3. Mgr de Bonald s’est rallié progressivement à la monarchie de Juillet

Même si Mgr de Bonald s’incline, après la révolution de juillet 1830, devant l’exemple terrible que Dieu vient de donner “ de l’instabilité des choses humaines par un de ces événements tout empreints de justice et de colère … 176 ” et même si le pape Pie VIII a demandé aux évêques français de prêter serment à Louis-Philippe et d’ordonner des prières publiques, l’évêque du Puy ne pouvait que manifester beaucoup de réserve à l’égard du nouveau pouvoir. Les relations entre l’évêché et la préfecture de la Haute-Loire se sont espacées : Mgr de Bonald a seulement adressé quatre lettres au préfet d’août à décembre 1830 alors qu’il lui en avait adressé dix-huit de janvier à juillet. De plus, il est absent de la plupart des cérémonies officielles comme celle de la fête du roi à la cathédrale en mai 1831 177 . Les autorités administratives sont naturellement soupçonneuses à son égard, en particulier le ministre de l’Instruction publique et des Cultes : lorsqu’une lettre anonyme lui est adressée en octobre 1830, accusant l’évêque du Puy d’interdire à ses prêtres de chanter l’oraison “pro rege”, il transmit la lettre au préfet et prescrivit une enquête 178  . Toutefois, Mgr de Bonald a rapidement fait preuve, dès la fin de l’année 1830, de bonne volonté à l’égard de l’autorité préfectorale en faisant connaître au préfet les consignes de “paix et de tranquillité” 179 qu’il avait données à ses prêtres ;c’est sans doute pour cette raison que le ministre écrivit au préfet, peu de temps après, le 28 décembre 1830 : “Vous n’avez qu ‘à vous louer de votre évêque, c’est un point essentiel et dont je vous félicite” 180 .

Mgr de Bonald est devenu conciliant, mais il doit tenir compte de son clergé qui est resté foncièrement légitimiste, en particulier dans l’arrondissement d’Yssingeaux. L’attitude hostile des prêtres à l’égard de la monarchie de Juillet peut se manifester le dimanche par la mauvaise volonté qu’ils mettent à chanter et à faire chanter à la messe le “Domine Salvum Fac Regem” : soit ils ne le chantent pas, soit ils omettent d’ajouter “Philippum” à “Regem” 181 . Quand des conflits éclatent dans les paroisses entre les ecclésiastiques et les autorités civiles, l’évêque défend ses prêtres mais s’efforce aussi par des conseils et des mutations opportunes de calmer leur ardeur et leur irritation 182 . Au fil des années, le clergé du diocèse va appliquer les consignes de neutralité de son évêque qui, en 1834, va faire preuve de bonne volonté à la suite d’une critique désobligeante du gouvernement qu’il avait faite dans sa lettre pastorale du 2 février 1834, en montrant l’Eglise “en butte aux violences d’un pouvoir ombrageux et impie” ; comme le préfet avait demandé des explications à Mgr de Bonald, ce dernier les lui avait envoyées par une lettre que le préfet jugea satisfaisante. La même année, au cours des élections législatives, il soutint au Puy, non le candidat légitimiste, Berryer, mais le candidat sortant gouvernemental, Bertrand ; il faut dire que ce dernier était un modéré qui avait empêché la suppression de l’évêché du Puy et dont le second fils était prêtre 183 .

