1. Défense des libertés de l’Eglise dans l’enseignement et appel aux congrégations féminines

Au cours de son épiscopat, Mgr de Bonald a accordé beaucoup d’importance à l’enseignement pour deux raisons principales : d’abord parce qu’il comprenait l’utilité des sciences : “La religion ne reconnaîtra jamais l’ignorance pour auxiliaire”, et surtout parce que la religion devait être, pensait-il, à la base de toutes les connaissances : “nous demandons que l’étude et le pratique de la Religion sanctifient et fécondent toutes les autres études”. Il justifiait cette première place accordée à l’enseignement religieux par le besoin de défendre l’Eglise et la société menacées par l’impiété. 253 .

Les ordonnances de Louis XVIII concernant l’enseignement primaire avaient accordé une grande place à l’Eglise en lui donnant un rôle de surveillance : l’ordonnance du 29 février 1816, qui prévoyait la création d’une école par commune, exigeait des maîtres un certificat de bonne conduite accordé par le curé et le maire, et prévoyait une surveillance de l’enseignement religieux par les évêques 254 . Un comité cantonal, présidé par le curé, intervenait dans la nomination et la révocation des maîtres. De plus, une circulaire du 16 mars 1819 précisait que la lettre d’obédience donnée aux religieux et religieuses par leur supérieur(e) pouvait remplacer le brevet de capacité exigé des maîtres 255 . L’ordonnance du 8 avril 1824 alla plus loin et donna à l’école primaire une direction ecclésiastique : pour les écoles vivant en partie de dotations des communes et ayant au moins cinquante élèves gratuits, le comité était présidé par l’évêque et pour les autres écoles qui représentaient la très grande majorité, l’évêque autorisait, révoquait et contrôlait seul ; même si le maître était breveté, il ne pouvait exercer sans l’autorisation de l’évêque 256 . L’évêque du Puy ne pouvait que se féliciter de ces dispositions, même si dans l’ordonnance d’application qu’il fit connaître le 20 décembre 1824, on sent poindre une crainte de critiques anticléricales : “En plaçant les écoles sous la surveillance immédiate des évêques, ce n’est pas d’un pouvoir extraordinaire que l’ordonnance du roi nous revêt, elle ne fait que rendre hommage au pouvoir que les pontifes ont reçu de Jésus-Christ de surveiller l’enseignement religieux et de conserver avec fidélité le dépôt sacré de la foi 257 ”. En tout cas, Mgr de Bonald veut que ses curés deviennent des inspecteurs en s’assurant que les enfants reçoivent de leurs maîtres une connaissance exacte de la religion, en vérifiant les livres, les cahiers, en “demandant si l’instituteur fréquente nos temples, s’il observe les lois de l’Eglise, s’il s’approche des sacrements102”.

L’ordonnance de Charles X du 21 avril 1828 remit en question le contrôle des écoles primaires par les évêques et rétablit les dispositions de l’ordonnance de 1816 en redonnant ses anciens pouvoirs au recteur 258 . Les religieux et les religieuses enseignants conservaient leurs privilèges mais Mgr de Bonald protesta énergiquement contre ces changements d’autant plus qu’il était irrité par les accusations faites à l’épiscopat de “violer les lois du royaume et de conspirer contre les libertés publiques”. Il demanda à son clergé de continuer à observer son ordonnance du 2 décembre 1824 pour ce qui concernait les visites des écoles et la surveillance à exercer sur toutes les parties de l’enseignement primaire 259 . L’évêque du Puy trouvait d’autre part, humiliante pour les évêques, la remise en cause de leur rôle dans les écoles, mais le ministre de la justice, irrité de son audace, ordonna au procureur général à Riom de poursuivre Mgr de Bonald ; toutefois, le procureur ne donna pas suite à cet ordre. Peu de temps après, l’évêque trouva un nouveau motif de protestation avec l’ordonnance du 16 juin 1828 contre les Jésuites, et qui limitait le nombre des élèves des écoles secondaires ecclésiastiques. Il fut un des premiers signataires du mémoire du premier août 1828, présenté au roi par l’archevêque de Toulouse au nom de l’épiscopat français et qui suppliait Charles X de modifier les ordonnances au nom des droits de l’Eglise et de sa mission divine 260 . Dès le début de son épiscopat, Mgr de Bonald avait montré le même zèle pour que l’Eglise contrôle l’instruction secondaire : les collèges du Puy et de Brioude étaient devenus mixtes, c’est à dire moitié universitaires, moitié ecclésiastiques, dirigés par un principal ecclésiastique et des professeurs en majorité ecclésiastiques 261 . Mais, après 1830, les collèges eurent à nouveau un personnel à majorité laïque. Dans un premier temps, l’évêque du Puy manifesta son mécontentement en ne nommant pas d’aumônier au collège du Puy avant 1832. Il était aussi contrarié par les conséquences de la réaction anticléricale pour l’enseignement primaire à la suite du changement de régime politique : les autorités locales refusaient ou diminuaient les subventions aux écoles tenues par les congrégations 262 .

