2. Mgr de Bonald prône l’alliance et l’autonomie du trône et de l’autel

L’évêque du Puy pense que l’Eglise et le roi ont des intérêts communs et des ennemis communs ; aussi doivent-ils collaborer pour remplir parfaitement leur mission. Quels sont ces ennemis communs ? Ce sont l’anarchie, la révolution ou une religion qui conduit ses fidèles à l’erreur. Deux expéditions militaires françaises qui se sont déroulées, l’une à la fin du règne de Louis XVIII et l’autre à la fin du règne de Charles X ont servi d’illustration à Mgr de Bonald pour démontrer la nécessaire collaboration du trône et de l’autel : l’expédition d’Espagne en 1823 et l’expédition d’Alger en 1830.

Ainsi, en Espagne, l’armée française a su vaincre la révolution qui s’en prenait à la fois au roi Ferdinand VII et à la religion et Mgr de Bonald se félicite que le roi Louis XVIII vienne “ de remplir la plus noble mission que Dieu puisse confier aux chefs des peuples, celle de fermer l’abîme des révolutions …”. L’évêque ajoute qu’il ne s’agit pas “d’un brillant fait d’armes qui n’intéresse pas la religion” car il assimile, dans l’histoire qu’il vit avec ses contemporains, la cause des rois et celle de Dieu : “Les secourir (les rois) et les défendre ne sont plus les combinaisons d’une politique toute profane, mais les généreuses résolutions d’une politique saine et sacrée 169 ”.

Pour ce qui est de l’expédition d’Alger, l’enjeu de la collaboration entre le roi et la religion catholique est encore plus important pour cette dernière puisqu’il s’agit de reprendre “à l’erreur (l’Islam) une de ses plus anciennes conquêtes sur l’évangile … d’élever dans ces contrées inhospitalières l’étendard pacifique de la croix et de réunir sous son ombre tutélaire des peuples courbés jusqu’alors sous le joug d’une loi de sang … 170

Si le roi et l’Eglise ont intérêt à collaborer, ils doivent tout de même demeurer indépendants et autonomes. Mgr de Bonald a eu l’occasion de soutenir cette position dans une lettre qu’il écrivit au roi Charles X le 26 décembre 1825 à la suite d’un arrêt 171 de la cour royale de Paris du 5 décembre 1825 dénonçant une partie du clergé comme ennemi des libertés de l’Eglise gallicane. Après avoir assuré le roi que son clergé était prêt à tout sacrifier pour le soutien du trône et la défense de la religion et qu’il ne professait point parmi ses ouailles de doctrine dangereuse à l’Etat, l’évêque du Puy précise sa conception des relations entre l’Eglise et l’Etat qui est conforme, dit-il, à celle de Bossuet : « La puissance temporelle ne dépend ni directement ni indirectement de la puissance spirituelle ; l’une et l’autre puissance est principale, souveraine et sans dépendance mutuelle pour les choses de son ressort 172 ”. C’est pourquoi, Charles X, en sa qualité de chrétien, est soumis au pouvoir spirituel du pape mais, en sa qualité de roi, il ne dépend que de Dieu. En suivant cette logique, Mgr de Bonald a été un des premiers à signer, le 3 avril 1826, la déclaration des évêques de France relative à l’indépendance des rois dans l’ordre temporel. Mais, tous les prélats ne manquaient pas, bien sûr, comme celui du Puy, de repousser également dans cette déclaration l’accusation que la cour royale avait formulée contre une partie du clergé 173 .

La position de Mgr de Bonald concernant les rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel est finalement conforme à celle que son père a eu l’occasion de formuler dans les ouvrages où il aborde ce problème. Dans sa “Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile”, Louis de Bonald montre que la société religieuse et la société politique forment un tout indissociable dont le lien a été rompu par la Révolution et que l’alliance du trône et de l’autel doit se faire dans l’indépendance et l’autonomie de chacun d’eux. L’Eglise et la monarchie s’attirent, se soutiennent, sont des alliés naturels et nécessaires : “Le catholicisme s’allie naturellement à l’unité du pouvoir politique parce qu’il est un aussi 174 ”. Si l’Eglise et la monarchie sont des alliés naturels, c’est en raison de leur “souveraineté qui est en Dieu … le pouvoir est de Dieu 175 ”. Comme le pouvoir vient de Dieu et comme les lois ont leur origine en Dieu, les hommes soumis au pouvoir et aux lois ne sont pas sous la dépendance d’autres hommes. En plaçant la source du pouvoir en Dieu, de Bonald assure l’indépendance des hommes à l’égard des uns et des autres et leur commune soumission à une instance qu’aucun d’eux ne maîtrise : “ L’homme est par sa nature indépendant de l’homme et sujet de Dieu seul20”. Celui qui exerce le pouvoir n’est que le “ministre de Dieu” et est responsable devant lui de l’usage qu’il fait de sa puissance. Il ne fait qu’occuper un office dont il n’a pas la propriété totale et absolue et il doit se conformer à une loi qui lui est extérieure.

Mais sans doute est-il difficile à envisager que le pouvoir reçu de Dieu par le roi puisse être acquis à l’issue d’une révolution qui en a dépouillé son détenteur légitime. Examinons comment Mgr de Bonald a répondu à ce dilemme après le changement de dynastie provoqué par la révolution de 1830.

Notes
169.

Mandement du 17 octobre 1823 qui ordonne un Te Deum en action de grâce de l’heureuse délivrance de S.M.C. le roi d’Espagne, Ferdinand VII, suite à la lettre du roi Louis qui le demande (A.D. Hte Loire).

170.

Mandement du 14 juillet 1830 (A.D. Hte Loire).

171.

La Cour royale s’en était pris au clergé dans un arrêt concernant les procès intentés en 1825 aux journaux “le Constitutionnel” et “le Courrier Français”.

172.

Lettre au roi du 26 décembre 1825 citée par A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles dans le diocèse du Puy pendant l’épiscopat de Maurice de Bonald (1823-1840) …, p. 39.

173.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 631.

174.

L. DE BONALD, “Le traité de Westphalie”, cité par C. CALIPPE, L’attitude sociale des catholiques français au XIX e siècle, Bloud, 1911, 272 p. (p. 70)

175.

L. DE BONALD, La législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison, cité par B. MANIN in F. CHATELET, O. DUHAMEL, E. PISIER, Dictionnaire des œuvres politiques, P.U.F., 1989, 1155 p. (p. 134).