3. Les contacts de Mgr de Bonald avec l’élite catholique féminine de la bourgeoisie lyonnaise : une ouverture au monde de la Fabrique

En se préoccupant des changements qui s’opéraient dans la vie économique et sociale, alors qu’il était évêque du Puy, Mgr de Bonald ne pouvait que tourner ses regards vers la ville de Lyon, directement concernée par ces changements. D’ailleurs, si le Saint-Siège dut donner des réponses concernant le prêt à intérêt qu’on a évoqué précédemment, c’est en partie à la suite de demandes émanant de la métropole lyonnaise : en 1822, le pape Pie VII ordonna à la Congrégation du Saint-Office de faire l’examen de quelques ouvrages qui avaient paru en faveur du prêt à intérêt et cette dernière dut répondre aussi à une lyonnaise, Mlle de Saint-Marcel, qui interrogeait la Congrégation à propos du prêt à intérêt et de l’argent qu’elle devait éventuellement restituer 302 .

Dès le début de son épiscopat, l’évêque du Puy fut en contact avec des lyonnais, le père Coindre et Claudine Thévenet, qui avaient créé des providences à Lyon et qui connaissaient bien,   par conséquent, la principale activité économique de la ville, le travail de la soie, s’opérant au sein de la Fabrique. On a vu, déjà, que Mgr de Bonald avait incité Claudine Thévenet à installer au Puy une providence et un pensionnat de jeunes filles. Le 21 août 1823, l’évêque du Puy avait présidé la distribution des prix dans l’école du père Coindre et c’est là que Claudine Thévenet, devenue Mère Marie Saint-Ignace, avait pu, pour la première fois, saluer le prélat 303 . Par la suite, ce dernier présida plusieurs prises d’habit des postulantes de sa congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie et il put rencontrer leur supérieure, qui effectuait souvent le voyage entre Lyon et le Puy, au cours d’une de ces prises d’habit, en avril 1827 304 . De plus, l’année précédente, lorsque mère Marie Saint-Ignace avait eu la douleur de perdre l’abbé Coindre, qui était le supérieur ecclésiastique de sa communauté, Mgr de Bonald lui avait fait savoir qu’il prenait sa communauté au Puy sous sa spéciale protection et que lui-même désirait en être le supérieur 305 .

Dans les dernières années de son épiscopat au Puy, Mgr de Bonald a été aussi en relation avec Pauline Jaricot, fille d’un négociant en soieries lyonnais, qui fut amie de Claudine Thévenet. Ces dernières, comme l’évêque du Puy, avaient une prédilection pour le monde ouvrier. Après son rejet de la vie mondaine, en 1816, à dix-sept ans, et sa conversion à une vie ascétique, à la suite d’un sermon de l’abbé Würtz 306 , vicaire de la paroisse Saint-Nizier à Lyon, la jeune Pauline revêtit la longue robe des “canutes”, les ouvrières de la soie. Dans son enfance, elle avait vu sa mère se préoccuper du sort des gens qu’elle employait et considérer l’ouvrier comme un frère. Tout enfant, elle fut déjà l’amie de jeunes ouvrières 307 . En 1817, elle fut admise à la Congrégation des demoiselles 308 et devint une des sept associées de Claudine Thévenet dans la “Pieuse Union des Sacrés-Cœurs de Jésus” créée en 1816 sous l’impulsion de l’abbé Coindre, missionnaire des Chartreux et vicaire de la paroisse Saint-Bruno. Le but de cette association d’inspiration ignatienne était de rechristianiser la société 309 . La famille Jaricot était en relations avec la famille Thévenet : relations entre hommes d’affaires car le père de Claudine commerçait avec des “soyeux” et relations entre personnes du même quartier. Paul Jaricot, frère de Pauline, vivait avec sa femme auprès de la famille Thévenet, rue Masson et fit connaître probablement Claudine Thévenet à Pauline. Toutes deux se lièrent malgré leur différence d’âge 310 . Paul Jaricot, pour sa part, les aida financièrement dans leur entreprise en donnant cent écus pour créer un atelier et en 1820, il vendit à Claudine Thévenet une propriété qu’il possédait à Fourvière, ce qui permit le transfert de la providence qui était à l’étroit, de Pierres Plantées à Fourvière 311 .

Les lettres écrites par Mgr de Bonald à Pauline Jaricot étaient fréquemment envoyées d’abord à Mme Perrin, sa sœur, qui habitait rue Sainte-Marie au bas de l’escalier des Capucines, et qui était chargée de les lui remettre. L’évêque du Puy connaissait aussi Mme Perrin, dont les deux fils étaient Jésuites, qui ne cessa d’aider financièrement le scolasticat de Vals près du Puy et qui, en 1841, acheta une vaste propriété voisine du sanctuaire de Fourvière, pour fournir une deuxième résidence aux Jésuites 312 .

