aussi de l’esprit de la Compagnie de Jésus 107 . Il paraît vraisemblable que Maurice de Bonald ait fait partie de l’élite spirituelle de Saint-Sulpice, dans la mesure où M. Emery, très attaché à la spiritualité de la Compagnie de Jésus, avait utilisé pour réformer le grand-séminaire ceux qui, plus tard, deviendront les Pères de la foi, éducateurs du jeune de Bonald à Amiens.

De toutes les biographies écrites au XIXe siècle concernant Mgr de Bonald, une seule ajoute quelques réserves aux qualités reconnues au jeune séminariste en précisant que certains de ses condisciples lui reprochaient une trop grande discrétion et une insuffisante souplesse : “Ces derniers auraient désiré dans ses rapports moins de circonspection pour ne pas dire de roideur 108 ”. En tout cas, il édifiait ses condisciples avec lesquels il parcourut les étapes menant à sa consécration au ministère sacerdotal : il reçut les ordres mineurs 109 le 23 décembre 1809 des mains de Mgr André, ancien évêque de Quimper, puis son engagement définitif fut marqué par la réception du sous-diaconat le 16 juin 1810 des mains du cardinal Fesch, le diaconat le 22 décembre de la même année de celles du cardinal Maury, et enfin la prêtrise lui fut conférée le 21 décembre 1811 par Mgr de Mandolx, évêque d’Amiens 110 . Sa réception au sous-diaconat marqua une étape importante pour la suite de sa carrière puisqu’elle fut suivie de son entrée à la grande aumônerie en qualité de clerc de la chapelle impériale, comme l’avait souhaité le cardinal Fesch. Dès lors, le futur abbé de Bonald allait commencer son sacerdoce auprès des prélats les plus éminents de l’Eglise de France.

Notes
94.

M. Emery avait dirigé le grand séminaire Saint-Sulpice de 1782 à la Révolution, pendant laquelle il devint le conseiller du clergé, en s’appliquant avec diplomatie à dégager l’Eglise de toute compromission politique. Il agit de même avec Napoléon mais il défendit la liberté de l’Eglise et les droits du pape. (J. LEFLON, article concernant Jacques Emery, in Encyclopédie Catholicisme, Letouzey et Ané, 1953, col. 46-47).

95.

M. LAUNAY, Le bon prêtre, Aubier, 1986, 326 p. (p. 33-37).

96.

Mgr RICARD, Les grands évêques de l’Eglise de France au XIX e siècle, T. 3, Desclée de Brouwer, 1893, 261 p. (p. 34).

97.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 623.

98.

Parmi les élèves qui ont fréquenté Saint-Sulpice de 1801 à 1809, comme Maurice de Bonald, 17 sont devenus évêques et 10 d’entre eux étaient issus de la noblesse. De plus, 54 % des évêques nés entre 1770 et 1789 sont passés par Saint-Sulpice. (J.O.BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire 1802-1905, Le Cerf, 1996, 589 p. (pp. 111-112).

99.

Ibid., p. 112.

100.

J. LEFLON, Eugène de Mazenod (1782-1861), T.1, De la noblesse de robe au ministère des pauvres – Les étapes, d’une vocation (1782-1814), Plon, 1957, 491 p. (p. 347). Eugène de Mazenod, futur évêque de Marseille a été le condisciple de Maurice de Bonald à Saint-Sulpice, où il est rentré deux ans après lui, en 1808.

101.

M. LAUNAY, Le bon prêtre…, p. 47.

102.

J. LEFLON, Eugène de Mazenod (1782-1861), T.1 …, pp. 347-348. Boyer se contentait de défendre la bible contre les attaques de Voltaire.

103.

Ibid.,, pp. 352-353.

104.

J.O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire – 1802-1905 …, pp. 118 et 124.

105.

M. LAUNAY, Le bon prêtre…, p. 39.

106.

Mgr RICARD, Les grands évêques de l’Eglise de France au XIX e siècle,T. 3  …, p. 35.

107.

J. LEFLON, Eugène de Mazenod (1782-1861), T.1 …, pp. 355 à 363. Le but de l’Aa était de former dans le séminaire un corps d’ecclésiastiques très pieux, qui soient parfaits observateurs des règles et qui … contribuent à entretenir une grande ferveur dans la communauté. (Règlement de l’association de piété, J. LEFLON, p. 360).

108.

Joseph MIGNE,“ Notice biographique sur son éminence le cardinal de Bonald”, dans la Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés, T. 81, 1856, 1268 p., (pp. 657-658).

109.

Les quatre ordres mineurs étaient successivement celui de portier, lecteur, exorciste et acolyte.

110.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 623.