Toutefois, Mgr de Bonald devint par la suite plus conciliant avec le nouveau gouvernement comme on l’a vu précédemment, et il ne condamna pas la loi Guizot de 1833 sur l’enseignement primaire. Ce dernier, d’ailleurs, voulait fonder l’instruction primaire sur l’action unie de l’Eglise et de l’Etat, même si le maire remplaçait le curé à la présidence du comité local de surveillance 263 . Dans la circulaire à ses curés du 27 février 1834, l’évêque du Puy insista pour que ces derniers soient bien présents aux séances des comités communaux et d’arrondissement, prévus par la loi Guizot 264 . De plus, il engagea ses curés à profiter de la disposition de la loi qui autorisait les écoles privées, pour en établir dans leurs paroisses et y appeler les instituteurs qu’ils jugeraient capables et qui auraient les qualités exigées par la loi ; ainsi, disait-il, “vous montrerez aux esprits les plus prévenus que le clergé est bien loin de favoriser l’ignorance 265 ”.

Effectivement, les prêtres du diocèse facilitèrent le développement d’écoles chrétiennes et, d’ailleurs, depuis le début de l’épiscopat en 1823, l’évêque et les desservants des paroisses avaient provoqué l’ouverture ou l’extension d’un grand nombre d’écoles primaires confiées aux frères et surtout aux religieuses. Les écoles congréganistes de garçons étaient celles des Frères des Ecoles Chrétiennes et aussi celles des Frères du Sacré-Cœur du père Coindre, missionnaire des Chartreux à Lyon, dont l’évêque de Saint-Flour avait favorisé l’installation de sa congrégation, à Monistrol, juste avant l’arrivée de Mgr de Bonald 266 . Ce dernier sollicita, par la suite, l’ordonnance royale du 29 novembre 1829 qui autorisait les Frères à fournir des maîtres aux écoles primaires de la Haute-Loire 267 . A la fin de son épiscopat, les frères du Sacré-Cœur avaient huit maisons réunissant un peu plus de 700 élèves et les Frères des Ecoles Chrétiennes avaient cinq maisons réunissant 1400 élèves dans les localités les plus importantes 268 .

L’éducation chrétienne des filles était assurée, pour sa part, par un grand nombre de congrégations religieuses. Les sœurs de Saint-Joseph 269 et les “Demoiselles de l’Instruction” avaient déjà des établissements consacrés à l’enseignement primaire lorsque le diocèse retrouva un évêque. Ces dernières qui formaient les “Filles de l’Instruction”, connues sous le nom de Béates, pour les envoyer dans les villages et les hameaux, jouaient depuis le XVII e siècle un rôle majeur dans le diocèse du Puy pour l’éducation religieuse des campagnes, même si les Béates n’étaient pas une spécificité du Velay et exerçaient leur apostolat dans de nombreux départements du Massif Central 270 . Les “Demoiselles de l’Instruction du Puy”, qui devinrent en 1867 les Sœurs de l’Instruction de l’Enfant-Jésus, avaient ouvert un noviciat pour les Béates en 1820 et leur avaient donné une règle imprimée en 1834. Au milieu des années 1860, sur 1500 Béates, celles de la Haute-Loire en représentaient plus de la moitié115. L’évêque du Puy accorda son soutien aux religieuses de Saint-Joseph et aux “Demoiselles de l’Instruction” mais il fit venir aussi dans son diocèse des religieuses appartenant à d’autres congrégations.

