Les diocèses de Cambrai et d’Arras, formant une province ecclésiastique dont l’archevêque de Cambrai était le métropolitain, correspondaient respectivement aux départements du Nord et du Pas de Calais. Plus vastes et plus peuplés que la Loire et le Rhône, ces deux départements rassemblaient environ deux millions d’habitants au milieu du XIXe siècle. 1300
Le Pas de Calais et surtout le Nord ont connu, au XIXe siècle, comme le Rhône et la Loire, un fort développement de l’industrie. Les activités, quoiqu’il ne s’agisse pas du travail de la soie, font penser à celles de la région stéphanoise, avec une croissance très rapide des villes du grand triangle textile, Lille-Roubaix-Tourcoing. 1301 Dans le Pas de Calais qui, comme le Nord, avait une agriculture riche, l’artisanat jouait un rôle essentiel et la grande industrie ne s’est véritablement développée qu’à partir du second Empire avec l’exploitation de la partie occidentale du bassin charbonnier. La partie orientale de ce bassin, située dans le département du Nord, était déjà intensivement exploitée au milieu du XIXe siècle et cette exploitation attira la sidérurgie dans le Valenciennois. La sidérurgie et les constructions mécaniques étaient aussi présentes dans la région lilloise, avec l’usine de Fives-Lille qui se spécialisera à partir du second Empire dans la construction de locomotives. Mais Lille était surtout le royaume du coton et du lin 1302 , qui s’étendait jusque dans la vallée de la Lys. Les filatures de coton se concentrèrent dès le début du XIXe siècle dans de grandes fabriques même si le tissage était encore la spécialité d’ouvriers-paysans qui travaillaient à domicile sur des métiers à bras. Tourcoing était spécialisé dans le négoce de la laine et la filature et Roubaix s’imposait surtout dans le tissage alors que la mécanisation du peignage entraînait la disparition du tissage saisonnier à la main dans les campagnes 1303 .
Comme dans la Loire et le Rhône, le libéralisme économique a accru la fortune industrielle et commerciale, même si, au moment des crises, des manufacturiers furent éliminés. Les classes populaires, pour leur part, vivaient souvent dans des conditions misérables, dont Villermé s’est fait l’écho dans son enquête de la fin des années 1830. L’ouvrage de Pierre Pierrard sur la vie ouvrière à Lille évoque également de manière suggestive les taudis lillois et l’intensification du travail des femmes et des enfants 1304 .
Nous nous attacherons surtout, afin d’établir des comparaisons significatives avec le diocèse de Lyon, à évoquer les relations entre les industriels, l’Eglise et les ouvriers. Signalons tout d’abord que des industriels lyonnais ont tissé des relations d’affaires avec le Nord qui ont débouché parfois sur de grandes amitiés et sur des alliances matrimoniales. Ainsi, Louis Isaac (1824-1899), né à Lille et envoyé à Lyon par un fabricant de tulles de cette ville et de Calais, devint un des notables les mieux considérés de Lyon et son petit-fils, Joseph, épousa une fille d’Eugène Motte, un des grands patrons du textile à Roubaix 1305 . Les femmes des industriels, dans le Nord, occupèrent une place plus importante dans les affaires que leurs homologues lyonnaises. Si, à Lyon, quelques femmes ont joué un rôle de premier plan pour assurer la pérennité de la société familiale comme la veuve de Dupasquier qui a créé la fabrique de colle de Saint-Rambert 1306 , dans le Nord, bien des veuves conservèrent la direction des affaires de longues années : à Roubaix et à Tourcoing, les épouses d’entrepreneurs trouvaient le temps entre leurs nombreuses grossesses et la satisfaction de leurs devoirs religieux d’aider leurs maris, et parfois de les remplacer 1307 .
