2. La participation à l’ambassade en vue du nouveau concordat

Après la chute de Napoléon, le roi restauré, Louis XVIII, répugna à admettre le concordat de celui qu’il appelait l’“usurpateur”. Aussi décida-t-il de négocier un nouvel accord avec Rome d’autant plus que la carte religieuse de la France ne comprenait plus que cinquante évêchés contre cent quarante avant la Révolution dont seize vacants 127 . Des négociations furent donc entamées entre le cardinal Consalvi et le ministre Talleyrand en vue d’abroger le concordat napoléonien et d’établir de nouvelles relations92,et une ambassade extraordinaire fut envoyée à Rome auprès du pape Pie VII, dirigée par l’ancien évêque de Saint-Malo, Mgr Cortois de Pressigny 128 . Ce dernier emmena avec lui les abbés Louis de Sambucy et de Bonald, qui étaient donc attachés à la nouvelle légation de France.

La présence de l’abbé de Bonald dans cette nouvelle légation peut s’expliquer à un double titre : son père, Louis de Bonald, qui avait appelé la Restauration de ses vœux, fut nommé député dès la première convocation des chambres et devenu plus tard membre de la chambre des pairs grâce à Louis XVIII, il y fut le porte-parole des ultraroyalistes. Certes, on ne lui confia, par la suite, que le poste ingrat de président du comité de surveillance de la presse 129 , mais son prestige auprès des royalistes était suffisant pour que son fils puisse en bénéficier. De plus, la participation de l’abbé de Bonald à la légation a probablement été facilitée par la présence dans cette dernière de son cousin éloigné, l’abbé Louis de Sambucy, frère de Gaston de Sambucy, directeur de la chapelle de l’empereur Napoléon, comme nous l’avons vu précédemment. Nous avons indiqué également que Louis de Sambucy avait accompagné le jeune Maurice de Bonald chez les Pères de la foi à Amiens.

Comme son frère Gaston, Louis de Sambucy avait été sulpicien et prêtre réfractaire sous la Révolution 130 . La persécution qu’il avait subie sous le Premier Empire lui procura au début de la Restauration une réputation flatteuse : il avait été enlevé d’Amiens en 1811 par la police impériale et interné à Paris 131 . On l’appelait le plus souvent abbé de Saint-Estève pour le distinguer de son frère Gaston. Au sein de la légation, Louis de Sambucy avait d’autres préoccupations que la conclusion du concordat. En effet, au début des années 1810, devenu supérieur ecclésiastique à Amiens de la maison-mère de la Société du Sacré-Coeur 132 , fondée par Sophie Barat, la supérieure générale, il avait, contre son avis, rédigé de nouveaux statuts pour la Société et il voulait profiter de son séjour à Rome pour faire approuver par le pape ses Constitutions 133 . Le 7 novembre 1814, l’abbé de Sambucy écrivit de Rome au Père de Clorivière qui avait présidé à la reconstitution de la compagnie de Jésus en France : il lui demandait son intervention pour qu’il puisse remplacer le Père Varin et accusait la Mère Sophie Barat d’impéritie. Il se déclarait seul chargé d’organiser la Société et d’en établir tout d’abord le siège à Rome98. L’abbé de Saint-Estève fut rejoint à Rome, en 1815, par Eugénie de Grammont, qui avait été à Amiens un de ses plus solides soutiens et quand un mémoire fut adressé par Sophie Barat au provincial de la compagnie de Jésus à Rome, il répondit à sa place, en août 1815, que M. de Saint-Estève, qui dirigeait la Société depuis dix ans, était devenu le Supérieur unique d’un Institut approuvé par le pape, le Couvent royal de Saint-Denis. Par la suite, on apprit que cette réponse émanait du secrétaire d’ambassade lui-même et, “son manège découvert, l’abbé de Saint-Estève dut revenir en France 134 ”.

L’abbé de Bonald se serait donc retrouvé seul secrétaire de Mgr Cortois de Pressigny à la fin de l’année 1815 mais il était encore en compagnie de l’abbé de Sambucy lorsqu’ils rendirent visite, au début de leur séjour en juillet 1814 au cardinal Fesch, qui était exilé à Rome. Ce dernier s’était retiré avec sa sœur au palais Falconieri et avait été bien accueilli dans la ville éternelle par le pape Pie VII. Si peu de personnes fréquentaient les salons du cardinal, les deux abbés dépassèrent les préjugés de l’aristocratie à l’encontre de l’exilé et rendirent de publics hommages au cardinal dans l’adversité. Ils demandèrent même à Mgr de Pressigny d’inviter le cardinal Fesch à la célébration de la fête de Saint-Louis, dans l’église de ce nom, le 25 août 1814 135 . Le chargé d’affaires de France accepta, mais l’archevêque de Lyon le pria de l’excuser de ne pas se rendre à son invitation car il était retenu auprès de sa sœur assez mal portante. L’abbé de Bonald manifesta, à nouveau, plus tard, sa gratitude au cardinal Fesch, lorsque devenu archevêque de Lyon, il fit célébrer, aussitôt après son installation, un service funèbre en son honneur, dans sa cathédrale, le 10 juillet 1840 136 .

