3. Les contacts avec Lamennais et la collaboration avec l’évêque de Chartres

Mgr de Latil, préconisé pour l’évêché de Chartres dans le consistoire du premier octobre 1817, donna des lettres de grand-vicaire à l’abbé de Bonald. Mais celles-ci restèrent lettres mortes à cause de l’inapplication du nouveau concordat. Mgr de Latil ne put prendre possession de son siège que le 8 novembre 1821107. Dans ces conditions, jusqu’à cette date, l’abbé de Bonald n’eut pas de fonction ecclésiastique officielle, si ce n’est celle d’aumônier que lui proposa en 1819 le comte d’Artois, le futur Charles X 143 . Il put donc suivre avec attention la diffusion des idées de l’abbé Félicité de Lamennais qui venait de faire paraître en 1817 le premier volume de l’“Essai sur l’indifférence en matière de religion”. Dans cet ouvrage, qui eut un grand succès, Lamennais essayait de démontrer qu’au-delà de la raison individuelle des philosophes, il y avait une raison générale, celle du genre humain depuis l’origine, un fonds commun de croyances, un sens commun, qui représentait la conscience que l’humanité avait d’elle-même et que le rôle de Jésus-Christ avait été de venir accomplir ces vérités éternelles 144 . Lamennais avait lu les ouvrages de Louis de Bonald, père de l’abbé de Bonald, et en faisait l’éloge 145 . Quelles convictions communes rapprochaient les deux hommes 146 ? Tous deux croyaient en une révélation primitive issue de Dieu et pensaient qu’il n’y avait pas d’autorité plus universelle que celle du pape, qu’une bonne monarchie ne pouvait être gouvernée que suivant des principes chrétiens. Par ailleurs, ultraroyalistes, ils collaborèrent au “Conservateur” avec Chateaubriand 147 . Lorsque Lamennais voulut lancer une “Revue morale et littéraire” dont l’abbé Le Tourneur devait prendre la tête, il pensa que M. de Bonald donnerait des articles 148 et que son fils, l’abbé de Bonald, offrirait également sa collaboration 149 . Lamennais voulait fonder cette revue afin “d’organiser quelques moyens de défense pour la religion”. Pour cette revue, qui ne parut jamais, il cherchait des rédacteurs et des correspondants. L’abbé de Bonald fait donc partie des ecclésiastiques qui ont été les admirateurs du premier Lamennais, comme l’abbé Le Mée, un compatriote de ce dernier ou l’abbé Clausel de Montals, un aveyronnais, devenu plus tard évêque de Chartres. Tous étaient ses contemporains (Lamennais avait cinq ans de plus que l’abbé de Bonald), mais ils furent plus des collaborateurs que des disciples et se détacheront rapidement de lui contrairement à des prêtres plus jeunes, ordonnés au moment où Lamennais était déjà en pleine gloire114.

Quand Mgr de Latil prit enfin possession de son évêché, en 1821, il plaça l’abbé de Bonald dans son conseil diocésain en qualité d’archidiacre 150 et de vicaire général honoraire 151 . Ce dernier s’occupa, en particulier, des maisons religieuses, fit la visite de son archidiaconé et se livra souvent à la prédication comme il l’avait fait précédemment à Paris en devenant le prédicateur à la mode du faubourg Saint-Germain 152 . Il confirma sa réputation d’orateur au cours du carême de 1822, en donnant des conférences dans la cathédrale de Chartres. L’année suivante, une ordonnance royale du 13 janvier 1823 appelait l’abbé de Bonald à l’évêché du Puy que venait de rétablir la bulle “Paternae caritatis” du 6 octobre 1822 153 .

Cette nomination venait donc conclure une préparation à l’épiscopat qui avait duré plus de dix ans et qui avait été particulièrement fructueuse puisque le jeune abbé avait pu profiter de l’enseignement et de l’expérience de trois évêques et appréhendé le fonctionnement de l’Eglise à son niveau hiérarchique le plus élevé, à Rome et à Paris. Il avait pu également avoir un aperçu de l’état des paroisses à la fin du premier Empire, en accompagnant le cardinal Fesch dans le diocèse de Lyon, au cours d’une longue tournée pastorale et effectuer la même démarche, de son propre chef, dix ans plus tard, dans le diocèse de Chartres. Il avait aussi fait ses preuves dans le domaine de la prédication dont l’exercice semblait lui plaire depuis ses premiers essais chez les Pères de la foi, à Amiens. Finalement, il avait acquis une grande expérience, même si son père pensait qu’il était trop tôt pour que son fils devienne évêque 154 . Sa promotion à l’épiscopat ne peut surprendre car, d’une part, elle intervient au moment où de nouveaux évêchés ont été créés, d’autre part, comme Maurice de Bonald appartenait à une famille noble, il a tiré profit des liens que la Restauration avait avec l’aristocratie ; enfin, l’abbé de Bonald a bénéficié du renom de son père 155 .