Les enjeux posés par les conséquences du développement de la grande industrie provoquèrent une situation beaucoup plus conflictuelle dans le Nord, entre philanthropes, économistes et l’évêque de Cambrai d’une part et industriels d’autre part. En 1841, l’ouvrage de Villermé, le rapport de Loiset sur les logements insalubres à Lille 1308 , l’intervention de Villeneuve-Bargemont aboutissant à la loi réglementant le travail des enfants 1309 , prenaient à parti le régime industriel. Les patrons du Nord se sont montrés particulièrement hostiles au projet de loi, considérant que si le travail des enfants était long, il n’était pas fatigant et qu’on ne pouvait pas dissocier le travail des adultes et des enfants 1310 . Par ailleurs, ils trouvaient injuste de rendre l’industrie coupable du paupérisme ouvrier. Dans une lettre au ministre de l’agriculture de septembre 1840, le président du Conseil des prud’hommes de Lille, Derosse-Bonte, affirmait que l’introduction des machines à vapeur avait amélioré considérablement les conditions de travail et que les ouvriers oubliaient la beauté des ateliers modernes 1311 . Pour sa part, Auguste Mimerel, filateur à Roubaix, qui joua un rôle déterminant dans son milieu professionnel et dans la vie politique locale sous la monarchie de Juillet et sous le Second Empire 1312 , s’en est pris à ceux qui, sincères, mais mal informés, dont l’évêque de Cambrai, Mgr Belmas, accusaient les chefs d’industrie d’être des hommes sans justice ni charité, à l’origine d’une démoralisation ouvrière 1313 . Dans une lettre ouverte au préfet de 1841, intitulée “Paupérisme, son accroissement attribué dans une foule d’écrits à l’industrie”, Mimerel soulignait que l’industrie n’était pas à l’origine de la pauvreté, que cette dernière existait déjà avant la Révolution et qu’il était normal que les pauvres se recrutent parmi les travailleurs 1314 . Pour lui, le paupérisme dénotait non seulement une souffrance physique de l’ouvrier mais un état “où des besoins toujours surexcités n’étaient plus satisfaits” 1315 . De plus, Mimerel trouvait que les manufacturiers faisaient preuve d’humanité et de charité en fondant des hospices ou en installant des cantines pour leurs ouvriers 1316 .
Même Kolb-Bernard, notable le plus en vue du catholicisme lillois, qui se dévoua particulièrement à la cause de l’Eglise, s’éleva contre les attaques subies par le mouvement industriel, qui, pensait-il, avait fait progresser la richesse publique 1317 . Cet industriel sucrier joua un rôle aussi important au sein de la société Saint-Vincent-de-Paul, qu’il implanta à Lille en 1838 et dont il avait connu les fondateurs à Paris 1318 , que Laurent-Paul Brac de la Perrière à Lyon 1319 . Il fut non seulement à l’origine de la plupart des œuvres catholiques lilloises, conseillé par l’abbé Charles Bernard, curé de la paroisse Sainte-Catherine de Lille 1320 , mais il fut mêlé à l’action politique en étant élu à l’assemblée législative en 1849 et au corps législatif en 1859 1321 . Kolb-Bernard représentait dans le diocèse de Cambrai la meilleure référence en ce qui concerne les relations entre l’Eglise et le monde ouvrier puisque Mgr Régnier, le nouvel archevêque, lui demanda en 1851 “un rapport sur la situation morale et religieuse des classes ouvrières à Lille et sur les moyens à prendre pour l’améliorer” 1322 . Dans sa réponse, Kolb-Bernard fit un tableau sombre de la situation des ouvriers, indiqua rapidement les trois remèdes à appliquer au niveau du ministère paroissial, de l’enseignement et des œuvres , et surtout traça un programme d’action avec une organisation générale et religieuse du travail par l’association des patrons chrétiens. Il suffirait, disait-il, qu’une quinzaine de bons patrons introduisent des pratiques pieuses dans leurs maisons et qu’une élite ouvrière à la conduite irréprochable serve d’émulation dans leurs ateliers pour que toute l’industrie locale en récolte les bénéfices 1323 . Les propositions de Kolb-Bernard n’eurent pas d’effet immédiat. Si, dans l’usine de tissage des frères Scrive, dans la banlieue de Lille, on appliquait déjà un certain paternalisme chrétien, la filature Féron-Vrau, à Lille, deviendra, au début des années 1870, une véritable usine chrétienne 1324 .