La correspondance de Mgr de Bonald avec Pauline Jaricot a trait à la fois au domaine spirituel, au domaine social avec la recherche de travail pour des ouvriers et aux problèmes des informations nécessaires au nouvel archevêque de Lyon pour aborder son archiépiscopat dans de bonnes conditions, après qu’il eût pris connaissance de sa nomination en décembre 1839. Parmi les œuvres dans lesquelles s’était impliquée Mlle Jaricot, Mgr de Bonald appréciait surtout celle de la Propagation de la Foi qu’il avait recommandée à ses fidèles dans sa lettre pastorale du 25 janvier 1837 et celle du Rosaire Vivant dont l’extension permettait l’accroissement en France de la dévotion envers la Sainte Vierge 313 . Mgr de Bonald écrivit aussi à Pauline Jaricot pour lui demander s’il était possible que des lingères de Lyon procurent du travail aux jeunes femmes du refuge du Bon Pasteur du Puy 314 , et pour lui demander d’essayer de placer une jeune fille de cette ville qui partait travailler à Lyon pour fuir les occasions dangereuses dans la capitale du Velay 315 . Pauline Jaricot trouva rapidement de l’ouvrage pour la protégée de l’évêque car, huit jours plus tard, ce dernier la remerciait 316 et devant passer à Lyon pour se rendre ensuite à Rome, il espérait “avoir l’honneur de la voir” au cours de son séjour à Lyon et, sachant qu’elle désirait aussi se rendre dans la capitale de la chrétienté, il espérait effectuer le voyage en sa compagnie 317 . Tous deux devaient assister à Rome, le 26 mai 1839, à la canonisation du bienheureux Alphonse de Liguori 318 . L’évêque du Puy avait certainement une grande confiance en la femme d’œuvre lyonnaise pour qu’il se fie à son point de vue concernant son nouveau diocèse : il lui demanda à ce sujet un maximum d’informations 319 et dans sa lettre du 27 mars 1840, il regrette qu’elle n’ait pu venir au Puy à l’occasion d’un pèlerinage à la Vierge et il lui demande d’envoyer ses notes qu’elle a évoquées dans une lettre précédente car, écrit-il, ayant reçu des lettres bien intentionnées mais énigmatiques, il a besoin d’informations claires. En tout cas, l’écriture nerveuse de ses lettres, à partir du moment où Mgr de Bonald a accepté de partir pour Lyon, montre bien que sa nouvelle tâche pastorale le rend inquiet 320 .

Le premier épiscopat de Mgr de Bonald, qui s’est effectué dans le diocèse du Puy, montre qu’il a su adapter ses obligations concordataires au service de l’Eglise. Sous la Restauration, il s’est montré un ferme appui de la cause des Bourbons, en soutenant les candidats légitimistes jusqu’à la fin du règne de Charles X. Mais l’échec de ses dernières interventions dans le domaine politique, accentué par l’arrivée d’une nouvelle dynastie l’ont amené, malgré une certaine réserve dans les premiers mois, à faire preuve de bonne volonté à l’égard du gouvernement de Louis-Philippe. Il a su, alors, comme les autres évêques, surtout après avoir vu le pape Grégoire XVI à Rome, donner à son clergé, avec détermination, des consignes de paix et de non intervention dans la vie politique d’autant plus qu’il a établi des relations très cordiales avec le préfet Mahul de 1835 à 1837. Il a donc respecté l’alliance du trône et de l’autel, mais il a su aussi défendre l’autonomie de l’autel, lorsqu’il s’est agi de garantir les libertés de l’Eglise dans l’enseignement : quand la législation était favorable au contrôle de l’enseignement par les évêques, il a demandé à ses curés de l’appliquer strictement, en surveillant l’enseignement religieux, et dans le cas contraire, il a protesté énergiquement. Les évêques, disait-il, et en premier lieu le pape, avaient reçu mission de surveiller l’enseignement religieux. L’évêque de Rome put compter sur un soutien sans faille de Mgr de Bonald, que ce soit au moment où l’évêque aida les Jésuites en difficulté à la suite de l’ordonnance de 1828 et leur permit d’installer dans son diocèse un scolasticat et une société de missionnaires, ou, lorsque, quelques années plus tard, il approuva la condamnation de Lamennais. Toutefois, si Mgr de Bonald attendait la soumission des protestants à l’autorité du pape et s’opposait à leur prosélytisme, susceptible de troubler la paix de son diocèse, il les considérait tout de même comme des frères séparés et certains d’entre eux, lui firent d’ailleurs bon accueil au cours de ses visites pastorales. L’évêque du Puy a aussi accompli la mission de l’Eglise en facilitant l’installation des congrégations, surtout féminines, qui accueillaient entre autres des orphelines et des prostituées. Par là, il montra qu’il se préoccupait de tous les types de pauvreté et qu’il souhaitait que l’Eglise soit présente dans la vie sociale. De la sorte, il noua aussi contact avec des femmes d’œuvres catholiques lyonnaises, connaissant les travailleurs des ateliers soyeux de la Fabrique, en particulier Pauline Jaricot avec laquelle il partageait la même piété mariale et la même attention pour le monde ouvrier. Finalement, l’intransigeance de Mgr de Bonald, à l’image de celle du pape Grégoire XVI, auquel il fut un des premiers évêques à rendre compte de l’administration de son diocèse, ne l’a pas empêché de porter un vif intérêt aux problèmes de la vie sociale.