Ce premier séjour de l’abbé de Bonald, à Rome, lui permit aussi d’affirmer des convictions qu’il confirmera plus tard : au cours d’une des réceptions de l’ambassade de Mgr de Pressigny, il assista en 1816, à une conversation entre l’évêque ambassadeur et un moine camaldule, le futur pape Grégoire XVI. Le moine combattait le gallicanisme de la déclaration de 1682 137 et il fut soutenu par le seul abbé de Bonald. L’incident n’était pas banal puisque le pape Grégoire XVI le rappela à Maurice de Bonald, devenu archevêque de Lyon, lorsqu’il lui remit le chapeau de cardinal vingt-cinq ans plus tard 138 . On pourrait en conclure que l’abbé de Bonald manifesta alors une position ultramontaine d’autant plus que les quatre articles étaient encore enseignés dans les séminaires français ; mais, dans une autre circonstance, au cours d’une entrevue de sa légation, en 1814, avec le pape PieVII , “nous crûmes devoir lui demander (rappela-t-il plus tard dans une circulaire qu’il adressa à son clergé en 1843 139 ) la permission de continuer à nous servir du bréviaire de Paris. Sa Sainteté nous répondit qu’il n’y avait aucune difficulté”. Ainsi, l’abbé de Bonald était favorable à la primauté du pape au sein de l’Eglise, ce qui ne l’empêchait pas de montrer son attachement aux traditions liturgiques.

Dans quel sens la légation présente à Rome et le pape Pie VII avaient-ils orienté les nouvelles relations entre l’Eglise et l’Etat français?  La convention du 25 août 1816, signée par le pape Pie VII rétablissait pour l’essentiel l’ancien concordat de 1516 et abrogeait les articles organiques du Concordat de 1801. Mais Louis XVIII ratifia la convention en ajoutant la clause : “le tout conditionnellement aux libertés de l’Eglise gallicane” et, surtout, les Chambres à Paris refusèrent de ratifier le Concordat du 11 juin 1817 qui reprenait les dispositions de la convention de 1816. Dans ces conditions, le pape fit savoir en août 1818 que le Concordat de 1817 était suspendu et qu’il maintenait le Concordat de 1801 140 .

Après un séjour de deux ans à Rome, l’abbé de Bonald revint en France au cours de l’été 1816 141 et l’année suivante, il trouva un nouveau protecteur en la personne de Mgr de Latil qui fut préconisé pour diriger l’évêché de Chartres 142 .

Notes
127.

D. LE TOURNEAU, L’Eglise et l’Etat en France, Que sais-je ?, 2000, 127 p. (pp. 87-88).

128.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 590.

129.

G. GENGEMBRE, Louis de Bonald …, p. 225.

130.

Informations données par la famille de Sambucy.

131.

J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France, T.1 …, p. 98. Interné à la prison de la Force, il eut pour compagnon de captivité le lyonnais Claude Berthaut du Coin, premier assistant de la Congrégation de Lyon et qui fut arrêté par la police de Napoléon pour avoir permis des liens entre le pape, en résidence surveillée à Savone, et la France catholique. (Antoine LESTRA, Histoire secrète de la Congrégation de Lyon –  De la clandestinité à la fondation de la Propagation de la foi, Nouvelles Editions latines, 1967, 364 p. [pp. 205 et 229]).

132.

La Société du Sacré-Cœur était d’inspiration ignatienne et les Pères de la foi ont contribué à son recrutement en dirigeant vers elle des jeunes filles ou des femmes dont ils connaissaient la vocation religieuse. Sous l’Empire, la Société naissante fut gênée par la méfiance envers ceux qui étaient suspectés, de près et de loin, d’être des Jésuites déguisés et l’abbé de Sambucy en profita pour prendre à Amiens une place d’autorité, que le Père Varin, supérieur des Pères de la foi et qui avait collaboré à l’entreprise de Sophie Barat, ne pouvait plus tenir. (M. LUIRARD,“ Madeleine Sophie Barat”, in G. CHOLVY (dir.), La religion et les femmes …, pp. 104-105).

133.

J. BURNICHON La compagnie de Jésus en France, T.1 …, les pages 98 à 105 évoquent les problèmes posés à la supérieure de la Société du Sacré-Cœur par l’abbé de Sambucy. Dix ans plus tôt, ce dernier avait essayé de refondre la Congrégation des Sœurs de Notre-Dame de Julie Billiart.

134.

J. BURNICHON s’est inspiré pour évoquer cet épisode curieux de la vie de l’abbé de Saint-Estève (ou de Sambucy) de l’ouvrage de Mgr BAUNARD, Histoire de Madame Barat, fondatrice de la Société du Sacré-Cœur, Paris, 1876, 2 tomes. Dès novembre 1815, Sophie Barat reprenait les rênes de la Société en convoquant à Paris le chapitre général.

135.

H. FISQUET, La France pontificale …, pp. 590-591.

136.

Ibid., p. 643.

137.

La déclaration des quatre articles, votée, en 1682, par des membres du clergé choisis par Louis XIV précisait que les rois n’étaient soumis à aucune puissance ecclésiastique dans le domaine temporel, que l’autorité des conciles était supérieure à celle du pape, que les libertés de l’Eglise gallicane devaient être sauvegardées et que le jugement du pape n’était pas irréformable avant qu’intervienne la sanction du consentement de l’Eglise (G. AUDISIO, Les Français d’hier, T. 2 : Des croyants. XVe – XIXe siècle, A. Colin, 1996, 479 p.[p. 85]).

138.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles dans le diocèse du Puy pendant l’épiscopat de Mgr de Bonald (1823-1840), Mémoire de D.E.S., 1952, 200 p. (p. 37).

139.

Le cardinal de Bonald expliquait dans cette circulaire la nouvelle édition du bréviaire qu’il se proposait de publier (H. FISQUET, La France pontificale …, pp. 655-657).

140.

D. LE TOURNEAU, L’Eglise et l’Etat en France …, pp. 87-88.

141.

Lettre du vicomte de Bonald écrite à son château du Monna le 23 juillet 1816 et faisant allusion au plaisir qu’il a eu de revoir son plus jeune fils, revenu de Rome (correspondance générale de Lamennais, T. 1 (1805-1819) – Textes réunis, classés et annotés par Louis le Guillou, Colin, 1971, 671 p. ( p. 313).

142.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 623