2. La collaboration avec les Jésuites

Si Mgr de Bonald met toute sa confiance dans le pape, il la met également dans la compagnie de Jésus qui est au service de l’évêque de Rome et de l’Eglise. Sans doute a-t-il apprécié la formation qu’il avait reçue chez les Pères de la foi à Amiens puisque dès le début de son épiscopat au Puy, il pensa faire appel aux Jésuites pour l’éducation de la jeunesse et pour un renforcement de la christianisation des adultes de son diocèse. Dans le mandement du 10 septembre 1823, qui ordonnait des prières pour le repos de l’âme de Pie VII qui venait de mourir, l’évêque du Puy rendait hommage à la fois au pape défunt qui avait rétabli les Jésuites en France en août 1814 et à la société des Jésuites qui paraissait “avoir reçu le glorieux privilège d’être associée au triomphe ou aux infortunes de la religion de Jésus-Christ 215 ”.

Dès 1824, les Jésuites avaient été sollicités par Mgr de Bonald pour prendre la direction du Petit-Séminaire de la Chartreuse 216 . L’année suivante, l’évêque revint à la charge en expliquant au Père Général les raisons de l’attachement de son diocèse à la compagnie. Saint François Régis qui avait été jésuite à l’âge de 19 ans avait évangélisé le Velay au XVIIe siècle et de toute façon, la compagnie de Jésus était désirée à la fois par lui-même et “par le troupeau confié à sa sollicitude”. De plus, les vocations ne seraient pas contrariées et si de jeunes clercs (au Petit-Séminaire) “se sentent appelés à embrasser votre genre de vie, je leur donnerai toutes les facilités possibles pour suivre la voix de Dieu 217 ”. Mais la Province de France n’était pas alors en mesure d’accepter de nouvelles charges et l’évêque fut prié de bien vouloir accorder un délai. Ce furent les Ordonnances Martignac du 6 juin 1828, interdisant l’enseignement aux Jésuites et limitant à vingt mille élèves les effectifs des petits séminaires, qui permirent de satisfaire à la fois les désirs de l’évêque du Puy et des Jésuites. Ce dernier venait d’acquérir un immeuble important à Vals, près du Puy, et il avait l’intention d’y établir une communauté de missionnaires, projet plus ambitieux que celui de proposer aux Jésuites de diriger le Petit-Séminaire de la Chartreuse. Mgr de Bonald s’empressa donc de rappeler au Provincial de France les promesses anciennes 218 . Il offrait la maison et ses dépendances et proposait d’ordonner les Jésuites sans dimissoires 219 . Ainsi, en octobre 1828, trois Pères Jésuites et deux frères coadjuteurs s’installèrent dans la nouvelle résidence de Vals.

Si les craintes provoquées par la révolution de 1830 amenèrent Mgr de Bonald à proposer au supérieur de Vals d’incorporer les Jésuites de la maison au clergé diocésain et incitèrent ces derniers à suspendre la sortie des missionnaires pendant cinq mois 220 , l’alerte fut très brève car les Jésuites de Vals ne connurent pas d’attitude agressive à leur égard et les sympathies de la population leur étaient même acquises. C’est la raison pour laquelle la maison de Vals se développa rapidement avec en particulier l’installation d’un scolasticat pour les études des novices. A la fin de 1832, sept prêtres jésuites se trouvaient à Vals et au début de l’année scolaire 1833, les cours réunissaient cinquante étudiants et la communauté comptait environ soixante-dix religieux. 221 . Il faut dire que la maison de Vals devenait le refuge des Jésuites étrangers : des théologiens venaient de Brigue et Fribourg en Suisse, d’autres de Madrid 222 . Aussi ne faut-il pas s’étonner si le gouvernement demanda au préfet de la Haute-Loire de surveiller l’activité des habitants de cette maison, surtout après le vote de la loi du 10 avril 1834 qui supprimait pratiquement toute liberté d’association. En 1833 et 1834, de multiples rapports furent envoyés par le préfet au ministre de l’intérieur pour rendre compte du nombre et de l’activité des Jésuites de Vals 223 . Mais il semble bien que l’administration s’inquiétait surtout du parti que pouvaient en tirer les républicains et les préfets en poste à partir de 1834 faisaient plutôt preuve de bienveillance à l’égard de la communauté de Vals dans la mesure où les Jésuites s’enfermaient dans les limites de leur ministère spirituel 224 .

