Conclusion

Maurice de Bonald, né à Millau dans le Rouergue, deux ans avant la Révolution, reçut, dans une famille de l’ancienne noblesse, dont le père était un écrivain catholique réputé, une solide éducation chrétienne. Sa formation intellectuelle, religieuse, puis sacerdotale chez les Pères de la foi à Amiens et au séminaire Saint-Sulpice, a développé sa piété, son esprit de charité et son goût pour la prédication. Son passage chez les sulpiciens et son premier apprentissage à l’épiscopat auprès du cardinal Fesch de 1811 à 1814, ont contribué à cultiver aussi un esprit de modération et de conciliation qu’il manifestera quand il sera évêque à partir du milieu des années 1830. Par ailleurs, sa participation à Rome à l’ambassade auprès du pape Pie VII de 1814 à 1816 et sa collaboration à l’administration du diocèse de Chartres avec Mgr de Latil de 1821 à 1823 lui ont permis d’aiguiser sa perception de la défense des intérêts de l’Eglise et de parfaire sa préparation à l’épiscopat.

Mgr de Bonald était un prélat réservé et d’une grande simplicité, même s’il tenait au faste des cérémonies religieuses. Il a dirigé avec autorité son évêché du Puy de 1823 à 1839 et, devenu archevêque de Lyon en 1840, il a dû reprendre en main l’administration du diocèse à la suite des difficultés rencontrées par son prédécesseur, Mgr de Pins, auprès d’une partie du clergé. Toutefois, traumatisé pendant son enfance par les événements révolutionnaires qui l’ont séparé d’une partie de sa famille, il aura par la suite un préjugé contre ceux qui projettent des changements importants dans la société, préjugé qui nuira à des relations plus sereines avec le monde ouvrier. De plus, à cause de sa modestie et d’une santé déficiente, l’archevêque de Lyon demanda sa démission en 1851 et en 1856, l’aide d’un coadjuteur qui lui fut refusée.

Un tournant important s’est dessiné au cours de son épiscopat au Puy, à partir des années 1830 : défendant jusque là des convictions légitimistes et déconcerté par la rupture entre le trône et l’autel provoquée par la révolution de 1830, il se rallia tout de même progressivement à la monarchie de Juillet. Contrairement à son père, Louis de Bonald, il accepta de composer avec un pouvoir politique qui était parfois en désaccord avec l’Eglise. Ce changement d’attitude a été facilité par la nomination d’un nouveau président du conseil, le comte Molé, plus favorable à l’Eglise, par ses bonnes relations avec le préfet de la Haute-Loire, Mahul et par sa visite au pape Grégoire XVI, en mai 1839, qui tenait à avoir des relations sereines avec le gouvernement de Louis-Philippe. Mais Mgr de Bonald qui était ainsi un des premiers évêques à renouer avec la tradition des visites “ad limina” et qui fut un soutien fidèle à la papauté en se ralliant dès cette époque à l’idée d’infaillibilité, a été intransigeant pour la défense de la doctrine et des libertés de l’Eglise. Devenu archevêque de Lyon, il a continué le combat pour la liberté de l’enseignement en demandant la libre concurrence entre un enseignement contrôlé par l’Eglise et un enseignement contrôlé par l’Université. Par ailleurs, dans le diocèse du Puy, pourtant essentiellement rural, il a prêté attention dès les années 1830, au problème posé par la pauvreté ouvrière. C’est cette ouverture aux problèmes de la vie sociale et surtout son accommodement avec le régime de Juillet qui expliquent sa nomination sur le siège de Lyon.

Même si l’évêque du Puy était réticent pour ce nouveau ministère dans un diocèse beaucoup plus peuplé et dont la ville archiépiscopale avait connu des tensions sociales très fortes, il s’était préparé à cette nouvelle charge en nouant des relations avec de jeunes catholiques lyonnaises d’une grande piété et qui exerçaient un apostolat dans le monde ouvrier. Quand Mgr de Bonald arriva sur le siège du primat des Gaules, le catholicisme dans le diocèse montrait un visage particulièrement dynamique et ce, depuis le début du siècle : les missions de l’abbé Linsolas avaient empêché l’interruption de la vie religieuse pendant la Révolution ; le travail de réorganisation des paroisses et de réinstallation de certains ordres religieux, s’était effectué de manière efficace, comme le nouvel archevêque avait pu le constater lorsqu’il accompagnait le cardinal Fesch ; les laïcs de la Congrégation avaient restauré des œuvres anciennes et créé des œuvres nouvelles, assurant la formation religieuse des plus jeunes et la visite des plus démunis. De plus, sous l’épiscopat de Mgr de Pins, les “Chartreux de Lyon ”, dont la société avait été créée dès 1816, avaient intensifié leur œuvre de mission et de retraite alors que les congrégations religieuses s’étaient multipliées. Quant aux prêtres dont le nombre avait fortement augmenté dans la première moitié du XIXe siècle, ils s’étaient attachés, dans leur diversité, aussi bien à sanctifier leurs paroisses en imitant le curé d’Ars, nommé dans un village du diocèse voisin de Belley, qu’à faciliter la formation religieuse des enfants, en créant des congrégations religieuses enseignantes ou à améliorer l’accueil des fidèles en construisant de nouvelles églises ou, pour certains curés des villes, en fondant une nouvelle paroisse.

Mgr de Bonald poursuivit l’œuvre de son prédécesseur en essayant d’améliorer la formation de ses séminaristes et de ses prêtres : il prépara pour ces derniers, l’établissement d’une Maison de Hautes Etudes. Mais il facilita plus que Mgr de Pins, comme nous aurons l’occasion de le constater, l’ouverture du catholicisme aux réalités du monde du travail.