Mgr de Bonald arriva à Rome le 13 mai 1839, le jour même de la mort du cardinal Fesch, mais il ne put, à son grand regret, recevoir la dernière bénédiction de l’archevêque de Lyon 325 . Pour sa part, Mgr de Pins refusa, comme certains à Lyon le demandaient, de célébrer un service pour le cardinal défunt 326 . S’il rappelait au ministre des cultes dans une lettre du 24 mai 1839 qu’il demeurait, malgré le décès du titulaire, administrateur apostolique du diocèse, les chanoines du chapitre, de leur côté, opposés à Mgr de Pins, sous-entendaient le contraire, puisque le 18 juin, ils faisaient de lui l’administrateur capitulaire 327 . En 1839, la situation ne se présentait pas pour Mgr de Pins de la même façon qu’en 1830, lorsque Mgr Lambruschini, nonce à Paris, lui écrivit le 10 juillet que si le cardinal Fesch 328 mourrait, le diocèse devenu vacant lui reviendrait. Le gouvernement de Louis-Philippe ne pouvait nommer à Lyon un prélat qui continuait d’afficher des idées nettement légitimistes et lorsque Mgr de Pins se plaignit dans une lettre à Mgr Lambruschini, devenu secrétaire d’Etat, de l’attitude du chapitre de Lyon, ce dernier lui répondit sèchement le 8 août8. Il fallait donc un nouvel archevêque pour Lyon, d’ailleurs désigné par une ordonnance royale dès le 15 juin 1839 en la personne du cardinal d’Isoard, archevêque d’Auch 329 . Mais, avant d’analyser les événements qui se sont déroulés entre cette désignation et la nomination effective du successeur du cardinal Fesch, il nous faut évoquer la procédure habituelle de nomination des évêques, le système adopté par le régime de Juillet pour leur désignation de même que les critères de sélection retenus par ce dernier et le Saint-Siège pour les promotions épiscopales et archiépiscopales.
La procédure de nomination des évêques reste fidèle aux articles quatre et cinq du concordat de 1801 : le ministre de l’intérieur transmet au nouvel évêque l’ordonnance du roi qui le nomme ; l’intéressé donne sa réponse, puis le roi écrit au pape pour lui demander de le pourvoir du dit évêché ; cette lettre est remise au pape par l’ambassadeur du roi à Rome, avec les informations canoniques données par le ministre des affaires étrangères au représentant du Saint-Siège à Paris, qui les envoie à Rome. Après préconisation de l’élu en consistoire par le pape, l’ambassadeur transmet les bulles de nomination au ministre des affaires étrangères qui les communique au ministre de l’intérieur pour être présentées au roi en son Conseil d’Etat. Enfin paraît une ordonnance royale pour la publication de la bulle de nomination 330 . L’ensemble de la procédure se déroule pendant au moins six mois.
Comme le régime de Juillet s’est ouvert par une crise anticléricale et comme une méfiance réciproque s’est établie entre ce dernier et l’Eglise, il a fallu attendre 1834 pour que le gouvernement fixe une doctrine sûre concernant les nominations épiscopales d’autant plus que d’août 1830 à octobre 1840, le ministère des Cultes a été dirigé par onze ministres différents 331 . Le premier juillet 1834, le ministre des Cultes, Persil, adressa à tous les évêques français une circulaire les invitant à signaler les ecclésiastiques propres à assumer l’épiscopat 332 . Le gouvernement abandonnait donc ses anciennes préventions à l’égard des évêques, au moment où, d’ailleurs, l’Eglise essayait de se rapprocher du pouvoir 333 . Ce rapprochement a été facilité par l’attitude de conciliation et de prudente réserve de Mgr Garibaldi, chargé d’affaires puis internonce à Paris, à partir de 1836 334 . Dès 1836, les nominations avaient pris un si bon pli que Garibaldi demandait au secrétaire d’Etat à Rome, qu’on lui accordât désormais des facultés générales pour procéder aux informations canoniques des nouveaux élus sans être obligés de recourir chaque fois au siège 335 . Le gouvernement s’est fié de plus en plus aux jugements de Mgr Garibaldi, du moins jusqu’en 1840, lorsque, contrairement à ses souhaits, Mgr Affre a été préféré à Mgr Mathieu pour l’archevêché de Paris 336 . Cela nous amène à nous interroger sur le type d’évêque et d’archevêque souhaité d’un côté par le gouvernement de Louis-Philippe et de l’autre par le pape Grégoire XVI.