En 1824, Mgr de Bonald proposa aux religieuses de la congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, fondée par Claudine Thévenet et le Père Coindre, d’abord installées à Monistrol, de se transférer au Puy où Claudine Thévenet, devenue mère Marie Saint-Ignace, établit en 1825 une providence près de l’église Saint-Laurent 271 , qui eut pour aumônier l’abbé de Serres, neveu de Mgr de Bonald. Ce dernier voulait aussi que mère Marie Saint-Ignace fonde un pensionnat pour les jeunes filles de classes aisées. En 1834, il fit venir les Filles de la Charité pour prendre en charge la providence de Saint-Laurent, alors que les religieuses de Claudine Thévenet continuaient à diriger un pensionnat florissant dans la même paroisse 272 . L’évêque du Puy se préoccupa également des brebis égarées de son troupeau en autorisant en 1836 les religieuses du Bon Pasteur d’Angers à ouvrir au Puy une maison de refuge de pénitentes ; il adressa à son clergé, le 8 septembre 1837, une circulaire pour lui recommander cette maison qui, ne pouvant accueillir que quarante pénitentes, avait besoin d’être agrandie 273  ; de plus, le travail de ces pénitentes suffisait à peine à leur entretien. Mgr de Bonald accordait une grande importance à ce refuge puisqu’il en avait déjà parlé à ses prêtres au cours de leur retraite pastorale et qu’il s’adressa à nouveau à eux en août 1838 pour solliciter la charité de leurs paroissiens 274 . Il fit venir aussi dans son diocèse les religieuses de la Présentation de Bourg Saint-Andéol, dans l’Ardèche, pour l’enseignement des jeunes sourdes-muettes 275 .

Finalement, les jeunes filles du diocèse du Puy bénéficiaient d’un solide encadrement de Béates et de religieuses pour leur éducation et leur instruction : au début des années 1830, les congrégations de femmes contrôlaient une cinquantaine d’établissements d’enseignantes et une quarantaine d’établissements d’enseignantes et hospitalières à la fois ; ces établissements avaient au total près de 3000 élèves 276 . Mgr de Bonald avait bien conscience “des avantages immenses qui résultaient pour l’éducation des jeunes personnes du sexe, du grand nombre de maîtresses d’écoles répandues dans les campagnes” 277 . Aussi souhaitait-il les étendre pour les jeunes garçons et pour cela former des instituteurs qui “après avoir acquis des connaissances suffisantes par un long noviciat, viendraient s’établir dans toutes les paroisses122”. Pour cela, il avait besoin de la charité des fidèles de son diocèse, comme il en eut besoin pour les autres formes de pauvreté rencontrées dans le monde du travail.

Notes
253.

Lettre pastorale de carême du 10 février 1827 (A.D. Haute-Loire). Mgr de Bonald est revenu avec insistance sur le lien nécessaire entre science et religion dans sa lettre pastorale du 13 mars 1840 qui annonçait son départ du diocèse du Puy : “L’oubli des devoirs de la religion, encore qu’il s’alliât à des connaissances variées, ne formerait autour de vous qu’une génération de dissipateurs, de contempteurs de l’autorité paternelle … La sagesse et la pureté des mœurs facilitent l’étude des questions les plus ardues de la science et favorisent les investigations du génie” (B.M. du Puy, Fonds local et régional : 11260).

254.

Félix PONTEIL, Les Institutions de la France de 1814 à 1870, P.U.F., 1966, 491 p. (p. 126).

255.

Ibid., p. 127.

256.

Idem, pp. 127 et 128.

257.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 627.

258.

F. PONTEIL, Les Institutions de la France de 1814 à 1870 …, p. 128. D’après l’ordonnance de 1816, le recteur arbitre un désaccord éventuel entre le curé et le maire. De plus, le recteur et les inspecteurs d’académie inspectent les écoles.

259.

Lettre pastorale adressée à son clergé le 10 juin 1828 (A.D. Haute-Loire).

260.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 633.

261.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles dans le diocèse du Puy pendant l’épiscopat de Maurice de Bonald (1823-1840) …, pp. 82-85.

262.

Ibid., p. 59.

263.

F. PONTEIL, Les Institutions de la France …, p. 255. L’instruction primaire élémentaire telle que la définit la loi du 28 juin 1833 englobe les connaissances énumérées par l’ordonnance de 1816 en incluant nécessairement l’instruction morale et religieuse. De plus, l’instruction primaire est privée ou publique, ce qui signifie la possibilité pour les catholiques d’ouvrir des écoles (Françoise MAYEUR, Histoire générale de l’enseignement et l’éducation en France, T. III, “De la Révolution à l’école républicaine (1789-1870)”, La nouvelle librairie de France, 1981, 683 p. (pp. 316-317).

