1. Quelle formation pour les séminaristes et le clergé ?

Evêque du Puy, Mgr de Bonald faisait comprendre à ses prêtres, en particulier quand il leur annonça le rétablissement des conférences ecclésiastiques 753 en 1827, combien l’acquisition d’une science, conforme à la doctrine de l’Eglise, avait du prix. Il leur conseillait même de consacrer leurs après-dîners à des entretiens portant sur des questions de théologie 754 . Arrivé à Lyon, l’archevêque garda le souci de solides connaissances pour son clergé et de la diffusion de bons livres pour les fidèles de son diocèse. Il bénéficia pour cela de la collaboration des deux grands éditeurs catholiques de Lyon, Périsse et Pélagaud, qui ont laissé une réputation de dévouement constant à toutes les “bonnes œuvres” 755 . Les établissements d’enseignement représentaient pour ces derniers une clientèle importante, car ils achetaient des ouvrages concernant les offices, la méditation et la vie des saints. Mgr de Bonald voulut améliorer et centraliser la distribution des bons livres en demandant à ses curés, dans une circulaire du 29 octobre 1855 756 , d’établir des liens entre les bibliothèques chrétiennes des paroisses et l’“association de la propagation des bons livres” de Lyon, qui avait beaucoup d’ouvrages dans sa bibliothèque centrale et qui possédait plusieurs dépôts dans la ville.

Lorsqu’il prit possession de son archevêché, Mgr de Bonald trouva à la tête du grand séminaire Saint-Irénée l’abbé Gardette, qui avait été appelé à prendre en main cet établissement par le cardinal Fesch, en 1812 757 . L’abbé Gardette fut remplacé dans sa fonction, à sa demande, en 1841, par l’abbé Duplay, auquel l’archevêque confia également la direction des écoles cléricales du diocèse où on enseignait le latin aux enfants avant de les envoyer dans les écoles ecclésiastiques d’enseignement secondaire 758 . Dès sa fondation, en 1659, le séminaire Saint-Irénée de Lyon fut confié aux prêtres de Saint-Sulpice, sauf le court intervalle de 1812 à 1824, provoqué par la dissolution de la société par Napoléon. Depuis 1669, le grand séminaire était installé place Croix-Paquet à la Croix-Rousse, mais la vieille maison était trop petite et insalubre et il y eut des projets de translation du séminaire à partir des années 1830. Dès son arrivée, en 1840, Mgr de Bonald envisagea plusieurs solutions et le projet définitif né en 1843, n’aboutit qu’au bout de 16 ans, en 1859, avec le transfert du séminaire sur la colline de Saint-Just, au lieu dit “les Bains Romains” 759 .