A partir de la fin de l’année 1835, les relations entre l’évêché et la préfecture sont devenues cordiales car des liens d’amitié se sont noués entre Mgr de Bonald et le nouveau préfet de la Haute-Loire, Jacques Mahul, qui est resté au Puy de novembre 1835 à juillet 1837. La correspondance entre les deux hommes est riche d’enseignements dans la mesure où elle montre un évêque qui se livre plus facilement et qui manifeste ses principales préoccupations. Assurément, Maurice de Bonald ne veut plus être accusé de légitimisme et veut montrer qu’il est animé par dessus tout par l’esprit de paix. Lorsqu’un service a eu lieu dans la cathédrale du Puy pour le repos de l’âme de Charles X, il s’est empressé de préciser que le service s’était “réduit à une messe basse célébrée à l’insu de l’autorité ecclésiastique et à l’insu même du prêtre célébrant” puisque pendant la messe, à laquelle assistaient une trentaine de personnes, “on est venu lui nommer tout bas le nom de Charles 184 ”. On mesure le chemin parcouru par Mgr de Bonald depuis janvier 1824, lorsqu’il ordonnait un service solennel dans les églises de son diocèse pour marquer l’anniversaire de la mort de Louis XVI 185 . Quant à l’esprit de paix dont il veut se montrer animé, l’évêque l’évoque dans chacune de ses lettres au préfet Mahul, lorsqu’il est question des relations entre l’Eglise du diocèse et le gouvernement : ainsi, il termine sa lettre concernant le service fait pour le repos de l’âme de Charles X en disant que son devoir était d’ “interdire tout ce qui pouvait altérer la paix et la tranquillité”, faisant allusion à l’interdiction faite à ses curés de toute démonstration en cette circonstance. De même, lorsque le préfet lui fit comprendre que le ministre voulait lui proposer la croix de la légion d’honneur, Mgr de Bonald répondit au marquis de la Fressange 186 qui devait le sonder à ce sujet : “je porte une croix que je mets au-dessus de toutes les autres 187 ” mais il ajouta aussi qu’il ne voulait pas se montrer hostile au pouvoir : “je regarderais cette hostilité comme contraire à mes devoirs et aux dispositions pacifiques qui doivent animer un évêque32”. Une fois la légion d’honneur accordée, Mgr de Bonald fut un peu contrarié par le bruit répandu que le préfet avait une lettre de l’évêque sollicitant la décoration ; aussi demanda-t-il au préfet de rendre justice à l’occasion, à la réserve qu’il avait mise à propos de la croix d’honneur 188 . Mais, dans la même lettre, il répète tout de même au préfet Mahul ce qu’il a écrit au marquis de la Fressange : qu’il ne ferait pas d’opposition à l’attribution de la croix, car “l’opposition lui paraissait contraire à l’esprit de paix qui doit animer les évêques33”.

Le départ de Mahul pour la préfecture du Vaucluse en juillet 1837 met fin à une période de relations particulièrement bonnes entre le préfet et l’évêque du Puy, mais si on lit la lettre que Mgr de Bonald a adressée au préfet Mahul le 21 février 1839, on comprend facilement pourquoi : si la modestie l’a empêché d’envoyer au nouveau préfet d’Avignon quelques-uns de ses écrits, il assure ce dernier qu’il a “laissé au Puy des amis qui conserveront longtemps les souvenirs d’une administration aussi éclairée qu’impartiale” et comme Madame Mahul attend un heureux événement, il demande de lui dire qu’“à Notre-Dame du Puy, elle ne sera pas oubliée 189 ”. Après le départ de Mahul, les relations sont restées satisfaisantes entre l’évêché et la préfecture et Mgr de Bonald a continué à donner des consignes de neutralité à son clergé trop enclin à défendre des positions légitimistes. Ainsi, dans la lettre pastorale du 7 octobre 1837 envoyée au clergé de son diocèse à l’occasion des élections générales, il demande à ses prêtres d’élever entre les partis et eux “une barrière insurmontable”, de ne pas “dire un seul mot de blâme ou d’approbation sur les vues des candidats” 190 . Plus tard, dans son mandement à l’occasion du carême de 1839 191 , il reprendra la même argumentation en affirmant que le prêtre “ n’a pas été envoyé pour se faire le défenseur d’une opinion politique”, que “nous devons être au-dessus des partis, au-dessus des opinions …”. En affirmant ces positions de neutralité, Mgr de Bonald affirme donc ses bonnes dispositions à l’égard du roi ; d’ailleurs, dans sa lettre pastorale au clergé du 27 décembre 1839 concernant l’émancipation des esclaves dans les colonies, il a cité la circulaire du ministre demandant aux évêques, des prêtres pour aller évangéliser les colonies. Il faut dire que, quelques mois auparavant, il a rencontré à nouveau le pape Grégoire XVI à Rome, ce qui a conforté ses bonnes relations avec la cour des Tuileries puisqu’une semaine après son retour, le 2 août 1839, le préfet écrivait au ministre de la Justice et des cultes que Mgr de Bonald lui avait fait savoir que le pape se louait de ses relations avec le roi et désirait que le clergé français “s’abstienne de toutes démonstrations contraires à ces excellentes dispositions 192 ”. Arrivé à Rome le 13 mai 1839, Mgr de Bonald put assister à la canonisation du bienheureux Alphonse de Liguori qui eut lieu le 26 mai 1839, puis il rendit compte au souverain Pontife de l’administration de son diocèse, étant un des premiers évêques à observer à nouveau une loi canonique tombée en désuétude 193 . Ce séjour à Rome nous amène à nous demander quelles furent les relations de l’évêque du Puy avec le pape Grégoire XVI, s’il l’a soutenu dans ses prises de position importantes des années 1830.