L’activité des Jésuites de Vals était particulièrement importante et ne pouvait que combler les vœux de l’évêque du Puy. Le scolasticat était une véritable maison de hautes études ecclésiastiques et les scolastiques allaient deux à deux, les dimanches et jours de repos, faire le catéchisme aux enfants, dans les écoles, les églises et dans les villages dans le cadre des “Assemblées” où à cette occasion, ils collaboraient avec les Béates 225 . Dans ces “Assemblées” qui avaient lieu le dimanche après-midi, hommes, femmes et jeunes filles occupaient chacun leur place et devant les deux scolastiques assis à une table se tenaient les enfants surveillés par la Béate. Chapelet, cantique, récitation du catéchisme et exhortation aux grandes personnes se succédaient pendant trois quarts d’heure. Les scolastiques visitaient aussi des hôpitaux, des prisons et quêtaient pour aider les populations bloquées par les neiges. Les Jésuites prêchaient surtout des missions dans les paroisses du diocèse où ils avaient pratiquement le monopole de la prédication et la maison de Vals donnait chaque année dix, douze et jusqu’à quinze missions 226 . Les Jésuites de Vals prêchaient également des retraites sacerdotales et organisaient des congrégations mariales d’hommes et de femmes au Puy : ainsi, le Père de Bussy organisa pour les hommes une congrégation qui, en 1834, réunissait trois cents membres, pratiquant la communion mensuelle alors que, peu d’années auparavant, il n’y avait pas dans toute la ville plus de soixante hommes adultes à faire leurs Pâques 227 .

Mgr de Bonald devint l’ami des Jésuites de Vals où il venait ,tous les ans, faire au milieu d’eux sa retraite, partageant avec une scrupuleuse régularité les exercices de la vie commune 228 . Il allait aussi prendre quelques moments de détente avec eux à la maison de campagne de Mons qui fut mise à la disposition du scolasticat et, pour leur éviter des ennuis venant du gouvernement, il incorpora les scolastiques de la Compagnie au diocèse du Puy et présenta en 1834, la Maison de Vals comme succursale de son séminaire 229 . L’évêque du Puy fut récompensé de ses attentions en faveur de la compagnie de Jésus en devenant en 1836 une des sept personnes et le seul ecclésiastique à recevoir le diplôme de participation “à tous les biens spirituels de la Compagnie 230 ”. Lorsque Mgr de Bonald fut nommé archevêque de Lyon, les Jésuites de Vals regrettèrent un prélat qui avait été pour eux un protecteur dévoué et un ami. L’évêque du Puy leur dit également ses regrets de partir lorsqu’il vint passer vingt-quatre heures avec eux avant de quitter le Puy : “Vous savez combien j’aime et j’estime votre Compagnie. Ce que j’ai été pour vous au Puy, je le serai à Lyon … Vous me devez peut-être quelques prières 231 ”.

Sans doute Mgr de Bonald a-t-il compté sur eux au cours de son épiscopat pour l’aider à ramener les protestants de son diocèse dans le giron de l’Eglise. Examinons son attitude à l’égard de ces derniers : ont-ils été plutôt considérés comme des “frères séparés” ou comme des “hérétiques” ?

Notes
215.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles dans le diocèse du Puy pendant l’épiscopat de Maurice de Bonald (1823-1840) …, p. 40.

216.

J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France – Histoire d’un siècle – 1814-1830, T. 1, Beauchesne, 568 p., p. 479.

217.

Lettre de Mgr de Bonald du 28 février 1825, citée par J. BURNICHON (note 61) pp. 479-480.

218.

J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France, T. 1, …, p. 480.

219.

Le dimissoire était l’autorisation donnée par l’Ordinaire d’origine du candidat pour être ordonné prêtre ailleurs. J. Burnichon précise qu’aucun évêque n’avait osé faire cela auparavant.

220.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles dans le diocèse du Puy pendant l’épiscopat de Maurice de Bonald (1823-1840) …, pp. 41 et 43.

221.

J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France. Histoire d’un siècle – 1830-1845, T. 2, Beauchesne, 735 p. (p. 141).

222.

Des Jésuites français s’étaient réfugiés en Suisse à la suite de la révolution de 1830 et les Jésuites espagnols fuyaient les troubles survenus dans leur pays à la suite de la mort du roi Ferdinand VII en 1833.

223.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles dans le diocèse du Puy pendant l’épiscopat de Maurice de Bonald (1823-1840) …, pp. 41 à 43.

224.

J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France, T. 2, …, p. 146.

225.

A. RIVET, Les rapports entre autorités …, pp. 43-44. Pour le rôle des Béates, voir le début du chapitre 8.

226.

J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France, T. 2, …, p. 146.

227.

Ibid., p. 146.

228.

Idem, p. 143.

229.

Idem, p. 144.

230.

Circulaire du 20 avril 1836 du Provincial de France, le Père Renault, à ses subordonnés (J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France, T. 2, …, p. 214).

231.

Lettre du Père Valantin, du 8 juillet 1840, racontant la dernière visite et les adieux de Mgr de Bonald (J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France, T. 2 …, p. 258.