3. Des socialistes susceptibles de collaborer avec les catholiques : les fouriéristes et les buchéziens

Charles Fourier (1772-1837) qui travailla une trentaine d’années à Lyon, comme courtier, chef de bureau de statistique, puis comme caissier, eut l’occasion d’analyser la société lyonnaise et la misère des canuts. Dès la publication de ses premiers écrits, on trouva les prémisses de sa doctrine : dans un article du 25 décembre 1803 du “Journal de Lyon” qui insérait une lettre adressée au ministre de la Justice par Fourier , ce dernier affirmait que la pauvreté était la principale cause des désordres sociaux, que, pour l’extirper, il fallait inventer un ordre industriel plus productif qui donnerait un minimum décent au peuple, et alors, on atteindrait l’harmonie universelle qui permettrait d ‘assouvir quantité de passions non malfaisantes 1455 . Par la suite, il publia de nombreux ouvrages 1456 , se fit remarquer par des propositions plus ou moins farfelues comme celle de décongeler les pôles et à partir de 1816, il recruta ses premiers disciples. Le principal d’entre eux, Victor Considérant (1808-1893), polytechnicien, dirigea en 1832, la revue de l’école sociétaire 1457 constituée, le “Phalanstère”, où il résumait les principales idées de Fourier, puis la nouvelle revue de l’école, “La Phalange”, à partir de 1836. Considérant exposa l’ensemble de la doctrine sociétaire dans “Destinée sociale”, publiée de 1834 à 1838 et fonda le journal quotidien “Démocratie pacifique” en 1843 1458 . Considérant et les membres de l’école sociétaire voulaient partir du constat de l’essence passionnelle de l’homme pour construire un milieu social en harmonie avec elle. Cette réhabilitation de l’être passionnel devait se réaliser en premier lieu par la reconnaissance du droit au travail entendu comme droit à la vie. Pour permettre le plein épanouissement de l’être humain, ce droit au travail devait s’exercer dans le cadre du phalanstère, sorte de petite société où les hommes s’agrègent spontanément et où ils effectuent un travail attrayant 1459 .

Cette idée de travail attrayant, de même que ces phalanstères ressemblant à des villages et aussi la garantie d’un minimum de subsistance assuré à chacun, pouvait séduire les ouvriers lyonnais. Dès 1831, le saint-simonisme et le fouriérisme 1460 étaient en concurrence à Lyon et ce dernier prit l’avantage à partir de 1833, grâce à la presse ouvrière. Si, à “L’Echo de la Fabrique”, Chastaing, directeur du journal jusqu’en mai 1833, se contenta d’approuver le principe fouriériste d’association et la garantie d’un minimum vital pour chaque sociétaire, il n’en fut pas de même pour son collaborateur, Longraire, qui fit l’éloge de Fourier et surtout pour Rivière cadet 1461 , imprimeur sur étoffes à Lyon et ami de Considérant : dans une série de neuf articles publiée d’avril à septembre 1833 et intitulée “Un disciple de Charles Fourier à ses concitoyens”, Rivière cadet s’efforça de prouver aux chefs d’atelier, lecteurs du journal, qu’il fallait “choisir entre la ruine et l’émigration de la Fabrique lyonnaise et l’organisation sociétaire 1462 ”. Rivière cadet défendit la même cause dans “La Démocratie lyonnaise”, Vidal dans “L’Harmonie”, journal à la fois catholique et fouriériste et Fabvier, un ouvrier tulliste dans la “Revue Sociale” et “L’Echo de l’Industrie”. Ce dernier journal organisa en mars 1846 une pétition aux Chambres en faveur de l’organisation du travail, demandant une enquête sur les effets de la concurrence anarchique et le moyen de lui substituer l’association des intérêts 1463 . Des années 1841 à 1848, le fouriérisme trouva aussi un soutien plus net de la part de Chastaing dans “L’Echo de la Fabrique”, puis dans “La Tribune lyonnaise” 1464 .