264.

H. FISQUET, La France pontificale, … p. 636. L’action des curés dans le comité d’arrondissement porta surtout sur les livres d’école et en particulier sur le livre d’instruction morale et religieuse, censuré à plusieurs reprises par l’évêque du Puy (A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques et autorités civiles …, pp. 65-67).

265.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 636.

266.

Gabriela- Maria,  R.J.M., MONTESINOS, En cette nuit-là aux Pierres Plantées, Claudine Thévenet, Mère Marie Saint-Ignace et son temps.Sa vie, son œuvre, son esprit. Traduit de l’espagnol par Marie de Jésus Breyer, R.J.M., France-Empire, 1973, 611 p. (pp. 307-312). Mgr de Bonald bénéficia aussi de l’apostolat de l’abbé Coindre après que l’évêque de Saint-Flour eût établi, sous la direction de ce dernier, le 29 septembre 1822, une maison de missionnaires à Monistrol.

267.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques…, p. 56.

268.

Idem, pp. 70-71.

269.

En 1824, elles dirigeaient 37 écoles primaires (A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques …, p. 53).

270.

M.A. ROLET et A. LANFREY, article concernant les Béates, in G. AVANZINI (dir), Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, Don Bosco, 2001, 745 p. (pp. 52-53). Nous revenons de manière plus complète sur le rôle des Béates, qui encadraient également le travail des jeunes ouvrières en dentelle, dans le chapitre 8.

271.

Janice S. Ph. D. FARNHAM, Alternative childhood : girls providences in nineteenth century – Lyon (1800-1850), dissertation, The Catholic University of America, Washington, 1989, 293 p. (p. 107). Claudine Thévenet dut attendre, à Lyon, l’arrivée de Mgr de Pins, avant de pouvoir faire approuver sa congrégation en 1825 (G. M. MONTESINOS…, pp. 326 à 331). Pour les providences fondées à Lyon par Claudine Thévenet, voir le chapitre 8.

272.

J. FARNHAM, idem, p. 107.

273.

A.D. Haute-Loire – Les religieuses de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur d’Angers, dont la congrégation fut reconnue canoniquement en 1835, ajoutaient aux trois vœux traditionnels, celui de travailler à la conversion et à l’instruction des filles et des femmes pénitentes, souvent d’anciennes prostituées. La fondatrice, Sœur Marie-Euphrasie, a donné, en 1831, à des “Madeleines” – des pénitentes repenties – la possibilité de compléter leur conversion en participant à l’apostolat de la congrégation.(Philippe ROCHER, article concernant les Sœurs du Bon Pasteur d’Angers in G. AVANZINI (dir.), Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, … p. 71).

274.

Circulaire au clergé du 8 septembre 1837 et du 8 août 1838 (A.D. Haute-Loire). L’évêque du Puy disait à ses ecclésiastiques qu’il s’agissait de “prouver à ces pécheresses qui nous précéderont peut-être dans le royaume des cieux, qu’elles aussi ont droit à toute notre sollicitude”.(Circulaire du 8 septembre 1837). Dans une lettre du 12 décembre 1837 envoyée à une bienfaitrice lyonnaise du refuge, Pauline Jaricot, l’évêque l’informait que le refuge refusait tous les jours des “demandes d’une foule de jeunes personnes égarées qui veulent revenir à Dieu”. (ADL XVII, 11, Archives des œuvres pontificales missionnaires, rue Sala à Lyon)

275.

Anonyme, Vie de son éminence le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, … p. 41. La congrégation des sœurs de la Présentation de Marie fondée par l’ardéchoise Marie Rivier en 1796, s’était mise au service de l’éducation des filles (Josiane COMTE, article concernant les Sœurs de la Présentation de Marie, in G. AVANZINI (dir), Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, … p. 534).

276.

A. RIVET, Les rapports entre autorités ecclésiastiques …,pp. 71-72. Les religieuses enseignantes en 1839 étaient réparties en une quinzaine de congrégations différentes (annuaire de la Haute-Loire de 1839).

277.

Mandement pour le carême du 3 février 1825 (A.D. Haute-Loire).