L’abbé Duplay, comme son prédécesseur, représentait le type parfait du sulpicien du XIX e siècle. Il imposa le respect de la discipline et des traditions avec des règlements qui se multiplièrent. Le conservatisme régnait dans l’établissement avec une priorité accordée à la piété sur les études. Des besoins nouveaux étaient ressentis, mais les changements étaient souvent remis en question : ainsi, l’assemblée des directeurs constate, en 1852, que “les leçons de droit canonique qu’on avait commencé à faire aux élèves de 4e année n’ont pas été continuées 760 ”. Toutefois, il y a un progrès en 1863 avec la décision de grouper toutes les questions canoniques au premier trimestre de la dernière année. Mais l’objet de cette science reste tout de même discuté. Pour ce qui est de l’Ecriture Sainte, on ne vise pas à donner un enseignement biblique complet, mais simplement à donner le goût de l’Ecriture. En 1863, un directeur a été prévu pour donner des répétitions d’hébreu aux élèves qui suivent les cours de l’Université, mais ces derniers sont peu nombreux à suivre ces cours car on ne les encourage pas à le faire 761 . A cet égard, l’archevêché est plus ouvert aux changements et plus enclin à accepter une ouverture du grand séminaire sur l’extérieur. En 1838, Mgr de Pins demanda que le séminaire envoie des élèves suivre les cours de la faculté de théologie et, Mgr de Bonald, après lui, fit de même. Au lendemain de la révolution de 1848 qui avait provoqué une interruption des cours, les directeurs espérèrent ne plus envoyer personne 762 , mais devant l’insistance de Mgr de Bonald, ils se soumirent. Ce dernier demanda aussi, en 1842, le rétablissement des thèses publiques, deux fois par an, ce qui provoqua, là aussi, la réticence des directeurs. Finalement, les thèses furent rétablies, ce qui favorisa l’émulation des élèves et leur entraînement à l’argumentation 763 . L’archevêque dut aussi tenir compte de la susceptibilité des Sulpiciens par rapport aux Chartreux de Lyon qui les concurrençaient pour l’enseignement de la philosophie et de la théologie, et attiraient les meilleurs élèves. En 1840, les directeurs de Saint-Irénée remarquaient qu’ils avaient peu de sujets talentueux, car, chaque année, “on choisit les quatre ou cinq plus forts de philosophie pour les envoyer faire leur théologie à la Maison des Missionnaires 764 ”. Le supérieur général de Saint-Sulpice à Paris, M. Carrière, fit d’ailleurs remarquer à Mgr de Bonald, peu après son accession au siège de Lyon, les inconvénients de deux cours de théologie dans son diocèse, mais l’archevêque répondit que le bien de la paix devait passer avant tout 765 . Sans doute, tenait-il essentiellement à conserver l’élite ecclésiastique que représentaient les Chartreux et espérait-il que son grand séminaire améliorerait la formation intellectuelle de ses clercs. D’ailleurs, dans le discours qu’il prononça lors de l’inauguration de son nouveau séminaire, le 21 novembre 1859, il souligna que “cette nouvelle maison était une maison d’études et que, Dieu étant le Dieu des sciences, il voulait être servi par notre application à l’étude des sciences sacrées 766 ”.

Pour ses prêtres, Mgr de Bonald souhaitait également une mise à jour de leurs connaissances. Dans son mandement sur les conférences ecclésiastiques de son diocèse du 6 avril 1844, il affirme que “si le Seigneur veut que le cœur d’un prêtre soit le sanctuaire de la justice , il veut aussi que ses lèvres soient les dépositaires de la science 767 ”. Cette science lui paraissait tout particulièrement nécessaire quand il  fallait faire face au prosélytisme des protestants. Dans une de ses lettres aux curés du diocèse du 1er novembre 1846, il donne une liste de 15 ouvrages à lire pour ses curés afin qu’ils soient plus armés pour repousser les attaques du protestantisme 768 .

Les préoccupations de Mgr de Bonald concernant la formation des ecclésiastiques, ont été confirmées par son désir de la création d’une Ecoles des Hautes Etudes. Son prédécesseur, le cardinal Fesch, avait voulu installer aux Chartreux, en dehors des prêtres missionnaires, des prêtres retraités qui finiraient “leurs jours dans l’étude des Saintes Ecritures et de la Tradition 769 ”. Mais le cardinal, dans un rapport à l’empereur du 2 avril 1806, proposait également son projet parisien d’adjoindre au chapitre de Saint-Denis une école de perfectionnement du clergé, d’application aux sciences ecclésiastiques 770 . Ce projet, qui n’eut pas de suite dans l’immédiat, fut repris par les gouvernements de Charles X et Louis-Philippe et, en 1842, le ministre des cultes adressa une lettre circulaire aux archevêques pour leur demander de lui faire connaître leurs idées sur une Ecole de Hautes Etudes. Le cardinal de Bonald répondit, pour sa part, qu’une seule maison à Paris ne suffirait pas, une autre serait nécessaire à Lyon et une troisième à Toulouse 771 . De plus, il subordonnait la création de ces maisons à l’approbation du pape et souhaitait qu’elles deviennent des facultés de théologie afin que l’Eglise puisse accorder des grades canoniques. L’Ecole des Carmes, fondée par Mgr Affre à Paris, en 1845, précéda celle de Lyon : elle comportait une division laïque préparant aux écoles du gouvernement et une division ecclésiastique qui formait des professeurs pour les petits séminaires et les collèges libres 772 .