Les idées de Fourier furent également diffusées à Lyon par ses missionnaires, d’abord Berbrugger, qui donna des conférences dès 1833, au Palais Saint-Pierre, sur le système de colonisation agricole de Fourier, puis Considérant en 1841 et Journet, en 1847, un orateur qui était aussi poète 1465 . Considérant s’était déjà signalé à l’attention des ouvriers lyonnais, en 1836, dans une brochure intitulée “Nécessité d’une dernière débâcle politique en France” où il affirmait que la seule façon de résoudre la question sociale posée par les insurgés de 1834, était d’organiser la commune sociétaire 1466 . Au cours des conférences qu’il fit à la Faculté des Sciences, Considérant proposa la solution d’une exploitation industrielle unique pour remplacer les exploitations industrielles particulières et rivales. La propagande fouriériste porta ses fruits puisque, dès 1837, était formé à Lyon un groupe de travailleurs phalanstériens, réunissant surtout des ouvriers, présidé par Romano, ancien saint-simonien, puis par Fabvier, gérant de “L ‘Echo de l’Industrie” 1467 . Chaque année, les fouriéristes lyonnais célébraient par des banquets réunissant une centaine de personnes, les anniversaires de la naissance et de la mort de Fourier. Le fouriérisme inspira aussi, comme nous l’avons signalé précédemment, le mouvement coopératif à Lyon : des boulangeries sociétaires livrèrent du pain à deux centimes au-dessous du tarif. D’autre part, il y eut des tentatives des disciples lyonnais pour établir en Algérie et en Amérique des colonies sociétaires 1468 .

Finalement, le groupe des phalanstériens lyonnais était le plus important et le plus dynamique des groupes de province : une multitude de brochures exposait le système fouriériste dans la ville où les librairies sociétaires étaient nombreuses. “Démocratie pacifique” comptait plus de souscripteurs dans le Rhône que partout ailleurs en province 1469 . Le fouriérisme était aussi implanté dans la Loire où, à Saint-Etienne, les 46 bourgeois phalanstériens avaient sans doute plus d’influence que leurs 332 homologues parisiens 1470 . Lorsque Considérant est venu à Saint-Etienne en février 1841, “Le Journal de Saint-Etienne”, dont un des rédacteurs, Tamisier, avait connu personnellement Fourier, a commenté longuement son passage 1471 . La même année, les passementiers de la ville qui ont tenté de créer une coopérative de production d’inspiration buchézienne 1472 , ont tout de même prévu quelques réalisations s’inspirant de l’école sociétaire 1473 .

Si le journal catholique “La gazette de Lyon” ne ménage pas les fouriéristes en les accusant de prêcher la religion de la matière 1474 , ces derniers vont, à partir de 1840, faire un effort de conciliation vis à vis des catholiques. Fourier, qui se considérait comme le “postcurseur” de Jésus, refusait le sacrifice, le péché et réduisait le mal à une erreur de calcul ou d’organisation 1475 . Considérant, pour sa part, évoquait dans un article de “La Phalange”, en 1837, la “nullité sociale de l’Evangile” 1476 . Toutefois, quelques points communs pouvaient rapprocher le fouriérisme et le catholicisme : la recherche de solutions pacifiques aux conflits et la recherche de l’unité et de l’harmonie. A ce dernier titre, la philosophie du lyonnais Ballanche pouvait permettre une certaine réconciliation entre le fouriérisme et le christianisme. Mais les efforts de rapprochement des fouriéristes vis à vis des catholiques ont été probablement réalisés, en partie, pour des raisons de propagande. On se mit à chercher dans les évangiles une caution ou une inspiration pour la création du Nouveau Monde et les fouriéristes applaudissaient quand l’épiscopat bénissait chemins de fer et machines à vapeur 1477 . Les lettres pastorales ainsi que les mandements des évêques donnaient lieu à des études copieuses 1478 et après l’avènement de Pie IX, “Démocratie pacifique” fut enthousiaste car elle affectait de voir en Pie IX l’homme qui briserait l’esprit réactionnaire des prélats 1479 .

