Deuxième partie. Un monde du travail original perturbé par l’irruption du libéralisme économique

Introduction

Mgr de Bonald a été nommé dans un diocèse où le monde du travail est marqué par sa diversité et son originalité. Cette diversité est due à la présence d’activités anciennes comme celle du travail de la soie et aussi d’activités nées de la Révolution industrielle, comme celle de l’exploitation du charbon et des industries mécaniques. Mais, les paysans occupent une place majeure parmi les actifs. Le peuplement des campagnes arrive à son maximum au cours des années 1840 et les ruraux sont souvent à la recherche d’autres ressources que l’agriculture pour vivre. Nous aurons donc à préciser toutes les formes de leur pluriactivité. De plus, comme le travail agricole est souvent complémentaire du travail industriel et comme les travailleurs de la grande industrie sont peu nombreux, il faudra s’interroger sur le sens à donner au mot “ouvrier”.

L’originalité du monde du travail dans la Loire et le Rhône est liée quant à elle, à l’irruption du libéralisme économique qui a fait augmenter les tensions sociales, en particulier dans les Fabriques de Lyon et de Saint-Etienne, les deux grands centres de l’industrie de la soie. En recherchant la réduction des coûts de production, les fabricants ont provoqué un accroissement du nombre des travailleurs parmi les femmes et les enfants et la confrontation de ces fabricants avec les chefs d’atelier, à propos du tarif, a été à l’origine de l’insurrection des canuts, à Lyon, en 1831. Le questionnement des chapitres cinq et six portera donc aussi sur l’enjeu représenté par le travail des enfants et des femmes, avec les types de travaux qui leur sont réservés et sur la façon dont l’ouvrière est perçue par la société. Il portera également sur les habitudes, les mentalités et les conditions de travail dans les principales branches d’activité, de même que sur les relations entre patrons et ouvriers. Pourquoi, à l’exception des houillères, ces relations sont-elles moins conflictuelles dans la grande industrie ? En quoi le monde de la Fabrique est-il le lieu où naissent les revendications sociales, et où se diffuse l’idéologie socialiste utopique, du Saint-Simonisme au Fouriérisme ? Il sera, par la même occasion, opportun d’analyser l’intérêt porté aux prolétaires par les écrivains et les philanthropes et de vérifier, si dans la région du nord, où le libéralisme économique transforme aussi les conditions de travail, on trouve le même type de société industrielle et si un dialogue a pu s’y instaurer entre les manufacturiers et les premiers catholiques sociaux.

Il sera en effet question, dans les deux chapitres suivants, de confronter les catholiques du diocèse de Lyon avec le monde du travail. Quel type d’œuvres a mis en place la Congrégation, pour les travailleurs de Lyon et, en particulier, une de ses membres particulièrement zélée auprès des jeunes ouvrières, Pauline Jaricot ? L’apostolat, auprès des ouvriers de la Société de Saint-Vincent de Paul était-il différent ? Il nous faudra aussi, pour mieux connaître l’emprise du catholicisme sur la population du diocèse, examiner d’une part, l’action spécifique de certains notables catholiques et parfois protestants, dans les grandes villes, en collaboration avec le clergé ; nous devrons, d’autre part, donner un aperçu de la pratique religieuse dans les paroisses en établissant des liens avec le milieu géographique et le type d’activité des paroissiens.

Enfin, nous aurons à nous interroger sur la présence effective de l’Eglise dans le monde du travail, avec une place majeure occupée par des femmes pieuses : quelle fut l’action des Béates dans les montagnes au sud du diocèse et surtout, quel fut le rôle majeur de ces jeunes citadines dans la création et la direction des providences, établissements qui éduquaient et encadraient le travail d’une jeunesse déshéritée et le plus souvent féminine ? Quels étaient les buts visés par ces établissements et pourquoi ont-ils été contestés dans le milieu ouvrier ?