Le concile provincial de Lyon, ouvert aux Chartreux le 30juin 1950, s’intéressa aux études supérieures du clergé comme l’avait fait le concile provincial de Paris en 1849. La lettre synodique du 1er août 1851, qui en fit le compte-rendu, annonça le projet d’établir à Lyon un collège spécial d’où “sortiront … des professeurs destinés à répandre …, avec la bonne odeur de Jésus-Christ, les principes de la saine littérature, … l’étude de toutes les sciences et de tous les beaux-arts 773 ”.Le décret concernant cette future école précise qu’il est souhaitable que les jeunes gens d’élite qui y seront envoyés “ne restent au dessous d’aucun des maîtres qui pourraient venir d’ailleurs 774 ”. La préparation de l’école a été réalisée par la société des Chartreux avec l’acquiescement du cardinal qui rencontra fréquemment l’abbé Desgeorge, supérieur de la société depuis 1856 et l’abbé Hyvrier, directeur de l’institution des Chartreux. Dans sa lettre circulaire du 30 septembre 1865 au clergé et aux fidèles de son diocèse, Mgr de Bonald affirme que le projet de Maison des Hautes Etudes pour le clergé est en bonne voie, que le premier bâtiment sortira de terre au printemps 1866 et qu’il a nommé l’abbé Thibaudier, supérieur de la nouvelle Ecole. Il ajoute que cette nouvelle institution “nous apparaît si indispensable au milieu des épreuves que traverse la société chrétienne, … que si Dieu nous accorde de donner un heureux couronnement à notre entreprise, elle sera la joie de nos dernières années 775 ”. Finalement, c’est par le mandement du 29 juin 1869 que Mgr de Bonald annonça officiellement le projet de fonder une Maison de Hautes Etudes pour le clergé 776 . Il y est rappelé que la mission de l’Eglise est de faire des saints beaucoup plus que des savants, mais aussi que l’Eglise a toujours eu des Docteurs et que le ministère ecclésiastique suppose de longues études au moment où la science aspire à devenir la reine du monde. Il est donc nécessaire de former “des hommes spéciaux” capables d’aider l’Eglise à “opposer une barrière infranchissable aux envahisseurs de l’erreur”. L’Ecole, établie aux Chartreux, doit “recevoir de jeunes ecclésiastiques qui désirent agrandir leurs connaissances … soit dans la théologie et le Droit canonique, soit dans les lettres et les sciences humaines 777 ”.L’Ecole ne fut ouverte qu’en 1871, après la mort de Mgr de Bonald, avec 13 élèves. Elle accueillit, de 1871 à 1891, des prêtres se préparant à la licence de lettres et de sciences. Elle s’articula, comme le souhaitait son directeur, M. Thibaudier, sur les facultés lyonnaises de l’Etat : les prêtres de l’Ecole recevaient aux Chartreux la pension, les répétitions et l’encadrement intellectuel ; ils suivaient au Palais Saint-Pierre les cours des professeurs de la faculté des lettres et des sciences 778 .

Après avoir examiné les préoccupations du cardinal à l’égard de ses séminaristes et de ses prêtres, que peut-on penser du jugement critique de Houtin le concernant ? S’il s’agit de la formation de prêtres très compétents dans les sciences sacrées ou de bons humanistes, on ne peut pas dire que les propos prêtés à Mgr de Bonald correspondent à ses décisions. Mais, sans doute Houtin veut-il dire que le cardinal ne ressent pas, pour l’Eglise, l’utilité de prêtres qui auraient des compétences scientifiques larges, non nécessaires pour défendre la Vérité. En tout cas, la réponse que Mgr de Bonald a donnée au ministre des cultes, en 1842, concernant la création d’une Ecole des Hautes Etudes, montre bien qu’il était très attaché aux libertés de l’Eglise puisqu’il demandait que cette dernière puisse accorder des grades canoniques au sein de cette école. Sa participation active à la campagne pour la liberté de l’enseignement va nous le confirmer.

Notes
753.

Mandement du 8 décembre 1827 (H. FISQUET, La France pontificale …, p. 632).

754.

Anonyme, Vie de son Eminence, le cardinal de Bonald …, pp. 48 et 67

755.

Claude SAVART, Les catholiques en France au XIX e siècle. Le témoignage du livre religieux, Beauchesne, 1985, 718 p. (p. 182).Pélagaud est imprimeur-éditeur des Annales de la Propagation de la Foi. (Richard DREVET, L’œuvre de la Propagation de la foi …, p. 254)

756.