En tout cas, des catholiques, et parmi eux, des prêtres, devinrent fouriéristes, de même que des fouriéristes se convertirent au catholicisme 1480 . Le Breton Louis Rousseau (1787-1856) illustre parfaitement ces catholiques qui se sont trouvés au point de convergence entre l’école sociétaire et la foi catholique. Tour à tour saint-simonien et fouriériste, au début des années 1830, puis de retour dans le giron de l’Eglise, tout en préconisant des projets d’inspiration fouriériste 1481 , il collabora à “L’Université Catholique” 1482 et publia des articles dans l’“Univers”, journal fondé par l’abbé Migne en 1833. La publication des articles de Rousseau, exposant la thèse des fouriéristes dans l’“Univers” provoqua un certain scandale dans les milieux catholiques. Le journal qui, au départ, voulait prémunir les lecteurs d’une synthèse hasardeuse entre catholicisme et fouriérisme, eut tout de même la satisfaction de recevoir une lettre d’approbation de la part d’un des ecclésiastiques les plus distingués de la ville de Lyon dont il publia un extrait le 25 septembre 1841 :“Membre du congrès scientifique 1483 et témoin des lectures faites dans les réunions assez nombreuses, de vos feuilletons sur Fourier, je puis vous assurer qu’ils nous ont été de la plus grande utilité” 1484 . Ce prêtre qui assiste aux lectures publiques au cours desquelles on présente des articles de Louis Rousseau concernant le fouriérisme, est probablement l’abbé Tranchant, qui rencontra trois ans plus tard Flora Tristan, à Lyon. En rupture de ban avec l’Eglise catholique, il vivait dans une pension de famille à Paris 1485 et séjourna à Lyon au début des années 1840 où il fréquentait le milieu fouriériste et où il avait trouvé refuge à la pension du collège du Perron, à Oullins, dirigé par des prêtres libéraux 1486 . Flora Tristan qui, pour éviter la police, rencontrait l’abbé Tranchant dans des maisons tierces, à Lyon, espérait que ce “jeune prêtre, un vrai socialiste”, et qui l’assurait qu’il pourrait lui faire connaître une dizaine d’ecclésiastiques aussi avancés que lui, demanderait une souscription pour son ouvrage “l’Union ouvrière”. Mais il n’osa le faire et la militante socialiste en conclut que sa foi au progrès n’était pas sincère et que les hommes comme lui ne pouvaient rien faire car ils étaient obligés de rester dans le dogme, ennemi de tout progrès 1487 .

Parmi les catholiques de la région, on peut signaler aussi le docteur Guyard, à Roanne, qui fonda en 1844 “Le Progrès de la Loire”, de tendance fouriériste. Intéressé par “l’Union ouvrière” de Flora Tristan, il fit venir cette dernière à Roanne 1488 . La propagande fouriériste attirait également des lyonnaises dans les sociétés phalanstériennes qui, lors des banquets annuels, appelaient de leurs vœux le jour où la femme, “cette esclave dont on sent la chaîne sous les fleurs qui la cachent, reconquerra ses droits sacrés dans la grande famille humaine 1489 ”. En effet, Fourier avait dénoncé le mariage comme un système de propriété dans lequel la femme était considérée comme une marchandise 1490 .

Buchez, inspirateur d’un socialisme chrétien également influent dans la région lyonnaise, dénonça aussi le sort réservé aux femmes dans la société française. Mais sa position de même que celle des buchéziens vis à vis de l’Eglise catholique ont été sensiblement différentes de celle des fouriéristes. Philippe Buchez (1796-1865) fut d’abord saint-simonien mais il contesta le panthéisme d’Enfantin et après la révolution de 1830, il créa sa propre école. Il basait son système sur l’association ouvrière, susceptible d’assurer le progrès social, c’est à dire la réalisation des principes chrétiens de fraternité et de charité 1491 . En effet, la fraternité prônée dans l’évangile devait conduire à la justice sociale, réalisée grâce à la suppression du profit, considéré comme un prélèvement sur le travail de l’ouvrier, et grâce à la mise en place de l’association ouvrière de production 1492 . L’école buchézienne participa au journal écrit et composé par des ouvriers parisiens, “L’Atelier”, organe des intérêts moraux et matériels des ouvriers” (1840-1850). Les rédacteurs de “L’Atelier” dont le typographe Henri Leneveux, qui écrivit aussi dans un autre journal à Saint-Etienne, critiquaient plus violemment que les autre buchéziens le système économique libéral, mais comme ces derniers, ils se disaient à la fois socialistes et catholiques 1493 . Au début de chaque assemblée de l’Association des Ouvriers bijoutiers en doré, la plus durable des associations de type buchézien, un des gérants lisait à haute voix un chapitre de l’évangile afin de bien marquer que l’association était fondée pour chercher le Royaume de Dieu et sa justice 1494 . Mais si les buchéziens reconnaissent l’Eglise romaine, ils lui reprochent de ne pas être fidèle à sa mission et lui demandent une conversion sur le plan de la morale sociale, la discipline ecclésiastique et l’enseignement dogmatique 1495 . Aussi Buchez a-t-il lancé un appel au clergé en 1842, pour que les prêtres guident les hommes sur la voie sinueuse de l’avenir 1496 . Dans le prospectus de la seconde série de “L’Européen”, en octobre 1835, Buchez se donnait pour objet d’obtenir la réforme de l’Eglise catholique. Par rapport à la réalisation du progrès, qui est essentiel pour Buchez, celui-ci préfère à la doctrine protestante, qui, dit-il, regarde les individus comme des existences indépendantes, la doctrine catholique qui affirme une foi commune et un but commun 1497 . Les buchéziens, qui avancent que le progrès se réalise d’abord sur le mode moral ou spirituel, se rapprochent de Ballanche pour qui le progrès est le produit de la volonté qui, à travers l’action humaine, transforme le monde 1498 . L’abbé Noirot et son élève, Ozanam, pour qui le progrès était un effort par lequel l’homme s’arrachait à son imperfection présente, optèrent également pour cette philosophie de l’histoire 1499 . Finalement, les idées de Buchez pouvaient être appréciées à Lyon où elles séduisirent des amis d’Ozanam 1500 et où “L’Européen” était lu par les rédacteurs de “L’Echo de la Fabrique” 1501 .