Quel type de relations prévalait entre les industriels et les ouvriers ? La contestation ouvrière a-t-elle été aussi forte que dans la région lyonnaise et la région stéphanoise ? Si l’attitude des industriels vis à vis des ouvriers pouvait être variable sous le second Empire, le type du vieux patron, proche de ses ouvriers, comme Kuhlmann, à Loos, qui leur offrait chaque année un banquet, était en voie de disparition 1325 . A l’exemple du bassin houiller stéphanois, les mouvements revendicatifs des mineurs furent fréquents et donnèrent lieu à 29 grèves dans les mines du Pas de Calais sous le second Empire et à des violences à Anzin, près de Valenciennes, en 1833 et 1846 1326 . Mais dans l’industrie textile et l’industrie métallurgique, les grèves furent, semble-t-il, moins fréquentes dans le Nord et furent déclenchées surtout à la fin du second Empire 1327 .
Interrogeons-nous maintenant sur les relations entre l’Eglise et le monde ouvrier dans les diocèses de Cambrai et d’Arras après avoir évoqué rapidement les pasteurs des deux diocèses. La ville de Lille n’était pas encore le siège d’un évêché et l’archevêque de Cambrai était, au milieu des années 1850, le pasteur d’un plus grand nombre de paroisses que l’archevêque de Lyon 1328 . Sur le siège de Cambrai, Mgr Belmas et surtout Mgr Giraud se sont signalés, on l’a vu, par leurs prises de position en faveur des ouvriers d’industrie 1329 . Le diocèse d’Arras a connu, pour sa part, un épiscopat de près d’un demi-siècle, de 1802 à 1851, avec le cardinal de la Tour d’Auvergne, homme d’Ancien régime et pasteur gallican. Sous le second Empire, dans les deux diocèses, à Arras avec Mgr Parisis, ancien suffragant de Mgr de Bonald, puis avec Mgr Lequette, et à Cambrai, avec Mgr Régnier, il y eut une flambée des œuvres et de la dévotion de même qu’une amélioration du recrutement sacerdotal 1330 . Concernant l’encadrement sacerdotal, il paraît intéressant de comparer les villes de Lille et de Saint-Etienne qui, au milieu du siècle, avaient un chiffre de population comparable, autour de 70 000 habitants et qui, quelques années plus tard, ont absorbé les populations de quatre communes suburbaines. L’encadrement était meilleur à Saint-Etienne puisqu’en 1854, les 9 paroisses de la ville disposaient de 34 prêtres, alors qu’à la même date, 6 paroisses de Lille groupaient 31 prêtres 1331 . Si la paroisse la plus bourgeoise de Lille, Saint-André, n’avait que
6 200 habitants, Saint-Sauveur, la plus pauvre, en avait 18 800. Par ailleurs, une seule église fut construite à Lille, sous le second Empire, celle de Saint-Michel et dans le diocèse, une seule paroisse de mineurs, la Sentinelle, fut fondée près de Valenciennes, avant 1870 1332 .