Notes
176.

Mandement du 15 décembre 1830, qui ordonne des prières pour le pape PieVIII et pour l’élection du futur pape (A. D. Haute-Loire).

177.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles dans le diocèse du Puy pendant l’épiscopat de Maurice de Bonald (1823-1840) …, p.31.

178.

A. RIVET, La vie politique dans le département de la Haute-Loire de 1815 à 1974 …, p. 286.

179.

Lettre de l’évêque au préfet du 3 décembre 1830, citée par A. RIVET, La vie politique dans le département de la Haute-Loire de 1815 à 1974 …, p. 286.Il faut dire que, dès septembre 1830, le pape Pie VIII a qualifié Louis-Philippe de “roi très chrétien” (M. LEROY, Le mythe jésuite, de Béranger à Michelet, P.U.F., 1992, 468 p. [p. 67]).

180.

A.D. de la Haute-Loire, 6 M 74.

181.

D’après un rapport de gendarmerie de 1833, concernant 23 communes, le “Domine Salvum Fac Regem” se chante avec le nom du roi dans six églises, ne se chante pas du tout dans sept, se chante sans le nom du roi dans dix églises. (A. RIVET, La vie politique dans le département de la Haute-Loire…, p. 284-285).

182.

A. RIVET,“ Maurice de Bonald, évêque du Puy et la politique (1823-1840)”, in Religion et politique. Les deux guerres mondiales. Histoire de Lyon et du sud-est. Mélanges offerts à M. le doyen André Latreille, Audin, Lyon, 1972, p. 553. Le milieu des années 1830 semble marquer un tournant important dans les relations de l’évêque du Puy avec le gouvernement de Louis Philippe puisque, comme le signalera plus tard le préfet du Rhône, les sentiments de Mgr de Bonald, “au retour d’un voyage qu’il fit à Rome en 1834 ou 1835 se modifièrent … ; convaincu du fervent désir du roi d’accorder aux intérêts religieux une protection éclairée, il comprit que la mission du clergé ne devait être qu’une mission de paix et de conciliation”. (Lettre non datée, envoyée par le préfet du Rhône au ministre de la justice et des cultes, alors que Mgr de Bonald était devenu archevêque de Lyon : Archives Nationales, dossier de Bonald, F19/2531).

183.

A. RIVET, Maurice de Bonald, évêque du Puy et la politique (1823-1840) …, p. 553.

184.

Lettre de Mgr de Bonald au préfet Mahul du 11 décembre 1836 (Société des Lettres de l’Aveyron à Rodez – Portefeuille de Mahul : lettres du cardinal de Bonald, de Guizot, de Rémusat à Mahul – Extrait de la Nouvelle Revue rétrospective du 10 octobre 1899, Paris, 48 p.).

185.

Voir le début du paragraphe : comment un évêque défend la cause légitimiste.

186.

Député légitimiste d’Yssingeaux et rallié à la monarchie de Juillet, le marquis de la Fressange écrivit plusieurs fois à Mgr de Bonald au sujet de cette croix de la légion d’honneur.

187.

Lettre de Mgr de Bonald à M. de la Fressange du 19 mars 1937 communiquée au préfet Mahul (Portefeuille de Mahul ….).

188.

Lettre de Mgr de Bonald au préfet Mahul du 18 juillet 1837 (Portefeuille de Mahul ….).

189.

Bibliothèque municipale de Carcassonne, collection d’autographes, dont la lettre du 21 février 1839.

190.

B.M. du Puy, Fonds local et régional : 11260.

191.

Mandement de carême du 27 janvier 1839 sur l’esprit de sacerdoce catholique (B. M. du Puy). La position de Mgr de Bonald peut paraître contradictoire dans la mesure où en 1834, il a déclaré à plusieurs électeurs que le candidat gouvernemental était le meilleur député qu’ils puissent nommer (A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles …, p. 32). Mais sans doute veut-il montrer aux fidèles du diocèse qu’il ne soutient pas les prêtres qui manifesteraient encore de l’hostilité à Louis-Philippe.

192.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles …, p. 33.

193.

J.B. BLANCHON, Le cardinal de Bonald …., p. 11.