Le groupe buchézien de Lyon faisait partie des rares petits groupes de province à effectifs réduits, mais il a été assez actif. Il était dirigé par Jérôme Morin, un des acteurs de la révolution de 1830 à Lyon et rédacteur en chef à la même époque du “Précurseur”, journal des libéraux, qui deviendra ensuite le journal des républicains modérés 1502 . Avec quelques amis, dont Joanny Paradis, qui collaborait au journal de l’ateliériste Chevé, “Le Socialiste”, il publia en 1848 un journal buchézien, “Le Vingt-quatre février” 1503 . Ce journal citait fréquemment “L’Atelier” et reprenait les thèmes chers aux buchéziens : mise en place de l’association dans le travail réunissant chefs d’industrie et salariés afin d’accomplir la réalisation sociale de l’évangile et de faire échec au régime de la concurrence illimitée 1504  ; demande faite aux prêtres d’enseigner le salut social et de rechercher les institutions qui guérissent la misère 1505  ; solutions à la question du travail en demandant à l’Etat de fournir du travail suffisamment rétribué à qui en demande et en procédant à son organisation. A cet égard, “Le Vingt-quatre février ” a soutenu les ouvrières lyonnaises qui ont demandé du travail à Arago, commissaire du gouvernement provisoire, lequel a promis l’ouverture d’ateliers de couture 1506 . Sous le titre du journal (“Le Vingt-quatre février” puis “Le Réformateur”) ont toujours figuré trois citations du Nouveau Testament, dont l’une rappelait l’exhortation de Saint-Paul au travail : “Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus” 1507 .

A Saint-Etienne, “La Sentinelle populaire” dont Leneveux 1508 était rédacteur en chef, a revendiqué également le devoir du travail, de même que le droit au travail, mais en précisant que pour garantir ce dernier, il ne s’agissait pas que “l’Etat fournisse du travail à tout ouvrier inoccupé” 1509 . Le journal proposa aussi quelques solutions pour résoudre le problème du chômage, en reconnaissant que ces dernières étaient difficiles à trouver dans l’industrie : l’Etat pourrait, par une série de mesures de publicité, empêcher l’encombrement des ouvriers dans telle ou telle profession, quant à la solution de la colonisation, elle avait l’inconvénient pour les ouvriers de proposer le travail des champs 1510 . Leneveux et Nermon, avocat à Montbrison, étaient les principaux militants buchéziens de la Loire : tous deux ont collaboré à la mise en place de la “Société générale pour la fabrique de rubans” des passementiers stéphanois en 1841 1511 , et ont été candidats malheureux à la députation, aux élections d’avril 1848. Leneveux se présenta surtout comme un des ouvriers rédacteurs de “L’Atelier”. Comme Nermon, il défendait la cause républicaine et proposait la solution de l’association des travailleurs. A la différence de Leneveux qui ne fait pas allusion à Dieu dans sa profession de foi, Nermon évoque le lien spirituel nécessaire de l’homme avec Dieu, son créateur 1512 . En ce qui concerne le projet de coopérative de production des passementiers stéphanois, nous avons déjà indiqué son inspiration fouriériste, mais surtout buchézienne, avec la constitution d’un “capital inaliénable et indivisible”, même si un article prévoit qu’en cas de dissolution, tout l’actif sera “réparti par égales portions à chacun des associés”. D’ailleurs, “L’Atelier” remarquait, en octobre 1841, que la Société prévue à Saint-Etienne, avait pour but l’exploitation de l’industrie rubanière “sur des bases analogues aux principes que nous émettons dans “L’Atelier” 1513 ”.