Que pensait le clergé de ses ouailles ? Villeneuve-Bargemont signalait déjà sous la Restauration, le peu d’influence du clergé lillois sur la classe ouvrière, même si un certain nombre de prêtres était très vertueux 1333 . L’ensemble du clergé des deux diocèses, sous la monarchie de Juillet, constatait que l’industrie entraînait une régression des habitudes chrétiennes 1334 , provoquée par la difficulté des conditions d’existence. Alors qu’en 1821, l’évêque d’Arras se réjouissait de constater que la majorité des habitants de son diocèse observait religieusement les lois de l’Eglise, il n’en était plus de même en 1830 où il constatait dans les deux diocèses une faible pratique pascale masculine dans les villes, sauf en Flandre. Les visites pastorales du diocèse d’Arras, en 1842, révélaient la plupart des griefs formulés le plus souvent par le clergé, à cette époque, pour expliquer le nouveau comportement des populations. Etaient mis en cause les usines, le travail du dimanche, les mœurs dépravées ou les migrations ouvrières 1335 . Quelles étaient, au juste, les pratiques religieuses des ouvriers ? Quelles catégories d’ouvriers étaient les plus attachées à ces pratiques ? Il est difficile de répondre à ces questions, en particulier à la première et, d’ailleurs, les historiens formulent aujourd’hui des réponses qui se distinguent de celles des années 1960-1970, dans la mesure où ils relativisent plus la baisse de la pratique religieuse des ouvriers 1336 . Globalement, les ouvriers sont restés attachés aux rites de passage concernant le baptême, la première communion et les funérailles 1337 à l’église. Ils venaient aussi, généralement, en nombre important aux missions. Pour ce qui est de l’assistance à la messe, on peut distinguer des catégories d’ouvriers plus pratiquantes comme les filtiers du quartier Saint-Sauveur à Lille, établis depuis des générations de même que les ouvriers étrangers, surtout flamands, qui à Lille, comme à Roubaix et Tourcoing, trouvaient des prêtres parlant leur langue. A Roubaix, en 1870, il y avait plus de Belges que de Français et, dans certaines paroisses, les deux tiers au moins des habitants pascalisaient 1338 . Par contre, à Arras ou à Saint-Omer, dans le Pas de Calais, des traditions moins favorables à l’Eglise limitaient l’influence du clergé sur les ouvriers-artisans ou les verriers. De même, les personnes concernées par les migrations temporaires, bûcherons, militaires, marins, etc. sont souvent indifférentes ou ignorantes en matière religieuse 1339 . Les mineurs, pour leur part, ont souvent conservé les traditions du milieu rural et restent en tout cas des chrétiens festifs à l’occasion des messes de corporation 1340 . L’évêque d’Arras, Mgr Parisis, voulut développer une pastorale spécifique à destination des mineurs, en confiant, en 1863, à un vicaire de Béthune, l’abbé Condette, une aumônerie de mineurs. Ce dernier fut apprécié des ouvriers, mais ayant aidé un mineur renvoyé à la suite d’une altercation avec un contremaître, le président du conseil d’administration de la compagnie de Béthune exigea son départ 1341 .
Quelles autres actions furent conduites par le clergé et les congrégations religieuses dans le cadre d’un apostolat auprès des ouvriers ? A Arras, une expérience originale a été conduite par le vicaire de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, le Père Halluin, à partir du milieu du siècle : poursuivant les expériences d’éducation ouvrière de la conférence arrageoise de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, à ses débuts, il créa une œuvre d’orphelins apprentis qui pouvaient fréquenter un externat. Il organisa pour ces derniers des conférences, qui étaient des sortes de célébrations de la fraternité, rassemblant les anciens de la maison et les autres ouvriers de la ville 1342 . En décidant de laisser les jeunes gens travailler à l’extérieur et en s’adaptant au milieu populaire, il a choisi une stratégie comparable à celle du père Chevrier à Lyon, que nous évoquerons ultérieurement 1343 . Les 173 apprentis présents à l’externat en 1838, se préparaient à divers métiers artisanaux, de la cordonnerie à la serrurerie. A Lille, un Jésuite, le père Coeurdacier, se préoccupa également des jeunes ouvriers, en essayant, en 1857, de donner un nouvel élan 1344 à l’œuvre du patronage des jeunes ouvriers, mise en place par la Société de Saint-Vincent-de-Paul et dont il était directeur spirituel. Il rompit avec les confrères de Saint-Vincent-de-Paul, les remplaça par les Frères des Ecoles chrétiennes et le patronage des jeunes ouvriers devint l’Oeuvre de la jeunesse. Grâce à l’aide financière de la comtesse de Grandville, il installa dans l’ancien hôtel des Monnaies un patronage et une école du soir pour la jeunesse ouvrière. On y trouvait des salles de jeu, un buffet, une chapelle, des salles d’étude où enseignaient les frères. En fait, il s’agissait d’une œuvre de préservation réservée à une élite ouvrière et la démarche du père Coeurdacier était donc très différente de celle du père Halluin 1345 .
