Avant de partir pour l’Italie en avril 1814, le cardinal Fesch avait transféré par ordonnance tous ses pouvoirs à ses vicaires généraux, les abbés Courbon, Renaud et Bochard 622 . Le pape Pie VII accepta cette solution même après qu’il eût interdit en août 1817 toute correspondance entre ces derniers et le cardinal 623 . En dehors des Jansénistes, les vicaires généraux, en particulier l’abbé Courbon, eurent des relations difficiles avec l’abbé Besson, curé de la paroisse Saint-Nizier, à Lyon. Celui-ci avait fait imprimer, en novembre 1821, à Genève, un “Mémoire sur l’exercice actuel de la juridiction ordinaire dans le diocèse de Lyon”, dans lequel il affirmait que l’administration du diocèse par les grands vicaires de Fesch n’était pas conforme aux règles reçues dans l’Eglise. Le mois suivant, le curé Besson profita de la formation d’un ministère ultraroyaliste et de l’appui du directeur de la police générale, Franchet d’Espérey, membre de la Congrégation de Lyon, pour inciter le gouvernement, à la fin de 1823, à réclamer un administrateur apostolique pour Lyon. Le cardinal avait refusé de nouveau sa démission, la Curie romaine avait de son côté refusé de procéder à un jugement canonique mais, après la mort de Pie VII, en avril 1823, le nouveau pape, Léon XII, accepta, le 22 décembre 1823, de nommer un administrateur apostolique, Mgr de Pins, évêque de Limoges depuis février 1822 et ami du curé Besson 624 .
Mgr de Pins fut nommé archevêque in partibus d’Amasie le 3 mai 1824 et ses pouvoirs comme administrateur apostolique du diocèse de Lyon furent prorogés par le bref pontifical du 28 juillet 1830. L’abbé Courbon, maintenu dans son poste de vicaire général, mourut quelques mois plus tard et l’abbé Bochard, hostile à la nomination de Mgr de Pins se retira dans l’Ain. Il semble bien que l’archiépiscopat de Mgr de Pins ait été placé sous le signe de la maladresse et du manque d’autorité : dès son premier mandement, l’archevêque s’abstenait de prononcer le nom de Fesch et faisait remonter la prospérité du diocèse à Mgr Marbeuf, qui n’avait jamais paru dans le diocèse 625 . De plus, ses vicaires généraux Barou et surtout Cholleton et Cattet 626 , qui jouaient un rôle prépondérant au sein du conseil archiépiscopal, étaient mal perçus par une partie du clergé à l’égard duquel il faisait preuve de discrimination. Une lettre adressée à Mgr de Bonald le 9 mars 1841, signée “Les Macchabées”, et émanant d’un groupe de prêtres lyonnais, est très éclairante à ce sujet puisqu’on peut y lire : “l’autorité déchue s’est conduite envers les prêtres avec autant de cruauté que d’indignité et d’injustice. Le plus grand crime de plusieurs est de n’avoir jamais voulu reconnaître une folle et imaginaire infaillibilité dans l’administration diocésaine 627 ”. Un certain nombre de prêtres auxquels on reprochait des fautes avérées ou infondées et parmi eux des prédicateurs qui avaient acquis une notoriété, comme les abbés Cœur et Deguerry, durent quitter le diocèse 628 . Lacordaire lui-même n’échappa pas au reproche d’hérésie qu’on pourchassait au sein de l’administration diocésaine : dans une lettre à la comtesse de Varvineux du 17 mars 1839, Lacordaire fait allusion à un dîner à l’archevêché de Lyon, en présence de l’abbé Cattet, qui, trois ans auparavant, l’avait accusé dans un écrit public de 25 ou 26 hérésies et il ajoute que la direction de Mgr de Pins dans ce diocèse “dépend d’une force qu’il ne peut pas vaincre 629 ”.
Il dut être pénible pour Mgr de Pins de condamner les écrits de Lamennais car il avait été son correspondant et son ami 630 . Mais il craignit comme les autres évêques d’“être emporté par le tourbillon de ces nouvelles doctrines qui menacent de troubler et l’Eglise et l’Etat 631 ”. L’hérésie janséniste pour sa part était proche de sa fin avec la mort de son dernier prêtre éminent, en juillet 1835 632 , l’abbé Jacquemont, curé de Saint-Médard, dans la Loire. Mais, il n’en était pas de même du danger que représentait pour Mgr de Pins le prosélytisme des protestants sur lequel il attirait l’attention des curés du diocèse, comme nous avons pu le constater (voir la note 544 de ce chapitre) dans sa lettre circulaire du 22 avril 1837.