L’étude des insurrections lyonnaise de 1831 et 1834 nous a montré l’ardente volonté des chefs d’atelier de la Fabrique lyonnaise de soieries pour fonder des sociétés de secours mutuels, les protégeant non seulement contre la maladie ou la vieillesse, mais aussi contre le chômage et leur assurant pour la production de leurs métiers, un tarif qui les mette à l’abri du besoin. Ce tarif, finalement accepté puis refusé par une partie des fabricants, fut à l’origine de l’affrontement de novembre 1831 entre les ouvriers en soie et la troupe. L’échec des insurgés ne remit pas en cause la détermination des anciens mutuellistes qui se manifesta par la création de journaux ouvriers et à partir de 1833, par la reprise du mouvement d’association en collusion avec les groupes républicains et les passementiers stéphanois. L’insurrection d’avril 1834 provoquée par une nouvelle loi contre les associations et le procès de mutuellistes fit des victimes non seulement à Lyon mais aussi à Saint-Etienne et n’arrêta que momentanément le mouvement associatif ouvrier. Ces derniers militèrent alors dans des sociétés secrètes et certains tentèrent, à partir des années 1840, l’expérience des coopératives de consommation et surtout de production. Les révoltes lyonnaises ont naturellement trouvé un écho chez les écrivains lyonnais comme Marceline Desbordes-Valmore ou chez ceux qui ont visité la région transformée par l’industrie comme Stendhal ; mais “les barbares qui menaçaient la société” comme l’écrivait Saint-Marc Girardin, ont surtout interpellé philanthropes et économistes, qui ont fait de nombreuses enquêtes au cours des années 1830-1840. Ces derniers, tout en constatant la misère ouvrière, ne voulaient pas remettre en cause le libéralisme économique, à la différence des socialistes utopiques qui se donnèrent rendez-vous à Lyon sous la monarchie de Juillet. Aux saint-simoniens, influents au début des années 1830, mais qui se préoccupèrent ensuite d’expansion économique, succédèrent les communistes néo-babouvistes et icariens prônant la communauté des biens. Ces derniers, de même que les fouriéristes, qui voulaient rendre le travail attrayant au sein de leurs phalanstères et séduisirent des catholiques, eurent le plus de succès auprès des ouvriers de la région. Mais tous ces socialistes utopiques, dont les socialistes chrétiens buchéziens qui formèrent un groupe actif à Lyon, furent victimes de la réaction politique conservatrice de la fin de la seconde République 1514 . Seul, Proudhon, qui s’est inspiré du mutuellisme lyonnais pour proposer des ateliers autogérés, a continué à influencer les ouvriers sous le second Empire. L’Eglise, quant à elle, comme on l’a constaté pour la région du Nord, a pu critiquer l’insensibilité du patronat concernant la situation des ouvriers, mais elle a prôné les mêmes solutions paternalistes que ce dernier pour battre en brèche les idéologies socialistes. Elle ne pouvait tolérer celles-ci qu’elle déclarait irréligieuses et qui prétendaient situer le Royaume de Dieu dans l’avenir de l’humanité.

L’Eglise de Lyon a-t-elle adopté les mêmes positions que les Eglises de Cambrai et d’Arras et quel type de relations a-t-elle préconisé avec le monde du travail ? Nous allons essayer de le découvrir dans l’apostolat des laïcs auprès des ouvriers et dans le type de liens établis entre le clergé et les travailleurs des paroisses.

Notes
1455.

J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. II, …, p. 206.

1456.

Notons La Théorie des quatre mouvements et des Destinées générales. Prospectus et annonce de la découverte” (1808), Le nouveau monde industriel et sociétaire (1829-1830) et les numéros de sa revue “La réforme industrielle ou le Phalanstère” (1832-1833) proposant la fondation d’une phalange agricole et manufacturière (Ibid., pp. 207-208).

1457.

Les successeurs de Fourier refusent le terme de “fouriéristes” car ils ne se réclament pas d’un homme. Ils se réclament d’une science et, à ce titre, se baptisent “Ecole sociétaire” ; ils se réclament également d’une expérience, d’où le qualificatif de “phalanstérienne” attribué aussi à leur école. Ainsi, la première tentative phalanstérienne française eut lieu, sans succès, dans la colonie agricole de Condé-sur Vesgre, en Seine-et-Oise, en 1832. (Denis BURCKEL et Loïc RIGNOL, article sur l’école sociétaire, in Michèle RIOT-SARCEY…, Dictionnaire des utopies …, p. 82).