En ce qui concerne l’apostolat des congrégations religieuses féminines, on peut noter qu’à la différence du diocèse de Lyon, les jeunes filles n’étaient pas recueillies en internat dans le cadre de providences ; mais, que ce soit les carmélites de Roubaix, les sœurs bénédictines d’Estaires ou les sœurs augustines de Boulogne, toutes recevaient les jeunes filles travaillant dans les fabriques pour les instruire, en général le soir, après leur travail 1346 . A Lille, les Filles de la charité mirent en place en 1859, un ouvroir, à l’hospice Stappaert, où elles recevaient des jeunes filles de Saint-Sauveur, trop jeunes pour travailler dans les manufactures, en attendant qu’elles trouvent une place dans l’industrie 1347 .
La ville de Lille était-elle comme Lyon “la ville des bonnes œuvres” ? L’avocat Prat la saluait, en 1856, de la sorte, en mettant en valeur “le nombre de pauvres secourus”, des apprentis et des ouvriers patronnés et instruits” 1348 . Toutefois, en dehors de la Société Saint-Joseph d’Edouard Lefort, qui fut le premier à concevoir un patronage pour les ouvriers 1349 , les œuvres sociales ne se développèrent véritablement qu’après l’installation à Lille de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, en 1838. L’étude de cette société, de même que celle d’Arras, qui représentaient alors l’essentiel de l’apostolat des laïcs catholiques dans les deux préfectures de la région du Nord, permet de constater que le modèle parisien des premières conférences, donnant la priorité à la visite des pauvres, n’a pas toujours été suivi. La Société de Saint-Vincent-de-Paul implantée à Lille par Kolb-Bernard, a eu d’abord la particularité d’admettre des dames de charité qui se joignirent aux confrères 1350 , et elle mit en route un nombre d’œuvres particulièrement impressionnant. A celles qu’on retrouvait habituellement au sein des conférences, visite des pauvres à domicile, Oeuvre des militaires, Oeuvre de la Sainte-Famille 1351 , laquelle réunissait, certains dimanches, des familles pauvres à l’église, s’ajoutèrent l’Oeuvre de Saint-François Régis, facilitant le mariage des indigents, le patronage d’apprentis repris par le père Coeurdacier, un Secrétariat des pauvres et l’Oeuvre de Saint-François-Xavier 1352 , habituellement réservée aux ouvriers. Cette dernière qui, à Lyon, connut un grand succès, comme on le verra, fonctionnait dans cette ville de manière tout à fait indépendante de la Société de Saint-Vincent-de-Paul et les ouvriers y étaient plus autonomes. Or, à Lille, les confrères étaient eux-mêmes les catéchistes et les conférenciers qui instruisaient les ouvriers le premier dimanche de chaque mois. Audiganne remarquait pour sa part que “pour rester sociétaire de Saint-François-Xavier, à Lille, il fallait être déjà fort avancé dans la voie chrétienne” 1353 .
Les dirigeants de la conférence d’Arras fondée en décembre 1839 1354 prirent, pour leur part, une décision originale, en donnant la priorité à l’œuvre des ouvriers qui occupa spécialement les deux tiers des membres. Cette œuvre avait pour but de procurer aux jeunes ouvriers une formation religieuse et technique. Placés en apprentissage auprès des artisans de la ville, les jeunes gens assistent à la messe de leur paroisse, accompagnés des membres de la conférence, se retrouvent dans les locaux de l’œuvre pour des jeux, des lectures et des instructions religieuses assurées par un prêtre. Recrutés à la sortie de l’école des Frères, 109 apprentis 1355 étaient concernés en juillet 1843, âgés le plus souvent de 14 à 16 ans et originaires du prolétariat et de l’artisanat pauvre. Dans les locaux de l’œuvre furent installés aussi des ateliers pour ouvriers tailleurs et imprimeurs et un des animateurs, Lefranc, fonda, en 1848, l’imprimerie catholique qui publia le journal “La Liberté”. Mais, dès 1843, l’expansion de ce patronage des apprentis ouvriers fut combattue par le conseil général de la société et, entre 1849 et 1854, la visite des pauvres devint progressivement l’activité principale 1356 .
