3. Malgré ses réticences, Mgr de Bonald accepte l’archevêché de Lyon

Mgr de Bonald, sollicité une première fois pour succéder au cardinal d’Isoard à Auch, car ce dernier était préconisé pour Lyon, refusa la proposition du ministre des cultes 369 . Après la mort du cardinal d’Isoard le 7 octobre 1839, le ministre des cultes pensa à nouveau à lui pour le siège de Lyon et informa Mgr Garibaldi qu’il avait l’intention de lui écrire. Ce dernier soutint la démarche du ministre mais l’avertit qu’il avait entendu dire que Mgr de Bonald ne quitterait pas le Puy, à moins d’un ordre du pape 370 . L’internonce décida alors d’écrire à Mgr du Puy pour l’engager à accepter. Il argumenta en soulignant à la fois les mérites de l’évêque et les inconvénients que son refus pourrait représenter pour le diocèse de Lyon, qui était de la plus grande importance ecclésiastique et qui avait besoin “d’un archevêque doué des qualités de l’évêque du Puy 371 ”. Son refus pouvait provoquer “une nomination faible … et cela lui donnerait sans doute bien des regrets51”. Mgr de Bonald répondit par une longue lettre, le 20 octobre 1839, énumérant les nombreuses raisons de son refus : sa mauvaise santé, une fortune insuffisante pour secourir les pauvres, sa répugnance aux changements des sièges, son nom qui pourrait lui susciter des difficultés car il était fils d’un homme ayant des opinions prononcées pour un certain nombre de choses. Il insistait surtout sur sa santé déficiente en précisant que la lettre qu’il venait de recevoir, à elle seule, l’avait rendu malade et qu’il n’avait pas l’énergie suffisante pour remplir un siège aussi important que celui de Lyon et supporter le fardeau de deux départements formant une population de deux cent mille âmes 372 .

Toutefois, trois jours après avoir écrit cette lettre, regrettant sans doute d’avoir opposé un refus complet, Mgr de Bonald envoya un mot à Mgr Garibaldi en précisant qu’il aurait dû ajouter à sa lettre du 20 octobre qu’il restait tout de même soumis au pape, qu’un ordre de Sa Sainteté le trouverait toujours obéissant en espérant malgré tout que le Seigneur “éloignerait de lui un calice si amer 373 ”. L’internonce, naturellement, essaya de profiter de cette ouverture : en analysant l’argumentation de l’évêque du Puy, il conclut que le climat de Lyon conviendrait mieux à sa santé que celui du Puy, déconseillé pour quelqu’un ayant la poitrine délicate ; il pensa également que l’évêque tenait à recevoir un ordre du pape pour aller à Lyon afin de justifier auprès de ses parents et de ses proches le serment qu’il devrait faire au roi Louis-Philippe 374 . Aussi, Mgr Garibaldi écrivit-il au cardinal secrétaire d’Etat le 4 novembre en affirmant : “Vous rendrez un grand service à l’Eglise de France en poussant l’affaire de M. de Bonald de toutes vos forces … Je ne pense pas que Mgr de Bonald en vienne jusqu’à demander un ordre du pape. Je crois qu’une intention suffisamment manifestée lui suffira. 375 ” Pour ce qui est de l’objection soulevée par l’évêque concernant son défaut de fortune, l’internonce pensait que de toute façon il recevrait à Lyon un fort supplément de traitement. Le gouvernement du maréchal Soult avait aussi écrit directement à l’ambassadeur de France à Rome pour qu’il parle au pape des réticences de Mgr de Bonald 376 .