1458.

Le pape Grégoire XVI condamna le premier volume de “Destinée sociale” le 22 septembre 1836. (J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. I, …, pp. 448-449).

1459.

Ibid., pp. 83-84. Dans la société future imaginée par Fourier, hommes, femmes et enfants associés et non pas salariés, vont au travail en chantant (Konstantinos CHATZIS article sur le travail, in Dictionnaire des utopies …, p. 230).

1460.

Dans une des brochures qui circulaient à Lyon en 1831, “L’Age d’or dévoilé, ou plan d’organisation civile, politique et religieuse”, on retrouvait, entre autres, l’utopie de l’harmonie universelle par l’équilibre des passions (Fernand RUDE, Les révoltes des canuts – 1831-1834 …, p. 21).

1461.

Rivière cadet était en même temps correspondant du journal fouriériste parisien “Le Phalanstère”. En 1840, il devint directeur-gérant d’une petite revue mensuelle, “La Démocratie lyonnaise”, à laquelle collaborèrent de nombreux fouriéristes. (J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. III, …, pp. 320-321). Nous aurons l’occasion de constater, dans le chapitre 9, que cette revue s’intéressa fortement aux premières initiatives prises par Mgr de Bonald , à son arrivée dans le diocèse.

1462.

Maximilien BUFFENOIR, “Le Fouriérisme à Lyon (1832-1848)”, Revue d’Histoire de Lyon, novembre-décembre 1913, T. XII, pp. 445-446.

1463.

Ibid., pp. 451 et 454. Dans la “Théorie des quatre mouvements …”, Fourier avait condamné la libre concurrence, ce qui augmentait à l’infini le nombre de marchands et d’agents commerciaux ; aussi était-ce une des raisons pour lesquelles “L’Echo de l’Industrie” et les autres journaux ouvriers appréciaient le fouriérisme. (J. ALAZARD, “le mouvement politique et social à Lyon entre les deux insurrections de novembre 1831 et d’avril 1834 …”, T. XVI, juillet-août 1911, p. 33.

1464.

Maximilien BUFFENOIR, “Le Fouriérisme à Lyon (1832-1848)”…, p. 451.

1465.

Ibid., pp. 446-452.

1466.

J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. I, …, p. 448.

1467.

Un autre groupe s’était aussi constitué vers 1846, composé de diverses notabilités lyonnaises (Maximilien BUFFENOIR, “Le Fouriérisme à Lyon (1832-1848) ”…, pp. 448-450).

1468.

Ibid., pp. 453-455.

1469.

Idem, pp. 450-451.

1470.

Vincent ROBERT, “Eviter la guerre civile : la région lyonnaise au printemps 1848”,in Jean-Luc MAYAUD (dir.), 1848. Actes du colloque international du cent cinquantenaire …, p. 316.

1471.

J. MOURIER, La presse à Saint-Etienne de 1825 à 1848 …, pp. 124 et 125.

1472.

Voir le projet des passementiers stéphanois p.188.

1473.

L’article 51 de l’acte de la “Société générale pour la fabrique de rubans” indiquait que “les immeubles que la Société acquerrait seraient organisés en ferme-modèle”(Octave FESTY, “Un essai de « société générale des passementiers de la ville de Saint-Etienne » en 1841”, Revue d’histoire de Lyon …, p. 268).

1474.

Maximilien BUFFENOIR, “Le Fouriérisme à Lyon (1832-1848) ”…, p. 452.

1475.

Fourier affirmait que Jésus avait été chargé de la révélation religieuse et lui-même de la révélation sociale et du salut de la société (Frank Paul BOWMAN, Le Christ des Barricades (1789-1848) …, pp. 180-181-187).

1476.

Ibid., p. 182.

1477.

Idem, p. 182. Le publiciste fouriériste Hennequin fut un des premiers rédacteurs de “Démocratie pacifique” qui aient parlé d’une alliance entre l’Eglise catholique et le socialisme en 1843 (J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. II, …, p. 340).

1478.

Voir les réactions à la première lettre pastorale de Mgr de Bonald (chapitre 9).

1479.

Jean-Baptiste DUROSELLE, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870) …, pp. 122-127.

1480.

J.B. Duroselle se demande si, dans la tentative fouriériste de rapprochement, les amitiés personnelles avec des catholiques n’ont pas joué un rôle important (Ibid., p. 127).