Dans le Nord, comme d’ailleurs dans les autres régions touchées par la croissance industrielle, des philanthropes, des économistes, des industriels et une élite catholique, se sont préoccupés du paupérisme ouvrier. Ils l’ont fait tout particulièrement pour battre en brèche les idéologies socialistes, susceptibles de nuire, pensaient-ils, aux ouvriers. Ces idéologies furent, comme nous allons le constater, particulièrement influentes dans le milieu ouvrier lyonnais.
En 1846, le Nord et le Pas de Calais étaient des départements dont la densité dépassait 100 habitants au km² et le Nord, comme le Rhône, faisait partie des trois départements français les plus densément peuplés (André ARMENGAUD, La population française au XIX e siècle, Que sais-je ?, P.U.F., 1971, 120 p. (p. 9).
Entre 1815 et 1871, les chiffres de population de Lille, Roubaix et Tourcoing sont passés respectivement de 65 000 à 116 000habitants, de 9 000 à 35 000 habitants et de 12 000 à 28 000 habitants [Henri PLATELLE,“ Unsurvol historique”, in C. DHERENT et alii ( dir.), Les pays du Nord, Bonneton, 1994, 432 p. (p. 55)].
38 filatures de coton et 78 filatures de lin faisaient travailler à la fin des années 1850 plus de 20 000 ouvriers et ouvrières. IL faut ajouter une autre spécialité lilloise, la filterie, fabrication de fil à coudre, qui, longtemps artisanale, est devenue industrielle sous le second Empire et faisait travailler plus de 5 000 ouvriers.
Henri PLATELLE, Un survol historique, in…,Les pays du Nord …, pp. 50-59.
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, pp. 79-97- et 167-178.
B. ANGLERAUD et C. PELLISSIER, Les dynasties lyonnaises …, p. 314.
Associée à son fils et à son gendre, elle fonda l’entreprise chimique Coignet.( Ibid, p .47).
Pierre POUCHAIN, Les maîtres du Nord du XIX e siècle à nos jours, Perrin, 1998, 413 p. (pp. 64, 95-96).
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 183.
On a vu que l’économiste catholique, préfet du Nord de 1828 à 1830 et député d’Hazebrouck en 1840, avait été rapporteur à la chambre des députés , de la loi concernant le travail des enfants. Villeneuve-Bargemont pensait qu’au lieu de développer sans frein l’industrie manufacturière, il aurait fallu s’occuper de l’agriculture. Il était favorable à une intervention de l’Etat, par exemple pour fixer une sorte de salaire minimum [Jean-Baptiste DUROSELLE, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870), P.U.F., 1951, 787 p. (pp. 59-71)].
André-Jean TUDESQ, Les grands notables en France (1840-1849) …, T. II, pp. 584-585. Pour ne pas rompre le rythme du travail, les employeurs de Lille ont fait ouvrir des écoles du soir et après l’échec de ces écoles, ils se sont plaints par la suite des écoles du midi établies en 1844 (Françoise MAYEUR, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, T. 3 …, p. 249).
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 183.
Auguste Mimerel (1786-1871) fut membre de la Chambre de commerce de Lille en 1837, maire de Roubaix de 1834 à 1836, conseiller général en 1839, député en 1849 et sénateur en 1852. (Pierre POUCHAIN, Les maîtres du Nord du XIX e siècle à nos jours …, pp. 102-103).
Paul DROULERS, “Le cardinal de Bonald et la question ouvrière à Lyon avant 1848” …, p. 288.
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 183.
Idées exprimées dans une lettre adressée au Conseil général des manufactures, « Du paupérisme dans ses rapports avec l’industrie en France et en Angleterre”. (André-Jean TUDESQ, Les grands notables en France (1840-1849) …, T. II, p. 568).
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 184.
Ibid., p. 183.
Idem, p. 392. Charles Kolb-Bernard (1798-1888) devint ,en 1853, président du Conseil provincial des départements du Nord et du Pas de Calais.