Au crédit de Mgr de Pins, on peut noter tous ses efforts pour la création, la reconstruction ou l’agrandissement des écoles secondaires ecclésiastiques qui avaient permis le renouveau des vocations à l’époque impériale. Il réussit à défendre ces écoles contre les décrets de 1828 qui en limitaient le nombre des élèves et à les faire considérer comme des écoles spéciales, officiellement destinées au recrutement des maîtrises paroissiales 633 . Mais son intransigeance et sa manière de procéder, en correspondant directement avec le Curie romaine, sans passer par l’intermédiaire du gouvernement, augmentèrent les hostilités des autorités civiles à son égard 634 . De plus, sa maladresse irrita même le Saint-Siège car il avait envoyé à deux autres archevêques la copie de sa lettre que reçut le ministre et dont la formulation lui avait été conseillée par Rome pour obtenir l’autorisation de ses petits séminaires, alors que le pape lui avait demandé la plus grande discrétion à ce sujet 635 .
Mgr de Pins a non seulement favorisé le développement des écoles secondaires ecclésiastiques dont la création du petit séminaire de Montbrison dans la Loire en 1824, mais aussi l’enseignement primaire en accompagnant le mouvement d’expansion des congrégations religieuses, en particulier féminines. La circulaire au sujet de la cessation de son administration apostolique du 1er juillet 1839 636 , adressée à son clergé, donne une liste impressionnante d’acquisitions ou d’agrandissements de propriétés pour les écoles et les sociétés de charité et une liste tout aussi significative des nouveaux établissements des congrégations religieuses. Nous aurons l’occasion d’évoquer à nouveau l’expansion surprenante des congrégations dans le diocèse, mais notons déjà, pour les quinze années d’épiscopat de Mgr de Pins, la réinstallation des Jésuites à Lyon en 1832, l’installation d’une communauté de Capucins l’année suivante, les 9 établissements nouveaux des Frères des Ecoles Chrétiennes et surtout les 136 nouveaux établissements des religieuses de Saint-Charles et de Saint-Joseph, dont près d’une centaine pour ces dernières. Ces congrégations religieuses ont essayé de s’adapter, par l’action caritative, aux transformations sociales survenues dans un diocèse où l’industrialisation a été précoce. C’est ainsi qu’elles ont multiplié, comme on le verra, providences et refuges 637 avec leurs ateliers. Ce constat nous amène à nous interroger sur la perception qu’a pu avoir Mgr de Pins de la question sociale.
Si Mgr de Pins réclame au début de son archiépiscopat, pour lui-même, une dotation substantielle de 60 000 francs afin de pouvoir secourir les 100 000 ouvriers de Lyon en cas de chômage 638 , dans son mandement de septembre 1833, il approuve, pourtant, pleinement, le rétablissement de l’ordre après la révolte des canuts de novembre 1831, remerciant la Providence divine qui “vient tout récemment encore d’ éteindre le volcan de la sédition, à l’instant même où tout allait s ‘engloutir pour nous sous les laves d’une éruption nouvelle 639 ”. Toutefois, peut-être parce que le gouvernement avait accusé certains de ses prêtres de complicité avec les insurgés lors de la deuxième révolte d’avril 1834, l’évêque a eu, par la suite, un sentiment plus net des inégalités sociales. Il est intervenu pour soutenir le vicaire de Saint-Bonaventure, accusé d’avoir fabriqué des cartouches et le curé de la Croix-Rousse qui avait célébré une messe anniversaire pour une des victimes des journées d’avril 640 . Dans son mandement de carême de 1835, il a remis en cause ceux qui étaient “si ardents dans leurs projets de vengeance et si insensibles aux besoins des malheureux … qui employaient toute leur adresse à s’enrichir 641 aux dépends de leur prochain et à le supplanter dans un emploi qui était leur unique ressource 642 ”. Puis, dans sa lettre pastorale du 28 février 1837, l’évêque a fait clairement allusion “aux milliers d’ouvriers sans travail gémissant sous le poids de la plus affreuse indigence” et il a réclamé pour eux des secours et des prières 643 . Mgr de Pins a donc pris conscience des problèmes posés par les périodes de chômage pour les ouvriers, même s’il n’évoque pas leurs conditions de travail et s’il n’envisage pas, comme Mgr de Bonald, au Puy, de demander à ses curés de collaborer avec les autorités civiles pour aider ceux qui sont dans le besoin.