Finalement, le pape Grégoire XVI écrivit à ce dernier pour “le conjurer dans le Seigneur” d’accepter Lyon 377 . Mgr Garibaldi transmit à l’évêque du Puy l’autographe pontifical, accompagné d’une lettre de sa main pour finir d’emporter son consentement : il lui faisait savoir que pape avait été très peiné en apprenant sa disposition concernant l’archevêché de Lyon et que, persuadé qu’il ferait un très grand bien à Lyon, il avait jugé à propos de lui écrire, ce qu’il ne faisait que lorsqu’il voyait que le bien de l’Eglise l’exigeait. Il ajoutait pour, éventuellement, le culpabiliser, qu’il ne voudrait pas, sans doute, “refuser au Saint-Père, au milieu de tant d’afflictions qu’il éprouvait en présence de maux si grands dont l’Eglise de Jésus-Christ était accablée en bien des endroits 378 ”. Mgr de Bonald répondit à l’internonce le 26 novembre que le “pape avait parlé et qu’il n’avait qu’à se résigner” mais il rappelait que si un jour on se plaignait de son administration du diocèse de Lyon, il faudrait se souvenir “qu’il n’avait fallu rien moins que la voix du Souverain Pontife pour l’arracher à son troupeau et que sans elle, il aurait tout refusé 379 ”. Comme le roi tenait beaucoup à voir Mgr de Bonald à Lyon, sa nomination ne tarda pas 380 . L’ordonnance royale du 4 décembre 1839 le nommait archevêque de Lyon. Il fut préconisé à Rome dans le consistoire du 27 avril 1840 et l’ordonnance royale pour la publication de la bulle de nomination parut le 13 juin 1840 381 .

Il nous faut revenir sur l’extrême réticence de Mgr de Bonald pour sa nomination à Lyon pour mieux comprendre la personnalité du nouvel archevêque. Déjà, dans sa première lettre pastorale, publiée au Puy le 18 juin 1823, il évoquait sa nouvelle tâche d’évêque avec une grande modestie : “ Pourquoi avons-nous été arraché si jeune aux humbles fonctions du saint ministère pour être plongé dans un abîme de devoirs et de dangers ? … Permettez-nous de nous attrister et de trembler devant nos nouvelles obligations 382 ”. Au cours de son épiscopat, il établit ensuite des liens étroits avec les fidèles de son diocèse puisqu’avant de les quitter, il avoua qu’il allait être obligé “d’abandonner une tente sous laquelle il aurait eu tant de consolation à vivre et à mourir 383 ”. Aussi, fut-ce un déchirement 384 pour lui de se séparer d’avec l’Eglise du Puy puisque dans sa lettre qu’il envoya le 17 décembre 1839 à l’ancien préfet de la Haute-Loire, Mahul, avec lequel il avait noué des liens d’amitié, il affirmait qu’on exigeait de lui “le sacrifice le plus grand qu’il puisse faire et qu’il quittait un diocèse auquel il était extrêmement attaché 385 ”.

Manifestement, Mgr de Bonald n’était pas ambitieux et ne tenait pas à prendre la responsabilité d’un archevêché prestigieux, puisque, sollicité à nouveau par le ministre des cultes, cette fois pour l’archevêché de Paris, après la mort de son titulaire, Mgr de Quelen, le 31 décembre 1839, il ne voulut pas accepter 386 . Certes, ce refus est logique, après celui qu’il avait manifesté concernant Lyon, d’autant plus que Mgr de Bonald ne tenait probablement pas à diriger un archevêché réclamant de lui des contacts fréquents avec le roi et son entourage. Mais il est allé jusqu’à proposer pour ce siège, au roi et aux ministres, un Jésuite, le père de Ravignan, conférencier de Notre-Dame à Paris 387 . Sans doute essayait-il de se rassurer le plus vite possible afin que ne se présente plus pour lui l’éventualité de devenir archevêque de Paris.