Pour la place qu’a tenue Brac de la Perrière dans la société Saint-Vincent-de-Paul à Lyon, voir le chapitre 7.
L’abbé Bernard, de la grande famille des raffineurs de sucre, cousin de Kolb-Bernard, anima, à la fin des années 1830, le premier patronage pour les enfants qui préparaient leur première communion, de même que les conférences Saint-Vincent-de-Paul. Il devint plus tard vicaire général de Cambrai. (Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, pp. 383-384 et 405)
Pierre POUCHAIN, Les maîtres du Nord du XIX e siècle à nos jours …, pp. 120-121.
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 404.
Ibid., p. 404. Notons que Kolb-Bernard rêvait de ressusciter les anciennes corporations dont il fit l’éloge, lors de la discussion en 1864, du projet de loi sur le droit de coalition (Pierre POUCHAIN, Les maîtres du Nord du XIX e siècle à nos jours …, p. 121).
On trouvera des indications concernant ces deux établissements dans le chapitre 10, lorsqu’il sera question de la géographie des usines-internats.
D’après un agent secret de la police à la solde du préfet, le seul lien demeurant entre les ouvriers et les patrons de Lille en 1858 était la peur du libre-échange. Pour le reste, les ouvriers étaient traitée en “chair à mécanique” par des industriels qu’ils exécraient (Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, pp. 185-186).
Yves-Marie HILAIRE, La vie religieuse des populations du diocèse d’Arras (1840-1914), thèse, Paris IV, 1976, 1542 p., T. 3, (p. 1059) et Pierre PIERRARD, L’Eglise et les ouvriers en France (1840-1940), Hachette, 1984, 600 p. (p. 123).
La plus longue grève affecta l’industrie métallurgique avec la grève des mouleurs à Lille qui, en 1866, dura un mois (Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, pp. 484-485).
Le diocèse de Cambrai, moins vaste, mais plus peuplé que ceux d’Arras et de Lyon, rassemblait, en 1855, 634 paroisses alors que celui de Lyon comptait alors 621 paroisses (Ibid., p. 371 et ordo des paroisses du diocèse de Lyon).
Voir le chapitre 3. Louis Belmas, qui était alors suffragant de l’archevêque de Paris, a été évêque de Cambrai de 1802 à 1841. Son successeur, Pierre Giraud, a été archevêque de Cambrai de 1841 à 1850.
Pierre PIERRARD (dir.), Histoire des diocèses de France. Cambrai et Lille, Beauchesne, 1978, 352 p. (p. 238). Remarquons que le cardinal Régnier n’a pas, comme son prédécesseur, stigmatisé le mépris du travailleur. Pour lui, le problème ouvrier se confondait avec celui de la pauvreté. (Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 374).
Il y avait environ un prêtre pour 2 500 habitants à Lille (un prêtre pour 4 000 habitants à Saint-Sauveur, paroisse la plus pauvre) et un prêtre pour 2 300 habitants à Saint-Etienne. (Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, pp. 371-373 et Olivier MARTIN, Un catholicisme urbain au XIX e siècle : Saint-Etienne de 1801 à 1914 …, p. 37).
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, pp. 373-374 et du même auteur, Histoire des diocèses de France. Cambrai et Lille …, p. 249.
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 375.
Yves-Marie HILAIRE, “Les ouvriers de la région du Nord devant l’Eglise catholique” (XIX e -XX e siècle) in François BEDARIDAet Jean MAITRON (dir.), Christianisme et monde ouvrier. – cahier du “mouvement social” n°1, Les éditions ouvrières, 1975, 300 p. (pp. 223-243).
Ibid., p. 223 et G. CHOLVY, Y.M. HILAIRE (dir.), Histoire religieuse de la France – Géographie XIX e -XX e siècle …pp. 53-56.
Significatives à cet égard sont les nuances d’appréciation concernant le Nord de la France entre l’article de Yves Marie HILAIRE concernant “les ouvriers de la région du Nord devant l’Eglise catholique” paru en 1975 (voir la note 1334) et les pages concernant la même région dans l’ouvrage édité en 2000 et cité précédemment (note 1335).