1481.

Il voulait fonder une “tribu chrétienne”, tenant à la fois du monastère, du phalanstère et de l’association pieuse (Frank Paul BOWMAN, Le Christ des Barricades (1789-1848) …, p. 332).

1482.

“L’Université catholique”, revue religieuse, philosophique, scientifique et littéraire, succéda en 1836 à la “Revue européenne” qui succéda elle-même au “Correspondant” de tendance mennaisienne (Gérard CHOLVY, FREDERIC OZANAM – L’engagement d’un intellectuel catholique au XIX e siècle …, pp. 204 et 211). En juin 1835, Louis Rousseau rencontra à Paris l’abbé Gerbet et l’abbé de Salinis qui lui proposèrent de collaborer à la revue. [Jean TOUCHARD, Aux origines du catholicisme social. Louis Rousseau (1787-1856), Armand Colin, 1968, 257 p. (p. 133)].

1483.

Le prêtre, qui écrit la lettre, a assisté au Congrès scientifique de France qui a tenu à Lyon, sa neuvième session début septembre 1841. Parmi les questions proposées figurait celle concernant la valeur des principes de l’école sociétaire fondée par Fourier. (Maximilien BUFFENOIR, “Le Fouriérisme à Lyon (1832-1848)” …, p. 449).

1484.

Cité par Jean TOUCHARD, Aux origines du catholicisme social. Louis Rousseau (1787-1856) …, p. 170.

1485.

J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. III, …, p. 468.

1486.

L’abbé Dauphin qui, aidé par deux confrères, fonda ce collège en 1833, voulait y concilier les lumières de la religion et les connaissances littéraires et scientifiques. (Xavier DE MONTCLOS, article sur Etienne Dauphin, in Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, T. 6, …, Le Lyonnais …, p.147).

1487.

Flora TRISTAN, Le Tour de France …, T. I, …, pp. 133, 170 et 180. L’abbé Tranchant fut réprimandé par Mgr de Bonald à cause des rencontres qu’il avait eues avec Flora Tristan ; celle-ci, lorsqu’elle séjourna à Saint-Etienne, en juin 1844, apprit par le capitaine Gautier que “l’abbé Tranchant venait d’être destitué”. (Ibid., p. 226). Par la suite, ce dernier collabora à “Démocratie pacifique” et présida à Paris, le 29 avril 1849, un banquet de prêtres socialistes. Le mois de juillet suivant, le préfet du Rhône signalait son départ de Paris, pour Lyon ou pour la Loire, département où il était né. (J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. III, …, p. 468).

1488.

J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. II, …, p. 328.

1489.

Maximilien BUFFENOIR, “Le Fouriérisme à Lyon (1832-1848) ”…, p. 454.

1490.

Geneviève FRAISSE, “De la destination au destin – Histoire philosophique de la différence des sexes”, in G. FRAISSE et M. PERROT (dir.), Histoire des femmes en occident, T. IV, Le XIX e siècle …, p. 84.

1491.

Ces idées furent développées dans son “Journal des Sciences morales et politiques” devenu “L’Européen” (1831-1832). [J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. I, …, p. 31].

1492.

Afin que cette association soit vraiment émancipatrice, Buchez prévoyait de la rendre indissoluble grâce à l’indivisibilité du capital social [Armand CUVILLIER, Hommes et idéologies de 1840, Librairie Rivière et Cie, 1956, 250 p. (pp. 50-68)].

1493.

Pierre PIERRARD, L’Eglise et les ouvriers en France (1840-1940) …pp. 134-135.

1494.

Armand CUVILLIER, Hommes et idéologies de 1840 …, p. 79. Pour l’interprétation donnée par Buchez à ce passage de l’évangile concernant le royaume du Christ, voir supra, la fin du paragraphe concernant l’influence du saint-simonisme.

1495.

FRANCOIS-ANDRE ISAMBERT, Buchez ou l’âge théologique de la sociologie … p. 163. Buchez contestait le péché originel et avait demandé à Lacordaire de prendre position contre certains commandements de l’Eglise comme l’obligation de faire maigre le vendredi.

1496.

Ibid., p. 162. Cet appel précède de peu celui de “Démocratie pacifique”. Notons que l’attitude buchézienne envers Fourier a d’abord été conciliante, puis il a été reproché à Fourier d’avoir assimilé l’homme à la brute en lui donnant pour seul but la recherche du bonheur. (Jean-Baptiste DUROSELLE, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870) …pp. 126-127).