Bien sûr, un bon nombre d’ecclésiastiques, comme Mgr de Bonald, n’acceptait pas volontiers une promotion pour un épiscopat. Mgr Garibaldi dut lutter deux ans avec l’abbé Mioland pour le décider à accepter l’évêché d’Amiens 388 . Il en a été de même lorsque l’internonce a voulu promouvoir Mgr de Gualy, évêque de Saint-Flour à l’archevêché d’Albi en 1833 389 . Mais parfois, les ambitions des ecclésiastiques étaient plus manifestes comme ce fut le cas pour Mgr Affre, vicaire général à Paris et Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, lors de la succession de Mgr de Quelen, l’archevêque de Paris, décédé le 31 décembre 1839 390 .

En tout cas, le changement de titulaire à la tête des archevêchés les plus prestigieux, en 1840, supposait de nouveaux enjeux pour l’Eglise de France.

Notes
369.

Lettre de Mgr Garibaldi à Mgr Mathieu du 30 octobre 1839, dans laquelle l’internonce affirme que l’évêque du Puy a refusé Auch pour des motifs fort honorables d’après le ministre des cultes (P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 243).

370.

Ibid., pp. 243-244.

371.

Idem, p. 244.

372.

Lettre citée en notes par P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 245. Mgr de Bonald avait même joint un certificat médical à cette lettre.

373.

Cette lettre de Mgr de Bonald est citée également en notes par P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, pp. 245 et 246.

374.

Lettre de Mgr Garibaldi à Mgr Mathieu du 30 octobre 1839 (P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 249).

375.

Lettre de Mgr Garibaldi à Mgr Mathieu du 20 novembre 1839 (P. POUPARD, …pp. 255-256).

376.

Idem, p. 255.

377.

Lettre de Mgr Garibaldi à Mgr Mathieu du 1er décembre 1839 (P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Ma thieu …, p. 261).

378.

Lettre citée par P. POUPARD … p. 262.

379.

Lettre citée par P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 263.

380.

Lettre de Mgr Garibaldi à Mgr Mathieu du 1er décembre 1839 (P. POUPARD …, p. 263).

381.

Indications portées sur la couverture du dossier de Mgr de Bonald : A.N., F19/2531.

382.

H. FISQUET, La France pontificale …, p. 624.

383.

Lettre pastorale du 13 mars 1840 de Mgr de Bonald pour annoncer à son diocèse sa prochaine translation au siège archiépiscopal de Lyon (B.M. du Puy, Fonds local et régional : 11260).

384.

Le mot est de l’ancien préfet de la Haute-Loire, Mahul, qui écrit à l’évêque du Puy le 10 décembre pour le féliciter et l’encourager à la suite de sa nomination au siège de Lyon (Société des Lettres de l’Aveyron à Rodez – Portefeuille de Mahul – Voir la note 29 du chapitre précédent).

385.

Il fait aussi allusion dans cette lettre à des pétitions pour son maintien au Puy qui n’ont rien produit, mais qui ont créé un lien supplémentaire avec son troupeau (Société des Lettres de l’Aveyron à Rodez – Portefeuille de Mahul).

386.

Le ministre des cultes a dit à Montalembert, en passant en revue les divers candidats, que Mgr de Bonald, alors nommé à Lyon, serait sous tous les rapports le meilleur choix. (“Chronique catholique de mon temps” de Montalembert de mars 1840 in A. TRANNOY, Le romantisme politique de Montalembert avant 1843 …, p. 568).

387.

J. BURNICHON, La compagnie de Jésus en France …, T.2, p. 233. L’auteur cite une lettre du père de Ravignan où ce dernier se plaint des gens qui se mêlent de tout, dont Mgr de Bonald, et qui ont proposé l’idée de sa candidature.

388.

J.P. MARTIN, La nonciature de Paris et les affaires ecclésiastiques de France sous le règne de Louis-Philippe (1830-1848) …, p. 171.

389.

B. COMBES DE PATRIS, “Nos évêques sous Louis-Philippe”, Revue du Rouergue , avril-juin 1962, pp. 139 et 140.

390.

J.O.BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire (1802-1905) …, pp. 200 et 339 et P. POUPARD, Correspondance inédite entre Mgr Garibaldi et Mgr Mathieu …, p. 80.