A Lille, avant 1870, il y eut un seul cas d’ouvrier demandant un enterrement civil (Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 364)
Ibid., p. 368 et G. CHOLVY, Y.M. HILAIRE (dir.), Histoire religieuse de la France – Géographie XIX e -XX e siècle …p. 23.
Idem (Histoire religieuse de la France – Géographie XIX e -XX e siècle …p. 22 et 53)
Yves Marie HILAIRE, La vie religieuse des populations du diocèse d’Arras (1840-1914) …, T. 3, p. 1027.
Ibid., p. 1066.
Idem, pp. 1042-1045.
Le père Chevrier s’était fixé un but plus strictement religieux en permettant à des adolescents de préparer leur première communion, mais, comme le père Halluin, il leur permettait de retrouver rapidement contact à l’extérieur avec le milieu ouvrier réel, et, en refusant de les faire travailler, il ne concurrençait pas le commerce local. Le père Halluin fut aidé dans sa tâche par les frères de Saint-Vincent-de-Paul et les pères de l’Assomption.
Les confrères de Saint-Vincent-de-Paul chargés de l’œuvre assumaient difficilement les cours du soir, ajoutés aux longues heures de présence le dimanche, et aux séances trimestrielles. En 1857, le père Coeurdacier n’avait plus que 77 patronnés (Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 406).
L’ordre à ”La Monnaie” était strict : il y était interdit de porter la blouse et de parler patois. Le père Coeurdacier voulait que l’Oeuvre de la jeunesse devînt une pépinière de contremaîtres, de chefs d’ateliers et de chefs de bureaux (Ibid., pp. 406-411).
Emile KELLER, Les Congrégations religieuses en France – Leurs œuvres et leurs services, Poulssiègue, 1880, 735 p. (pp. 130-137).
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 355.
Ibid., p. 362.
Edouard Leforf (1801-1891), libraire, trouva un local, rue Sainte-Catherine, où les jeunes ouvriers pouvaient, le dimanche, trouver des distractions saines (Idem, pp. 386-392).
Leur première présidente fut Mme Bernard-Serret, mère de l’abbé Bernard et belle-mère de Kolb-Bernard. En 1861, les 10 conférences lilloises rassemblèrent 348 membres actifs (Idem , pp. 394-396-398).
A cette œuvre furent annexées une caisse d’économie et une caisse des loyers qui recevaient l’épargne des pauvres et qui, d’après Kolb-Bernard, eurent beaucoup de succès (Idem, p. 402).
A partir d’une œuvre d’ouvriers qui rendaient visite aux malades dans la paroisse Saint-André, Kolb-Bernard l’annexa, en 1843 , à la Société de Saint-Vincent-de-Paul et en fit l’Oeuvre de Saint-François-Xavier pour l’instruction religieuse des adultes. (Idem, pp. 399-400). Notons également que la première conférence de Lille s’occupa activement du logement des ouvriers. (Jean-Baptiste DUROSELLE, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870) …, p. 181).
Pierre PIERRARD, La vie ouvrière à Lille sous le second Empire …, p. 401. Finalement, le nombre de sociétaires n’a jamais atteint 200.
Un noble, Théllier de Sars, présida la conférence de la société de Saint-Vincent-de-Paul d’Arras, depuis sa fondation jusqu’en 1857. (Yves Marie HILAIRE, La vie religieuse des populations du diocèse d’Arras (1840-1914) …, T. 1, p. 401)
La sélection des jeunes gens était assez rigoureuse puisque, de 1840 à 1843, 81 apprentis ont été renvoyés (Ibid., p. 403).
En 1854, sous l’influence du nouvel évêque Parisis, on adopta le règlement de Paris qui considérait la visite des familles comme l’œuvre principale. Deux autres conférences du diocèse d’Arras, celle de Saint-Omer et de Montreuil, fondées en 1843, suivirent la même stratégie que celle d’Arras en soutenant des écoles d’adultes fréquentées par de jeunes ouvriers et confiées aux Frères. (Idem, pp. 404-405)