A.A. de Lyon

757.

Voir la note 26 de ce chapitre. L’abbé Gardette était resté un an en détention pendant la Révolution dans des conditions effroyables et, à la demande de l’abbé Linsolas, en 1798, il avait présidé les débuts du petit séminaire Saint-Jodard.

758.

J.M. CHAUSSE, Vie de M. l’abbé Jean-Louis Duplay (1788-1877), prêtre de Saint-Sulpice, ancien supérieur du grand séminaire de Lyon, T. 2 , Forestier, 1887, 364 p. (pp. 79-80). Un grand nombre d’écoles cléricales furent fondées jusqu’en 1870.

759.

J. SOULCIÉ, La formation des Clercs au séminaire Saint-Irénée de Lyon de 1659 à 1905 …, T. 1, p. 22, T. 2, pp. 196-202, 247-254

760.

Ibid., T. 2 p. 269

761.

Idem, T. 2, p. 271.

762.

La réticence des directeurs du séminaire, encouragée par le supérieur de Saint-Sulpice à Paris, s’explique par deux raisons principales : d’une part, on a peur de rompre le rythme de vie du séminariste, de menacer son recueillement mais aussi, on craint que ce dernier compare l’enseignement de l’Université avec celui du séminaire qui, certes, a fait ses preuves, mais dont les méthodes sont surannées. (J. SOULCIÉ, La formation des Clercs au séminaire Saint-Irénée de Lyon de 1659 à 1905 …, T. 2, pp. 218-220 et p. 274)

763.

Idem, pp. 221-222. Un des premiers sujets de thèse concernait l’état actuel du protestantisme relativement à l’Eucharistie.

764.

Idem, p. 235.

765.

Idem, p. 235.

766.

A.N. F19 / 2531, dossier de Bonald.

767.

Anonyme, Vie de son Eminence …, p. 111.

768.

Lettre au sujet du prosélytisme que les protestants exercent dans les départements du Rhône et de la Loire, citée par MIGNE, T. 81, pp. 755-768.

769.

Lettre du cardinal Fesch au vicaire général Courbon du 18 février 1806, cité par GEORGES BABOLAT, L’Ecole Ecclésiastique des Hautes Etudes de Lyon aux Chartreux …, p. 4.

770.

Ibid., p. 4.

771.

Lettre de Mgr de Bonald au ministre des cultes du 28 octobre 1842, citée par G. BABOLAT dans l’annexe 1 de son mémoire de maîtrise, L’Ecole Ecclésiastique des Hautes Etudes de Lyon aux Chartreux.

772.

Idem, pp. 5-7. Plusieurs prêtres du diocèse de Lyon et professeurs aux Chartreux sont passés par cette école. Comme l’Ecole des Carmes, l’Ecole des Chartreux instaurera une coopération avec les facultés de l’Etat.

773.

A.A. de Lyon, 4 /II/1. Dossier 4B3 p. 16.

774.

Cité par G. BABOLAT, L’Ecole Ecclésiastique des Hautes Etudes de Lyon aux Chartreux …, p.8.

775.

A.A. de Lyon. Laurent-Paul Brac de la Perrière, avocat et président des conférences de Saint-Vincent de Paul à Lyon, le curé de Saint-Polycarpe, M. Devienne et Louis Guérin, négociant-banquier, faisaient partie du comité pour concentrer les fonds. (G. BABOLAT, L’Ecole Ecclésiastique des Hautes Etudes de Lyon aux Chartreux, p. 12)

776.

Georges BABOLAT indique que le journal de l’abbé Desgeorge, supérieur des Chartreux, permet d’affirmer que ce dernier a rédigé le mandement et que le cardinal n’y a apporté que quelques retouches

777.

A.A. de Lyon. Le mandement provoqua surtout les critiques de ceux qui pensaient que la Maison deviendrait la chose de la société des Chartreux. (G. BABOLAT …, pp. 16-19)

778.

G. BABOLAT, L’Ecole Ecclésiastique des Hautes Etudes de Lyon aux Chartreux …, pp. 3 et 31