Nous savons pourquoi Mgr de Pins n’est pas devenu archevêque de Lyon, à la mort du cardinal Fesch (voir le début du chapitre 3). Il en éprouva beaucoup d’amertume, malgré le Bref de décharge de son administration apostolique que le pape lui envoya le 28 avril 1840 et qui lui rappelait le bilan élogieux de ses principales réalisations à la tête du diocèse 644 . D’ailleurs, dans une lettre envoyée au cardinal Pacca à Rome le 14 mai 1840, il se plaignit des lacunes de ce Bref qui omettait, entre autres, de signaler l’action de ses missionnaires, sur les autres continents, le synode qu’il avait rassemblé en 1827 et “les dons immenses qui avaient absorbé toutes ses ressources pour des constructions dans l’intérêt du diocèse 645 .
Lorsque Mgr de Bonald a pris contact avec Mgr de Pins pour le remplacer sur le siège de Lyon, il lui a fait savoir qu’il aurait dû rester pour continuer à gouverner l’Eglise de Saint-Irénée et que seule, la volonté du pape l’avait contraint à quitter les fidèles du diocèse du Puy 646 . Toutefois, après son installation à Lyon, il dut régler quelques différends avec l’ancien administrateur : il lui écrivit de nombreuses lettres 647 pour lui demander de restituer des biens du diocèse qu’il gérait encore, ce qui ne l’empêcha pas, par la suite, de mettre les appartements de la maison des Chartreux à sa disposition.
Des hôtes de cette maison des Chartreux, il nous faut parler maintenant puisque nous allons évoquer le personnel religieux du diocèse et d’abord l’élite de son clergé pour l’apostolat, les missionnaires des Chartreux.
Lors des “cent jours”, le cardinal fit à Lyon une brève réapparition du 26 au 29 mai 1815 qui lui permit de constater la désaffection de son clergé à l’égard du régime napoléonien.
J. GADILLE, Le diocèse de Lyon …, pp. 214-215.
Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, T.6, le Lyonnais, pp. 55-56, 133. Dès mai 1823, l’évêque de Limoges avait écrit à son ami Besson qu’il ne repoussait pas la proposition qui lui était faite d’autant plus que le diocèse de Limoges lui était apparu trop étendu et difficile pour ses infirmités. (André LATREILLE, “Un épisode de l’histoire religieuse de la Restauration : la question de l’administration du diocèse de Lyon [1814-1839]”, Revue d’histoire de l’Eglise de France, T. XXX, 1944, pp. 54-93).
André Latreille, La question de l’administration du diocèse de Lyon …, p. 83.
L’abbé Cattet avait été grand vicaire de Viviers et professeur au séminaire Saint-Irénée. L’abbé Cholleton était directeur spirituel de la Congrégation et avait été directeur au séminaire Saint-Irénée. (A. LATREILLE …, p. 84)
B.M. du Puy : Fonds local et régional (réf. 11260). Le publiciste catholique, F.Z. Collombet, confirme le point de vue de ces prêtres lyonnais en écrivant dans son article intitulé “Quinze ans de l’Eglise de Lyon” en 1840, que lorsqu’il s’agissait du placement des curés et des vicaires au sein du conseil archiépiscopal, l’abbé Cholleton pratiquait le favoritisme et le népotisme (Revue du Lyonnais, T. XI, 1840, p. 497).
F.Z. COLLOMBET, “Quinze ans de l’Eglise de Lyon” , pp. 497-498 et 511. Collombet avait suivi les classes de théologie au séminaire Saint-Irénée de Lyon et connaissait le milieu ecclésiastique lyonnais. L’épuration, opérée par l’administration de Mgr de Pins dans le clergé était-elle parfois justifiée ? En tout cas, elle était bien effective puisque de 1824 à 1840, s’il y eut 847 ordinations, il y eut 415 “exeat”, sorties du diocèse acceptées par l’archevêque pour les missions mais aussi départs provoqués. (Jean SOULCIÉ, La formation des clercs au Séminaire Saint-Irénée de Lyon de 1659 à 1905, thèse de doctorat présentée devant la faculté de droit canonique de Lyon, 1955, 332 p., T. II, p. 190).