Notes
302.

E. PAGES, Observations sur des circulaires des évêques du Puy et de Belley, … pp. 2 et 3. Il fut répondu à la consultante qu’on répondrait en temps opportun aux cas proposés et qu’en attendant, sans faire aucune des restitutions sur l’obligation desquelles elle consultait le Saint-Siège, elle pouvait être sacramentalement absoute par son confesseur, pourvu qu’elle fût véritablement disposée à s’en tenir à ce qui serait ordonné (p. 3).

303.

Gabriela-Maria, R.J.M., MONTESINOS, En cette nuit-là aux pierres plantées, Claudine Thévenet, … p. 323.

304.

Ibid, pp. 336 et 337.

305.

Idem, pp. 370-371. Il faut noter toutefois qu’un différend est survenu entre mère Marie Saint-Ignace et Mgr de Bonald, qui pensait faire fusionner sa congrégation avec la société du Sacré-Cœur de Madeleine-Sophie Barat. L’évêque renonça toutefois, par la suite, à son projet. (Idem,pp. 470-471).

306.

E. SAINTE-MARIE PERRIN, Pauline Jaricot, fondatrice de la société pour la Propagation de la Foi (1799-1862), De Gigord, 1926, 367 p. (pp. 52-53).

307.

Idem, pp. 22-23.

308.

J. FARNHAM, Alternative childhood : girls providences in nineteenth century – Lyon (1800-1850), … p. 76

309.

Gabriela-Maria, R.J.M., MONTESINOS, En cette nuit-là aux Pierres Plantées, Claudine Thévenet, …p. 229.

310.

Ibid, pp. 268 à 270. Claudine Thévenet, qui avait quarante-trois ans en 1817, était seulement une affiliée de la Congrégation des demoiselles.

311.

Idem, p. 276. Nous reviendrons plus longuement sur l’œuvre et l’apostolat de Pauline Jaricot dans les chapitres 7 et 11.

312.

Mgr de Bonald, alors archevêque de Lyon, avait pressé le Provincial des Jésuites de profiter de cette occasion (J. BURNICHON, La Compagnie de Jésus en France, T2, …, p. 287).

313.

Dans sa lettre à Pauline Jaricot du 9 mars 1839 (ADL XVII 11, archives des œuvres pontificales missionnaires à Lyon), il souligne la phrase où il est question de cette dévotion de même que l’œuvre de la Propagation de la Foi, deux choses, dit-il, qui doivent nous donner beaucoup d’espoir.

314.

Lettre du 12 décembre 1837 (O.P.M. : même source que précédemment).

315.

Lettre du 13 avril 1839 (O.P.M.). L’évêque lui dit qu’elle est la mieux placée à Lyon pour trouver un abri sûr à ses brebis.

316.

Lettre du 21 avril 1839 (O.P.M.).

317.

Il formule ce souhait deux fois dans sa lettre.

318.

Voir supra, la fin du I de ce chapitre et E. SAINTE-MARIE PERRIN, Pauline Jaricot, fondatrice de la société pour la Propagation de la Foi (1799-1862), … p. 173.

319.

Lettre du 29 décembre 1839 (O.P.M.).

320.

On peut lire dans sa lettre du 29 décembre 1839 : “Comme si ce n’était pas assez d’avoir à penser aux choses spirituelles de mon nouveau diocèse, il faut que je m’occupe encore de choses matérielles, de m’établir à Lyon”.