On peut noter d’abord des points communs entre les souhaits du roi et de son administration d’une part, et les souhaits des évêques et de l’Eglise d’autre part : des deux côtés, on désire avoir affaire à des administrateurs ayant fait leurs preuves et qui par ailleurs ne manifestent pas des opinions politiques ardentes 337 . Ainsi Rome ne tient pas à trouver des candidats à l’épiscopat trop favorables au légitimisme 338 et en même temps, le Saint-Siège ne souhaite pas que les futurs évêques marquent un attachement trop fervent au Régime de Juillet 339 . D’autre part, Rome a montré son hostilité aux Mennaisiens et à ceux qui étaient attachés au gallicanisme19. Bien sûr, le gouvernement et son administration préfectorale redoutent des prélats le défaut opposé, celui d’une propension aux idées ultramontaines 340 . Finalement, que ce soit pour Rome ou surtout pour Paris, qui prend l’initiative de sa nomination, l’évêque idéal sera d’abord celui qui manifeste suffisamment de piété et qui est conscient de ses devoirs religieux. Ensuite, il sera suffisamment ouvert aux réalités et à l’organisation de son diocèse 341 ; en troisième lieu, ce sera un évêque professant une certaine neutralité politique et cultivant les vertus de tolérance et de modération.
Les critères choisis pour les nominations aux archevêchés sont-ils les mêmes ? Ils ne peuvent pas être différents, mais là, le gouvernement dispose d’un élément d’appréciation supplémentaire : il peut vérifier si l’évêque susceptible d’être promu dans un archevêché a fait ses preuves à la tête de son diocèse. Mais sans doute faudrait-il mettre à part l’archevêché le plus prestigieux à la fin des années 1830, avec celui de Paris, celui de Lyon. Le roi Louis-Philippe qui, contrairement à ses prédécesseurs, a choisi des évêques plutôt dans la bourgeoisie, n’a-t-il pas dit, en 1839, qu’il voudrait “un beau nom” à Lyon 342 ?
J. BLANCHON, Le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, sa vie et ses œuvres …, p. 11.
B. BARFETY, La vie de l’Eglise de Lyon sous la Monarchie de Juillet… , p. 192.
Idem, p. 193. Les chanoines faisaient remarquer que le bref du pape Pie VIII du 28 juillet 1830 qui prorogeait les pouvoirs de Mgr de Pins n’avait pas été reconnu par le Conseil d’Etat : informations données par Mgr Garibaldi, internonce à Paris dans une lettre envoyée à Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, le 20 juillet 1839 in Paul POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi, internonce à Paris et Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, contribution à l’histoire de l’administration ecclésiastique sous la monarchie de Juillet, De Boccard, 1961, 426 p. (pp. 215-216).
Paul POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 216.
H. FISQUET, La France pontificale …, pp. 621-622.
F. PONTEIL, Les institutions de la France de 1814 à 1870 …, p. 237 et P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, pp. 39 et suivantes.
J.O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire (1802-1905) …, pp. 325 à 332.
Idem, p. 334.
Après les soulèvements populaires d’avril 1834, la secrétairerie d’Etat écrivait à Garibaldi, représentant du Saint-Siège à Paris : “Notre confiance repose entière dans les bonnes dispositions de sa Majesté et dans l’excellence du nouveau ministre des Cultes, M. Persil, qui comprend bien que pour promouvoir la subordination aux lois, le moyen le plus efficace est l’appui de la religion …” (P. POUPARD, Correspondante inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 109.
L’abbé Garibaldi avait remplacé au lendemain de 1830 Mgr Lambruschini qui avait soutenu Charles X jusqu’au bout (P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, pp. 8 à 39).
Mgr Jacques Paul MARTIN, La nonciature de Paris et les affaires ecclésiastiques de France sous le règne de Louis-Philippe (1830-1848), Beauchesne, 1949, 350 p. (p. 150).
J.O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire (1802-1905) …, pp. 250-251, 442 à 449.
P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, pp. 69 et 74 ; F. PONTEIL, Les institutions de la France de 1814 à 1870 …, pp. 237-238.
Point de vue de Mgr Garibaldi, internonce à Paris (P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 77).
J.O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire (1802-1905) …, p. 450.
P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 69.
La circulaire du ministre de l’intérieur aux évêques du 7 septembre 1839 précise que les candidats à l’épiscopat doivent avoir “l’expérience pratique qu’exigent d’eux l’esprit du monde et l’organisation du pays” (F. PONTEIL, Les institutions de la France de 1814 à 1870 …, p. 238).
J.P. MARTIN, La nonciature de Paris et les affaires ecclésiastiques de France sous le règne de Louis-Philippe (1830-1848) …, p. 160.