1497.

Francois-André ISAMBERT, Buchez ou l’âge théologique de la sociologie …, pp. 158-160.

1498.

Frank Paul BOWMAN, Le Christ des Barricades (1789-1848) …, p. 197.

1499.

Gérard CHOLVY, FREDERIC OZANAM – L’engagement d’un intellectuel catholique au XIX e siècle …, pp. 655-656.

1500.

B. BARFETY, La vie de l’Eglise de Lyon sous la Monarchie de juillet (1835-1840) …, p. 47.

1501.

E. DOLLEANS, Histoire du mouvement ouvrier(1830-1871)…, p. 74.

1502.

Jean-Baptiste DUROSELLE, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870) …p. 373 et Jean ALAZARD, “Le mouvement politique et social à Lyon entre les deux insurrections de novembre 1831 et d’avril 1834”, Revue d’histoire moderne et contemporaine, T. XVI, n°3, novembre-décembre 1911, p. 274. Nous aurons l’occasion d ‘évoquer plus longuement Jérôme Morin, un des principaux acteurs de la tentative de rapprochement entre catholicisme et socialisme chrétien à Lyon, dans le chapitre 9.

1503.

Jean-Baptiste DUROSELLE, Les débuts du catholicisme social en France (1822-1870) …p. 373 et J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. III, …, p. 125. Le journal paraissait trois fois par semaine et huit numéros ont paru du 26 mars au 14 avril 1848. “Le 24 février” n’avait pas d’abonné et la vente se faisait dans la rue. Comme les marchands prétendaient que le titre du journal abusait les lecteurs, “Le 24 février” devint “Le Réformateur”. [NIZIER DU PUITSPELU, Souvenirs lyonnais. Lettres de Valère. Colligées, T. 1, Metton, 1881, 194 p., (pp. 44-50 de l’introduction)].

1504.

Numéros du 30 mars, du 11 avril et du 20 avril 1848.

1505.

Numéro du 4 avril 1848.

1506.

Numéros du 2 avril, du 4 avril, du 13 avril et du 20 avril 1848.

1507.

Deuxième épître de Saint-Paul aux Thessaloniciens, III,10. Cette phrase était aussi en exergue dans “L’Atelier”.

1508.

Henri Leneveux (1817-1878) avait participé à la fondation de “L’Atelier” en 1840 et fut le directeur-gérant de ce journal, jusqu’à sa disparition, fin juillet 1850. “La Sentinelle populaire” dont il dirigea la rédaction à Saint-Etienne, succéda curieusement, en juillet 1848, à un journal lu par la bourgeoisie stéphanoise “Le Mercure Ségusien”. “La Sentinelle populaire” fut suspendue à la suite de la manifestation du 13 juin 1849 à Paris, contre l’expédition française à Rome. Leneveux prit, par la suite, des initiatives originales dans le domaine de l’éducation populaire et de l’organisation du travail avec la mise en place d’une commandite ouvrière dans l’imprimerie parisienne où il était employé. (J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. II, …, p. 493 et premier numéro de “La Sentinelle populaire” du 12 juillet 1848).

1509.

Numéro du 16 juillet 1848.

1510.

Numéro du 26 juillet 1848.

1511.

Jean MERLEY, Saint-Etienne au milieu du XIX e siècle. La Révolution de 1848 et les débuts de la seconde République, Reboul, 2003, 443 p. (p. 106). Voir aussi dans ce chapitre la fin du paragraphe concernant les révoltes de 1834

1512.

Professions de foi de Nermon le 26 mars 1848 et de Leneveux du 5 avril 1848 (B.M. de Saint-Etienne, MAG EH 2134 et MAG FH 2170).

1513.

Octave FESTY, “Un essai de « société générale des passementiers de la ville de Saint-Etienne » en 1841” …, pp. 267-269.

1514.

Considérant et Buchez, élus députés en avril 1848, participèrent activement, comme Cabet, aux débuts de la seconde République. Mais les projets communistes et fouriéristes furent ardemment combattus à l’assemblée constituante. Si Buchez fut élu président de cette dernière et vit aboutir son projet de subvention des associations en 1850, il dut se retirer de la vie politique et le journal “L’Atelier” dut disparaître. Quant à Flora Tristan, la mort l’a surprise avant qu ‘elle ait pu espérer transformer “L’Union ouvrière” en une organisation de tous les prolétaires. (J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Première partie : 1789-1864, T. I, …, pp. 320, 335, 449).