G. BEDOUELLE et C.A. MARTIN, H.D. Lacordaire, correspondance, T. I (1816-1839) …, p. 1034.
Dans une lettre à Jean de Lamennais du 31 août 1824, Mgr de Pins disait toute l’affection qu’il avait pour les deux frères [LE GUILLOU, Correspondance générale de Lamennais, T. II (1820-1824), Colin, 1971, 703 p. (p. 608)]
Commentaire de Mgr de Pins de la lettre encyclique du pape Grégoire XVI du 24 juin 1834, condamnant le livre de Lamennais, “Les Paroles d’un croyant”, envoyée à ses curés le 27 juillet 1834 (3/II/6, A.A. de Lyon).
B. BARFETY, La vie de l’Eglise de Lyon sous la monarchie de Juillet …, p. 77
Jacques GADILLE, “Mgr de Pins”, in Dictionnaire du monde religieux, T. 6, Le Lyonnais …, p. 338
A. LATREILLE, La question de l’administration du diocèse de Lyon …, p. 89. Mgr de Pins a irrité également le préfet du Rhône, en 1838, lorsqu’il l’a averti, trois jours avant la date prévue, que la translation des reliques de Saint-Exupère, que le pape avait envoyées à l’association de la Propagation de la Foi, serait l’occasion d’une procession faisant le tour de la place Bellecour. Le préfet fut d’autant plus mécontent que le déroulement de la cérémonie, le 1er décembre, fut perturbé par des incidents. (Vincent ROBERT, Les chemins de la manifestation. 1848-1914., P.U. de Lyon, 1996, 394 p. [pp. 68-69] )
Dans une lettre écrite le 23 juillet 1841 à la Grande Chartreuse où il s’était retiré et adressée au cardinal Bernetti à Rome, Mgr de Pins explique que le nonce lui a reproché d’avoir rendu publique la lettre qu’il avait reçue de Rome et que c’est depuis ces événements qu’on a trouvé une raison de le faire partir de Lyon (3., II. 11, A.A. de Lyon)
A.A. de Lyon. On peut noter que, si Mgr de Pins refusa de célébrer un service lors du décès du cardinal Fesch, il n’oublie pas , au début de cette circulaire, de reconnaître qu’il a trouvé à son arrivée “un diocèse muni de toutes les institutions fondamentales qui en assurent la prospérité spirituelle”.
Une vingtaine de providences de filles ont été créées dans le diocèse de 1824 à 1840 (voir le chapitre 8).
Lettre de Mgr de Pins à l’abbé de la Chapelle du 18 septembre 1824, citée par Bérangère DANJOU, Approche du thème de la pauvreté dans les actes épiscopaux lyonnais (1824-1893), Mémoire de maîtrise , Lyon II, 1986, 189 p. (p. 27)
Mandement du 2 septembre, pp. 16, 18-19, cité par Paul DROULERS,“ Le cardinal de Bonald et la questionouvrière à Lyon avant 1848” …, p. 282
B. BARFETY, La vie de l’Eglise de Lyon sous la monarchie de Juillet (1835-1840) …, pp. 33-34
Dans le mandement de carême de 1839, Mgr de Pins menace les riches de la colère de Dieu “qui punira éternellement leurs rapines et leur dureté envers les pauvres” : cité par B. DANJOU, Approche du thème de la pauvreté dans les actes épiscopaux lyonnais …, pp. 30-31.
pp. 4 et 6 (A. A. de Lyon). Sans doute fait-il allusion ici à la disparition de nombreux ateliers de tisseurs.
P. 3 (A.A. de Lyon)
B.M. de Lyon, Fonds Coste, 110888.
3.II.11 (A.A. de Lyon)
Lettres de Mgr de Bonald à Mgr de Pins du 9 octobre 1839 et du 12 juillet 1840 (3.II.10, A.A. de Lyon)
Lettres du 19 mai 1841, du 27 juin 1841 et du 10 janvier 1843 (3. II. 10 : A.A. de Lyon).