Ce parcours dans la vie de Maurice de Bonald nous aura permis de cerner quelques traits de sa personnalité et de remarquer les influences qu’il a subies : originaire du Rouergue, région qui a donné de nombreux prêtres à l’Eglise, il a reçu, au sein d’une famille de l’ancienne noblesse, une forte éducation chrétienne, aussi bien de son père, qui va devenir un théoricien catholique réputé, que de sa mère, qui a pris soin de lui au moment où la Révolution séparait la famille pour de longues années. Cette Révolution a particulièrement marqué Maurice de Bonald dont le comportement et le discours pourront surprendre certains au moment des événements similaires des années 1830 et 1848. Ses pérégrinations, dues à la séparation des siens, l’amèneront à poursuivre son éducation, d’abord dans sa future ville archiépiscopale, puis chez les Pères de la foi, à Amiens où il a été marqué par une pédagogie proche de celle de la Compagnie de Jésus, mais aussi un peu austère et où il a pu apprécier le talent d’un professeur de rhétorique qui lui a donné goût à la prédication. Cette prédilection ajoutée à sa piété l’amenèrent à choisir le sacerdoce et à entrer au séminaire de Saint-Sulpice. Là, il approfondit sa piété et, comme ses condisciples, il fut formé à la prêtrise pour devenir un bon catéchiste et un bon confesseur. Maurice de Bonald s’est sans doute aussi souvenu plus tard de l’esprit de modération et de conciliation du supérieur de Saint-Sulpice, Jacques Emery ; il retrouvera par la suite ce désir de conciliation chez le cardinal Fesch au moment d’entamer sa préparation à l’épiscopat, préparation renforcée par sa participation à l’ambassade envoyée à Rome au début de la Restauration car il eut alors une autre vision de l’Eglise.

Mais, pour l’heure, préconisé après sa nomination par le pape Pie VII le 10 mars 1823, il fut sacré évêque dans la basilique de Chartres le 27 avril suivant par Mgr de Latil, assisté de l’évêque d’Amiens et de l’évêque d’Evreux 156 .

Notes
143.

Biographie du cardinal de Bonald dont l’auteur est inconnu (archives de la société des Lettres de Rodez).

144.

G. CHOLVY et Y.M. HILAIRE (dir.), Histoire religieuse de la France (1800-1880), Privat, 2000, 287 p. (p. 82).

145.

Dans une lettre écrite au vicomte de Bonald le 26 novembre 1814, Lamennais l’encourage à publier seul un discours qui devait préfacer l’ouvrage d’un Jésuite intitulé “La Vie de Jésus-Christ” en affirmant qu’ “il y a des morceaux qui sont au rang de ce que vous avez écrit de plus beau” : Louis le Guillou, correspondance générale de Lamennais, T. 1 …, pp. 213 à 215.

146.

Dans une lettre au comte de Bonald du 24 août 1820, Lamennais écrit : “ma doctrine, qui, au fond, est la vôtre …” (Correspondance générale de Lamennais, T. 2 (1820-1824) – Textes réunis, classés et annotés par Louis le Guillou, Colin, 1971, 703 p. [p. 110] ).

147.

G. CHOLVY et Y.M. HILAIRE, Histoire religieuse de la France (1800-1880) …, p. 84.

148.

Lettre de Félicité de Lamennais à son frère Jean du 20 février 1818 : correspondance générale de Lamennais, T. 1 …, pp. 396-397.

149.

J.O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire …, p. 245.

150.

Chacun des archidiaconés dont était composé le diocèse était confié à un vicaire général, qui, pour cette raison, portait le titre d’archidiacre.

151.

H. FISQUET, La France pontificale …, pp. 623-624.

152.

Gustave VAPEREAU, Dictionnaire universel des contemporains, 1858, 1802 p., (p. 237).

153.

H. FISQUET, La France pontificale …, pp. 623-624.

154.

Mgr RICARD, Les grands évêques de l’Eglise de France au XIX e siècle, T. 3 …, p. 37.

155.

J. O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire …, p. 313.

156.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 624.